Sophie est titulaire d’un doctorat et enseigne à l’Université. Comme de nombreux jeunes chercheurs [1], elle n’est cependant pas titulaire de son poste. Elle exerce donc sous « contrat d’enseignement » [2] depuis 3 ans après 3 autres années comme chargée de cours, et essaie tant bien que mal de poursuivre ses activités de recherche en parallèle.
Si vous l’observez face à ses étudiants ou dans ses relations avec ses collègues, le travail de Sophie vous semblera être le même que celui de n’importe quel enseignant-chercheur titulaire. Seules changent les conditions dans lesquelles Sophie exerce.
Sophie : enseignante-jetable
Cette année, Sophie effectuera entre septembre 2014 et juin 2015 plus de 220 heures de travaux dirigés et un cours magistral en amphithéâtre pour un salaire net de 750 euros par mois. Depuis plus de 3 ans, elle enseigne plus de 190 heures par an à l’université. A titre de comparaison, un maître de conférences en début de carrière est payé 1725 euros net pour un service annuel de 192 heures d’enseignement.
Pour compléter ce maigre salaire universitaire, Sophie enseigne également sous le régime de la vacation [3] dans d’autres établissements privés. Elle cumule donc des emplois précaires « fléchés » pour des individus diplômés de l’enseignement supérieur. Si elle ne compte pas son temps dans la préparation et la correction des cours, elle est devenue une habituée des contrats signés à l’heure de vacation : contrats de deux ou trois heures de travail. Considérée comme un « prestataire de service », elle est une variable d’ajustement ayant assuré à de nombreuses reprises des responsabilités pédagogiques revenant normalement aux salariés titulaires.
Pendant les vacances universitaires d’été, « grâce » à son contrat d’enseignement, c’est pôle-emploi qui prend le relai de ses activités-saisonnières.
Nous sommes fin septembre et Sophie vient seulement de signer son contrat à l’université. Cela signifie que, jusqu’à présent, Sophie a travaillé illégalement : la rentrée des étudiants a en effet eu lieu il y a trois semaines. Pourtant, cette année, avant même la signature de son contrat, l’Université de Tours avait fait signer à Sophie une charte de « bonnes pratiques » dans laquelle on peut notamment lire que :
« Le recrutement doit se préparer le plus en amont possible afin de garantir la réalisation du processus dans des délais raisonnables et favoriser une prise de fonction dans les meilleures conditions. Il est rappelé que tout agent présent dans l’établissement doit disposer d’un contrat de travail et que celui-ci ne peut pas être élaboré avec effet rétroactif. »
Techniquement donc, Sophie n’était pas « couverte » pour son activité. Que serait-il arrivé en cas d’accident ? Avec la signature de cette charte, l’Université aurait-elle pu se dédouaner de ses éventuelles responsabilités et rejeter la responsabilité sur Sophie ? Ces délais existants entre la prise de fonction et la signature des contrats sont des pratiques extrêmement répandues pour le personnel précaire de l’Université de Tours. Cette charte est néanmoins une nouveauté qui s’inscrit dans le cadre de modifications du recrutement [4] à l’Université de Tours votées lors du conseil d’administration de juillet dernier.
Cette évolution du recrutement impliquera une précarisation importante : si Sophie souhaite continuer à enseigner à l’Université de Tours, il lui faudra accepter à partir de la rentrée prochaine d’effectuer, au minimum, 300 heures de TD pour 1300€ par mois (toujours dans le cadre d’un contrat sur 10 mois). Cela signifie abandonner la recherche faute de temps et, comble de l’ironie, sans espoir de conserver ce contrat en raison du « risque » que représente pour son employeur la possibilité d’une demande de CDIsation par le salarié dans le cadre de la Loi Sauvadet [5].
Face à cette situation, Sophie est donc une enseignante-jetable parmi d’autres de l’Université de Tours dont la date de péremption est d’ores et déjà annoncée.
Accéder à un poste de Maître de conférences ?
Qualifiée depuis 4 ans aux fonctions de Maître de conférences [6], Sophie est aussi consciente que les possibilités d’un recrutement s’éloignent. Chaque année, elle postule sur des postes où se retrouvent des centaines de candidats. A l’Université de Lyon, pour un poste, plus de 200 candidats se retrouvent mis en compétition. Compétition, concurrence et réseau sont les maîtres mots des modalités de recrutement. Car ce n’est plus la qualité d’un CV qui compte mais un réseau de relations qui assure un possible entretien. Elle s’est d’ailleurs entendue dire par un Professeur qu’elle avait le « meilleur CV » mais que l’on avait privilégié un candidat ayant des relations avec un membre du comité de sélection. La nature de cette relation reste à déterminer….
Si elle souhaite continuer à postuler, elle devra cette année repasser le concours pour être à nouveau qualifiée et persister dans cette démarche. Pas sûr qu’elle soit toujours motivée…
Illustration : l’Université de Tours vient d’ouvrir un campement à Saint-Cyr-sur-Loire destiné aux travailleurs/es précaires. Réservez vite vos tentes... il n’y en aura pas pour tout le monde !
Appel à témoignages Le collectif des salariés précaires de l’Université de Tours a lancé un appel à témoignages. Il s’agit de la rédaction de portraits/témoignages de précaires de l’Université à proposer sur La Rotative. Le collectif invite les personnes qui se sentent concernées à rédiger, seules ou à plusieurs, des textes pour raconter ce qu’est concrètement la précarité à l’université (les textes peuvent tout à fait être anonymisés !). Pour savoir comment écrire un article, il suffit de cliquer ici. Cet appel à témoignage s’étend bien au-delà des murs de l’Université de Tours et s’adresse aux précaires de tous les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, qu’ils soient enseignants, chercheurs ou BIATSS. Si l’idée vous intéresse n’hésitez pas à contacter le collectif : collectifprecairesuniv37 [chez] gmail.com. Galerie de portraits de salariés précaires de l’université : |