Christophe Bouchet a beau agiter désespérément la menace d’une accession de l’extrême-gauche à la mairie [1], le cadre dans lequel s’inscrit le débat politique à la veille du second tour de l’élection municipale est étonnamment réduit.
Les tracts officiels des deux listes encore en compétition [2], distribués dans les boîtes aux lettres des électeur·ices, se distinguent surtout par la qualité du papier employé. La lecture attentive des propositions présentées montre une étonnante similitude dans les termes et dans les idées. L’un veut « bâtir la ville solidaire » quand l’autre assure que « la ville que nous voulons est solidaire ». Tout le monde veut soutenir le commerce, lutter contre les discriminations, et mettre des aliments bio au menu des cantines scolaires.
D’un côté, il est question de « 40 kilomètres de Réseau express vélo » ; de l’autre, de « 40 km de voies cyclables dédiées ». Bouchet veut « agir pour la santé » en créant « 8 maisons de santé dans les quartiers » ; Münsch-Masset, numéro 2 de la liste « Pour demain Tours », propose de créer « un centre municipal de santé avec des annexes dans les quartiers ». Bien sûr, air du temps oblige, les deux listes promettent un budget participatif, et plus de végétation dans la ville : doublement du nombre d’arbres d’un côté ; plantation de 20 000 arbres de l’autre. « Tours nous rassemble » promet des « lieux de coworking » ; « Pour Demain Tours » veut « des pépinières d’entreprises ». Une liste parle de « réussir la transition écologique de Tours » quand l’autre promet « la ville éco-responsable ».
Au-delà de nos différences...
En tout, on trouve quinze éléments identiques ou similaires entre les deux tracts. Et les deux candidats utilisent le même champ lexical pour présenter leur projet : Bouchet parle de « capacité à tenir le cap dans la tempête » en même temps que Denis emploie le terme « boussole ». Christophe et Manu sont sur un bateau... Emmanuel Denis semble même s’être converti au culte du « rayonnement » et de « l’attractivité », qui a guidé toute l’action de la municipalité sortante — au moins dans les discours [3].
Il ne s’agit pas de dire que les deux listes se valent, et que Denis ou Bouchet, « c’est blanc bonnet ou bonnet blanc », pour reprendre les termes de l’affiche du PCF qui militait pour l’abstention au second tour de l’élection présidentielle de 1969 [4]. Malgré les discours sur la ville « solidaire et bienveillante », les propos racistes d’Olivier Lebreton ou le copinage de Cécile Chevillard avec l’extrême-droite ancrent la liste de Christophe Bouchet dans le camp de la droite dure. On se souvient aussi comment Marion Cabanne, numéro deux sur la liste de Bouchet, avait défendu la suppression de la gratuité des cantines scolaires pour les pauvres.
Mais la proximité des propositions et des champs lexicaux déployés par les deux listes témoigne d’un appauvrissement désastreux de l’espace de la discussion politique, réduite à quelques mots-clés sur des tracts interchangeables. Elle s’inscrit dans une tendance large, analysée notamment par des chercheurs qui se sont penchés sur les débats de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle française entre 1974 et 2012 [5] : vouloir maximiser le gain électoral conduit à brouiller les lignes de clivage et à une perte de repères idéologiques forts, au profit d’un discours pragmatique et dépolitisé, valorisant les compétences gestionnaires et la capacité personnelle des candidats à s’émouvoir de situations vécues par certaines catégories sociales.
Les tracts des deux candidats illustrent bien le phénomène de dépolitisation des gestions locales identifié par le politiste Rémi Lefebvre. Pour le chercheur, « l’originalité et les différences partisanes ont largement disparu en la matière, ce qui a réduit la réalité des alternatives présentées aux électeurs et la diversité des politiques publiques mises en œuvre ». Il prévenait par ailleurs que le scrutin municipal de 2020 risquait d’être marqué par « un brouillage des repères politiques sans précédent » [6].
Alors que l’abstention au premier tour s’établissait à 67%, ce qui finit de rendre ridicule l’idée même de « démocratie représentative » telle que l’emploient les notables locaux, et que l’ampleur de la crise écologique et sociale appelle des ruptures fortes et assumées, il est douteux que des programmes aussi tièdes soient de nature à remobiliser au second tour.