Pour justifier le choix du changement de nom de la station Mi-Côte, le vice-président de la métropole en charge des transports Frédéric Augis expliquait à la NR :
« C’est simplement pratique, pour mieux identifier le lieu. Une demande a été faite pour la station Mi-Côte ». [1]
L’argument est absurde, dans la mesure où l’arrêt Mi-Côte avait un nom extrêmement descriptif, donc identifiable : il est situé au milieu de l’avenue qui escalade le coteau de la Loire. Pour les habitant-es de l’agglomération, il s’agissait d’un repère simple, en tous cas plus évident que le nom du restaurant gastronomique situé quelques dizaines de mètres plus haut — le restaurant porte toujours le nom de son ancien propriétaire, décédé en 2009. Le menu « Excursion gourmande » proposé dans ce restaurant étant affiché au prix de 115 euros, on peut parier que toute la population tourangelle n’y a pas ses habitudes.
Une nouvelle opération de marketing urbain
L’argument de l’identification du lieu est d’autant moins valable que, dans le même temps, il a été décidé de débaptiser la station « Anatole France » pour la renommer « Porte de Loire ». Ce nouveau nom, qui n’évoque rien à personne, a été imaginé dans le cadre de la communication entourant la reconfiguration du haut de la rue Nationale, qui doit accueillir deux hôtels de luxe en cours de construction [2].
L’explication de ce changement de nom est donc plutôt à rechercher dans la stratégie de communication de l’agglomération. Bien décidée à devenir une « métropole touristique » [3], la collectivité entend notamment capitaliser sur le label « Cité internationale de la gastronomie », obtenu par Tours en 2013 et dont le contenu peine à se matérialiser. C’est pour cela qu’elle a importé le festival « Tours et ses franco gourmandes », dont la première édition locale aura lieu du 15 au 17 septembre, mettant notamment en scène des « joutes culinaires » entre chefs cuisiniers. Et c’est ce qui peut expliquer la décision de donner à une station de tram le nom de Charles Barrier, seul chef de la région à avoir décroché trois étoiles dans le guide Michelin. Comme dans le cas du Sanitas, c’est une opération de marketing urbain qui se déploie sous nos yeux.
« Le restaurateur avait dissimulé 300.000 F par an »
Ce qui fait tâche, c’est que Charles Barrier n’est pas seulement connu pour être « un passeur remarquable, un initiateur et un précurseur de la nouvelle cuisine qui a marqué les années 1970, n’accordant d’importance qu’au produit, à la rigueur de la méthode et au travail » [4]. Comme l’écrivait pudiquement le journaliste Jean-Claude Ribaut au moment de sa mort, « la justice s’intéressa à sa cuisine fiscale, qu’elle jugea trop légère ». Pour en savoir plus, il a fallu plonger dans les archives du quotidien local. Dans l’édition du 29 novembre 1983, on pouvait lire :
« Charles Barrier (...) a été condamné pour fraude fiscale à six mois de prison ferme, 30.000 F d’amende et à la publication du jugement dans la presse. [...] Le restaurateur était accusé d’avoir dissimulé une moyenne de 300.000 F par an du montant de ses impôts de 1976 à 1980 (...). Un contrôle des services fiscaux a permis d’établir le procédé, simple et ingénieux, de la fraude au restaurant. »
« Charles Barrier, pour sa défense, avait plaidé qu’un complot avait été dirigé contre lui par son personnel. Le procureur avait requis une peine d’un an de prison ferme contre le restaurateur, indiquant que cette fraude était d’autant plus inadmissible que l’affaire était florissante et de renommée internationale. A noter qu’il avait été fait allusion, au cours des précédents débats, à une condamnation du restaurateur pour des faits semblables en 1971. »
En 2014, au sein du conseil municipal de Saint-Cyr-sur-Loire, le président de la métropole envisageait déjà de célébrer la mémoire de Charles Barrier en donnant son nom à un équipement [5]. C’est chose faite avec cette station de tram. Mais il faut dire qu’une condamnation pour fraude fiscale n’est pas de nature à embarrasser Philippe Briand, mis en examen dans l’affaire du financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.
Lorsque le tram marquera l’arrêt à la station Charles Barrier, dans la montée les menant en haut du coteau, les voyageurs pourront toujours s’interroger sur la manière dont les hommes politiques, qui réclament toujours les pires châtiments pour les délinquants, savent se montrer compréhensifs lorsque cette délinquance s’exerce en matière fiscale.