Quand Fil Bleu prône un discours arriériste sur « la lutte contre la fraude »

Fil Bleu, société qui gère le transport urbain de l’agglomération tourangelle, a revêtu son costume de zorro de gouttière pour offrir un nouveau service à Tours Métropole Val de Loire : la lutte contre la fraude.

Le saviez-vous ? La société Fil bleu édite un journal de propagande avec Le Fil, et s’attaque, dans son dernier numéro, à la fraude. Non pas celle, fiscale, des grandes entreprises qui ne nous coûte que quelques dizaines de milliards chaque année [1], ni celle des hommes d’affaires et autres amis de Fillon/Briand [2], non, la fraude, la vraie, c’est-à-dire celle des usagers qui ne paient pas leurs titres de transport. Nous voilà rassurés : honte sur eux.

La lutte anti-fraude, une tradition à Tours

Faut dire que Fil Bleu a mis le paquet : collaboration au quotidien avec la police nationale et municipale, opérations ciblées dans les quartiers dits « difficiles » [3], couverture plus large des plages horaires pour un meilleur contrôle, organisation d’un volontariat multi-services pour assister les contrôleurs etc. etc. « Historiquement, à Tours, il y a une vraie culture d’entreprise de la lutte contre la fraude » précise Vincent Buon, responsable sûreté lutte contre la fraude. Et nous qui pensions naïvement que les Tourangeaux étaient de culture martinienne avec le don, la tolérance et tout ça... En tout cas, voilà bien une entreprise qui ne connait pas la crise : tant de personnes mobilisées pour traquer le fraudeur, ça laisse rêveur.

Dans le fond, quoi de bien nouveau pour une entreprise qui place le profit et la rentabilité avant tout ? D’ailleurs, à ce titre, il faut saluer le tout nouveau tour de « pass pass » [4] de l’entreprise qui permet désormais de transformer le fraudeur en client ! et ceci en substituant à l’amende un abonnement de deux mois... Si ce n’est pas fidéliser la clientèle, ça ?! La petite histoire ne dit pas si le réabonnement est automatique ou pas [5]. D’un autre côté, entre le tarif public (40 euros par mois), le tarif étudiant (30 euros par mois, un des abonnements les plus chers de France) et le tarif chômeur (20 euros par mois), on peut pas dire que la pratique tarifaire fidélise grand monde à part peut-être les plus riches. Quand on pense qu’il y en a encore pour s’étonner que des personnes ne paient pas et/ou que d’autres cassent des abribus...

Mieux ! On atteint des sommets quand un encart du journal titre : « Une responsabilité sociale et environnementale reconnue ». Ou comment faire des phrases avec du vide, en trois paragraphes qui ne veulent rien dire. Un vrai exercice de prose quand on sait que Fil Bleu, avec ses bus et sa politique tarifaire, contribue d’une part au réchauffement climatique mais aussi à la marchandisation des services publics ! C’est aussi passer sous silence les expériences de villes comme Aubagne, Châteauroux ou très récemment Niort (voire Dunkerque qui le prévoit totalement pour 2018) [6], villes qui se sont mises aux transports gratuits et donc incitent tous les citoyens à abandonner la voiture et donc réduire la pollution [7]. Ce n’est pas comme si nous vivions un moment d’urgence climatique et sociale.

La gratuité des transport, une question de volonté politique

Lorsqu’est posée la question de la gratuité des transports, on nous renvoie toujours aux infrastructures. Que ce soit à propos de leurs dégradations, parce que c’est connu, les pauvres, ça saccage tout ; ou bien à propos de leur financement. L’Union des Transports publics et ferroviaires va même jusqu’à écrire dans un de ses dépliants : « Tous les économistes sont unanimes sur ce point : ce qui est gratuit n’a pas de valeur ». Ce qui est gratuit n’a pas de valeur... Au moins, les choses sont claires : seule la valeur marchande importe. On comprend mieux pourquoi le transport urbain n’a plus rien d’un service public. C’est sûr qu’à vouloir tout privatiser et à vouloir enlever ce que le transport a de collectif et donc de social, cela va tout arranger : il n’y a qu’à voir ce que cela donne de l’autre côté de la Manche.

Poser la question de la gratuité dans les transports ce n’est donc pas poser la question de sa faisabilité, puisque cela existe déjà, mais bien celle du pourquoi : logique néo-libérale d’un côté, logique sociale de l’autre. Ainsi, toutes les communes qui sont passées au transport gratuit démontrent un impact positif sur le plan social et environnemental. Parler de la fraude sans mettre en avant ces expériences, c’est donc une double peine qu’inflige Fil Bleu aux habitants de Tours : une politique dégueulasse de profit et une stigmatisation des populations les plus pauvres. Alors même que tous les experts l’ont dit : la gratuité supprime la fraude !

Sans doute devons-nous penser que Fil bleu cherche avant tout à maintenir un modèle qui profite à une poignée d’entre nous. Et ce n’est d’ailleurs qu’ainsi que nous pouvons comprendre le nouveau nom de l’arrêt du tram : « Charles Barrier », personnage qui, certes, a été condamné à six mois de prison pour fraude fiscale, mais qui reste, surtout, de la bonne classe sociale : celle des possédants.

Notes

[1La fourchette basse se situe autour de 35 milliards d’euros, la fourchette haute, autour de 80 milliards d’euros. Quand on pense que le déficit de la Sécurité sociale est d’à peine 24 milliards...

[2Moins d’ISF pour environ 7 milliards cette année, à compenser par une baisse des APL. Quant à la fraude au RSA ? Moins de 60 millions ; celles des entreprises sur les prélèvements sociaux ? Environ 1 milliard d’euros. Choisis ton camp, camarade !

[3Il suffit pour cela de se rappeler nos articles déjà publiés : les contrôleurs, contrôles massifs au Sanitas...

[4Il s’agit du nom trouvé pour cette nouvelle procédure.

[5Nous cherchons un volontaire pour nous éclaircir ce point !

[6En 2011, cela représentait 7% du réseau français.