Grande Boucle et petits gestes : quand Tours accueille le Tour

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La ville de Tours, qui accueille une étape du Tour de France cycliste 2021, a indiqué qu’elle souhaitait « concilier cet événement populaire avec la transition écologique ». En réalité, elle ne fait qu’accompagner le greenwashing déployé par l’organisateur de la course.

Le 1er juillet 2021, plusieurs dizaines de cyclistes professionnels s’élanceront depuis le centre-ville de Tours en direction de Châteauroux, pour une étape de plat de 144 kilomètres. La candidature de Tours pour l’accueil d’une étape, initiée par l’ancienne municipalité en décembre 2019, a été relancée en juillet 2020 par la nouvelle équipe dirigée par l’écologiste Emmanuel Denis, et acceptée le mois suivant par la société Amaury Sport Organisation (ASO), qui organise le Tour de France.

Contrairement aux élu·es écologistes de villes comme Rennes ou Lyon, qui ont notamment critiqué « l’empreinte écologique » du Tour de France [1], Emmanuel Denis s’est montré beaucoup plus mesuré, indiquant seulement que la municipalité « [serait] particulièrement vigilante sur les progrès qui seront apportés pour l’édition 2021 du Tour sur les questions de l’image des femmes et de l’impact environnemental » [2].

Interrogée sur la manière dont s’exercerait la vigilance vis-à-vis d’ASO, la municipalité n’a pas répondu à nos questions. Mais compte tenu du rapport de force entre les collectivités accueillantes et l’organisateur du Tour, il y a lieu de penser que la ville n’a eu absolument aucune marge de négociation sur l’organisation du départ et sur l’impact environnemental de l’épreuve. C’est ce qu’indique Louise Chapel dans un article consacré à « la fabrication du Tour de France » [3] :

« [Les villes-étapes occasionnelles] entretiennent des liens faibles avec la société organisatrice, se contentant de suivre au mieux les directives données par les cahiers des charges et autres documents officiels. Elles savent qu’elles sont chanceuses d’avoir été sélectionnées, et ne se permettent généralement que très peu d’écarts. [...] [Ces acteurs] savent qu’ils sont relativement démunis, qu’ils n’ont aucun moyen d’exercer une autorité et d’imposer leurs contraintes, puisqu’ils seraient menacés d’une sanction par la suite. »

Parking géant et coupes de champagnes réutilisables

Si la mairie de Tours a refusé de nous communiquer la convention qui lie la ville à ASO pour l’organisation du départ de l’étape, l’examen d’une précédente convention entre ASO et la ville de Dole pour l’organisation du départ de la huitième étape du Tour 2017 permet de prendre la mesure de l’ampleur de l’événement et du caractère dérisoire des engagements de l’organisateur en matière de « développement durable » [4].

Alors qu’Emmanuel Denis se félicite que l’accueil d’une étape du Tour participe à « la promotion du vélo comme l’avenir des mobilités », la convention prévoit notamment que la collectivité accueillante organise le stationnement de 1 300 véhicules accrédités par ASO. Si l’on rapporte ce chiffre aux nombre de cyclistes engagés dans l’édition 2020 du Tour, cela fait un ratio de 7,4 véhicules par cycliste. Avant d’être le lieu de départ d’une épreuve cycliste, Tours sera d’abord transformé en parking géant, pour le plus grand bonheur du constructeur automobile Škoda, un des principaux sponsors de l’événement.

La convention comprend également une liste d’actions engagées par ASO pour « l’intégration de l’environnement dans l’organisation du Tour de France ». C’est un florilège de petits gestes dérisoires, mais qui permettent sans doute de faire oublier ce que représente le survol des épreuves par des hélicoptères, ou la circulation de 1 300 véhicules (quand bien même il s’agirait de véhicules hybrides). Il est notamment question d’utiliser du papier recyclable, ou de dématérialiser certains supports d’édition ; de réduire le nombre de véhicules sur la route (engagement non chiffré) ou d’« optimiser le covoiturage des suiveurs » (engagement non chiffré) ; de former les pilotes et les motards à « une conduite éco-responsable » ; de sensibiliser les suiveurs et le public au respect de l’environnement en utilisant les réseaux sociaux pour diffuser des messages environnementaux. Sur le site du Tour, il est aussi question de supprimer les coupes à champagne en plastique à usage unique au profit de coupes réutilisables...

L’un des éléments clés du Tour de France, sa caravane publicitaire, témoigne de l’hypocrisie de ces engagements. Comptant plus d’une centaine de véhicules, cette caravane sature l’espace visuel et sonore de messages publicitaires en amont de l’arrivée des cyclistes. Les cadeaux publicitaires lancés depuis les différents véhicules sont l’un des principaux éléments qui attirent le public au bord des routes. Ainsi, pas question de les supprimer : l’organisateur s’engage simplement à « supprimer les emballages plastiques des objets publicitaires », sauf contrainte d’hygiène, et à encourager à « la production d’objets plus utiles ». Le gaspillage est institutionnalisé, on cherche simplement à en réduire l’ampleur à la marge.

À l’occasion d’une conférence de presse, Emmanuel Denis a tenu à souligner les efforts d’ASO en matière de transition écologique : « Désormais, les coureurs qui jetteront leurs déchets en dehors des zones autorisées recevront des pénalités de temps. Si l’on ajoute la présence de plus en plus importante de véhicules hybrides, c’est un plus. Le Tour fait sa mutation » [5]. ASO, qui organise également des courses de bagnoles dans le désert sous la marque « Dakar » [6], n’en attendait sans doute pas tant de la part d’un maire écologiste. Mais ces encouragements viennent confirmer la pertinence pour des entreprises d’habiller leurs activités d’un emballage éco-responsable.

Attractivité et marketing urbain

Pour justifier cette invitation, la municipalité explique qu’il s’agit d’« une occasion exceptionnelle pour promouvoir l’image de la Ville et faire valoir ses atouts ». Par ces quelques mots, l’équipe EELV-PS-FI élue en 2020 s’inscrit dans la continuité des majorités précédentes, qu’elles soient dirigées par le PS ou Les Républicains : l’action municipale reste largement guidée par la volonté de développer le rayonnement et l’attractivité de la ville dans l’espoir d’y attirer des touristes.

Au-delà des retombées immédiates que peut attendre la ville en termes de restauration ou d’hôtellerie [7], l’accueil de grands événements sportifs à renommée internationale comme le Tour de France vise en effet à améliorer l’image de marque et la notoriété des collectivités accueillantes. Conscient de cet enjeux, l’organisateur de l’événement encadre les journalistes qui suivent le Tour, et leur fournit un fascicule dans lequel les localités traversées sont réduites à quelques clichés désuets. [8]. Ces discours dignes d’un mauvais guide touristique sont évidemment accompagnés d’images qui visent à magnifier les paysages traversés, filmés à l’aide de drones et d’hélicoptères.

L’accueil enthousiaste de cet événement sportif par Emmanuel Denis et son équipe constitue un marqueur fort. L’ancien opposant aux courses de Nascar organisées sur le parking du Parc Expo de Tours déroule aujourd’hui le tapis rouge à un organisateur de rallyes motorisés. Contre tout évidence, il assure désormais qu’une course cycliste sponsorisée par un fabricant de voitures ferait la promotion du vélo. Le maire prétend également pouvoir exercer un regard sur l’impact environnemental de l’événement, alors que l’organisateur reste seul décideur, car la municipalité est obligée de se plier à ses exigences si elle veut bénéficier des miettes de visibilité que confère la course.

Le maire de Tours disait vouloir « repenser notre ville [...] dans un monde où l’accélération du dérèglement climatique et la raréfaction des ressources vont entraîner des bouleversements sociaux et économiques majeurs » [9]. Cette étape du Tour montre que rien n’a été repensé, et que les engagements écologiques de la nouvelle municipalité se satisfont bien de la poursuite des logiques capitalistes à l’origine du dérèglement climatique qu’elle prétend dénoncer. Public et privé main dans la main, élus éperdus d’attractivité qui entendent briller nationalement grâce à un évènement sportif très polluant... Il ne faut décidément rien attendre de sérieusement écologique de la part d’Emmanuel Denis et de son équipe.

Illustration :Tour de France 1937, 13e étape Montpellier-Narbonne (matin) le 15 juillet : Francesco Camusso (équipe d’Italie) 10 minutes avant son arrivée victorieuse à Narbonne.

Notes

[1"Tour de France : Le maire de Lyon Grégory Doucet qualifie l’épreuve de « machine véhiculant une image machiste »", 20 minutes, 10/09/20.

[2Communiqué de presse, 02/11/20, à lire sur le site de la ville de Tours.

[3Chapel, Louise. « La fabrication du Tour de France : un réseau en action. (enquête) », Terrains & travaux, vol. 12, no. 1, 2007, pp. 96-117.

[4Le document est consultable en cliquant ici.

[5« Plus qu’une centaine de jours avant le Tour de France à Tours », TMV Tours, 23/03/21.

[6Anciennement connu sous le nom de Paris-Dakar, ce rallye-raid est organisé en Arabie Saoudite depuis 2020, ce qui a mené certaines ONG à dénoncer le « sportwashing » pratiqué par le régime saoudien. Le choix de cette destination montre que, pour ASO, les valeurs sportives sont compatibles avec la violation systématique des droits humains.

[7Dans un entretien sur TV Tours le 25/02/21, l’adjointe à l’urbanisme Cathy Savourey se félicitait que les chambres des hôtels construits en haut de la rue Nationale, dont l’inauguration est prévue debut juin, soient déjà complètes pour l’événement.

[8On peut prendre l’exemple de la description de la ville de Blois lors du Tour 1999 : « Blois : ville d’art et d’histoire, Blois fut une résidence royale chère à Louis XII et François-Ier. Le château est considéré comme un monument majeur de l’art français. Construit au XIIIe siècle, rénové sous la Renaissance et modernisé par François Mansart au XVIIe siècle, il a été classé monument historique en 1840 sur l’initiative de Prosper Mérimée. » Cité dans Fumey, Gilles. « Le Tour de France ou le vélo géographique », Annales de géographie, vol. 650, no. 4, 2006, pp. 388-408.

[9Extrait du programme électoral de la liste « Pour demain Tours 2020 ».