Tours, le 30 juin 2014
La précarité s’est imposée dans l’université française comme un outil habituel de gestion des ressources humaines, la part du personnel en CDD ne cessant de croître (d’après le Bilan social 2012, 35 % des agents travaillant à l’université de Tours est sous statut contractuel, contre 23 % 5 ans plus tôt), jusqu’à être largement majoritaire dans certains secteurs d’activité de l’université (en 2012 à Tours, 81 % des ingénieurs de recherche (en équivalent temps pleins) sont contractuels). L’institution préfère ainsi imposer une succession de contrats courts au lieu de recruter les salariés sur des moyennes ou longues durées. Elle n’hésite pas non plus à suspendre les contrats lors des périodes de vacances. Ces pratiques managériales brutales sont assises sur un discours décomplexé qui vise à leur conférer une légitimité.
A l’université de Tours, une charte des « bonnes pratiques pour l’accompagnement des personnels contractuels » vient ainsi d’être adoptée pour officialiser ces situations. Mais la question du véritable coût administratif des employés précaires n’est jamais posée. Tout comme les conséquences scientifiques, pédagogiques, professionnelles et humaines, qui sont systématiquement passées sous silence, la direction de l’Université préférant persister à communiquer sur le modèle d’excellence en matière de recherche et d’enseignement qu’elle est censé représenter.
Le mouvement qui émerge à Tours s’inscrit dans une dynamique nationale : les universités de Caen, Toulouse, Lyon, Nice, Bordeaux, Paris ont également lancé des grèves, Assemblées Générales, pétitions, et blocage des notes pour faire entendre leur voix. Actuellement, ce mouvement est impulsé à Tours par des contractuels d’enseignement et de recherche, et soutenu par les syndicats Sud, Snesup-FSU et FO.
Il est temps de mettre fin à cette situation inacceptable, qui est loin de concerner uniquement les contractuels : elle aura des conséquences pour l’ensemble des salariés du supérieur. Pour nous opposer à ces politiques de précarisation, il est nécessaire d’établir un rapport de force ; celui-ci ne sera en notre faveur que si nous nous rassemblons largement, titulaires comme contractuels, quels que soient nos disciplines et nos champs professionnels.
Pour ce qui concerne le personnel contractuel d’enseignement
Actuellement, les conditions d’enseignements pour les non-titulaires à l’Université de Tours sont les suivantes :
- La disparition des contrats d’ATER (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche [1]) à mi-temps (96h/an [2]), ne subsistant dans la pratique que des contrats d’ATER à temps plein (192h/an, ce qui correspond à la charge d’enseignement d’un maître de conférences). Les contrats d’ATER à mi-temps sont un dispositif permettant de doubler le nombre de jeunes chercheurs accueillis au sein des laboratoires dans des conditions satisfaisantes pour conduire un travail de doctorat.
- Une autre innovation sociale consiste à proposer à la place des contrats d’ATER à mi-temps des « demi-postes déguisés » d’ATER, c’est-à-dire des contrats d’ATER à temps plein sur 6 mois, les assurances chômages devenant les financeurs des jeunes chercheurs sur les 6 autres mois de l’année !
- La généralisation des contrats d’enseignements depuis 2010. Ces contrats sont établis sur 10 mois et portent sur des volumes d’enseignements de 64 à 384 heures TD, rémunérés au même indice que l’heure de vacation. Concrètement, un doctorant assurant un service d’enseignement équivalent à celui d’un maître de conférences est payé 647,71 euros net sur 10 mois (là encore, c’est à l’assurance chômage d’assurer l’intérim estival du jeune chercheur) ! A service d’enseignement égal, un maître de conférences débutant est payé 1725 euros net et un doctorant bénéficiant d’un contrat d’ATER à mi-temps reçoit 1200 euros net mensuel (et pour ce travail annuel, ils sont logiquement payés sur 12 mois !).
Suite au report de l’examen par le Conseil d’Administration du 5 juin 2014 d’un texte portant sur les contrats d’enseignements et suite à la réunion du comité technique paritaire du 24 juin 2014, un nouveau texte, modifié à la marge par une « concertation » en vase clos, propose :
- Des contrats d’enseignements de 300 à 384 heures, et par dérogation des contrats de 192 heures, toujours sur 10 mois.
- Autre innovation : à partir du 1er semestre 2015, le recrutement de ces enseignants à bas-coûts nécessitera l’approbation d’un comité de sélection (on ne sait pas si le coût en temps et en frais de la réunion de ces comités de sélection dépassera le coût de la rémunération totale de l’heureux élu !).
- En revanche, l’université refuse l’intégration en CDI des agents contractuels réalisant une activité d’enseignement pérenne de 384 heures TD, contrairement à ce qui est en vigueur dans le secondaire.
Ces situations sont intolérables et les « avancées » proposées sont insignifiantes. Aucune consultation des personnes concernées n’a été mise en œuvre, accentuant encore le sentiment de mépris chez le personnel contractuel. A la vue de ces constats, nous avançons les revendications suivantes :
- Le retour des postes d’ATER à mi-temps et la création de postes de titulaires.
- La création de contrats d’enseignements sur une durée de 12 mois, avec une rémunération alignée sur celle des ATER ou des demi-ATER, pour toutes personnes faisant de la recherche (doctorants, docteurs…). Pour les personnes n’effectuant pas de recherche, l’alignement de la rémunération sur celle des PRAG et PRCE (Professeurs agrégés et certifiés affectés dans l’enseignement supérieur [3]).
- La limitation du recours massif aux vacations au sein de chaque département et la revalorisation de la rémunération de ces vacations.
- L’application des règles de non-cumul en vigueur (un enseignant bénéficiant d’une décharge ne peut pas, en théorie, effectuer d’heures complémentaires), dont nous constatons le non-respect au quotidien.
Pour ce qui concerne le personnel contractuel administratif et de recherche
En ce qui concerne la politique nationale pour la recherche, nous partageons les constats émis par le Comité national de la recherche scientifique, représentant la communauté scientifique nationale dans son ensemble et réuni en assemblée plénière à Paris le 11 juin dernier : « Les décisions concernant l’emploi scientifique, tant public que privé, entravent notre capacité de recherche et affaiblissent nos universités. En généralisant la précarité, elles génèrent un véritable gâchis humain et aggravent les inégalités, entre les hommes et les femmes en particulier. Elles conduisent les jeunes à délaisser la recherche et découragent l’ensemble de la communauté scientifique » [4].
En pratique, actuellement à l’Université de nombreux ingénieurs d’études et de recherche multiplient sans interruption des contrats de courte durée (2, 3, 4 mois) pendant quatre ou cinq ans avant d’être priés de prendre la porte (en 2012, 74,8 % de la recherche - Ingénieurs d’Études et Ingénieurs de Recherche (en équivalent temps pleins) - à l’Université de Tours est réalisée par du personnel contractuel). Sur le terrain, une part toujours grandissante de la recherche est effectuée par du personnel temporaire. Et des solutions relevant du bricolage sont improvisées : on assiste ainsi au recrutement de chercheurs en tant qu’auto-entrepreneurs en qualité de "prestataires de service", pratique de salariat déguisé pourtant explicitement condamnée par la loi.
L’Université de Tours a adopté une "Charte des bonnes pratiques pour l’accompagnement des personnels contractuels", en s’abstenant d’une consultation auprès des personnes concernées. Cette Charte prône l’ingérence scientifique au profit du personnel administratif (la Charte précise notamment que : « En matière de contrat de travail sur projets de recherche, il est déconseillé de faire appel à un même agent pour conduire différents projets de recherche de manière successive »). Elle illustre une posture uniquement défensive de l’Université de Tours sur ces questions (se prémunir d’éventuels recours devant les tribunaux sans se soucier du bien-être de son personnel). Elle limite à trois ans la possibilité d’exercer en qualité de contractuel, avec deux années supplémentaires de dérogation possibles à titre exceptionnel, ne faisant ainsi qu’officialiser une situation qui est en fait déjà en place dans les laboratoires, conséquence d’une politique de recherche financée exclusivement par la multiplication des projets de court terme qui ne laisse aucune place à la création de postes pérennes.
A la vue de ces constats, nous avançons les revendications suivantes :
- Le minimum de reconnaissance et de représentation : la fin de l’invisibilité et l’instauration d’un dialogue, afin notamment de connaître les droits et les règles qui s’appliquent en transparence et pour tous, avec un interlocuteur identifié et compétent, tant pour les agents administratifs, les chercheurs contractuels que leurs potentiels recruteurs (titulaires en charge de projets ou de départements).
- Ce qui implique la sortie du traitement au cas par cas, de l’amateurisme et du bricolage qui semblent constituer la règle dans la gestion au quotidien des agents contractuels chargés de recherche (et notamment la fin des contrats de très petites durées et leur succession abusive).
- Enfin, la possibilité de créer des CDI pour les chercheurs contractuels de longue durée doit être clairement évoquée et débattue au sein des UMR [5] et du Conseil Scientifique, afin d’édicter des règles claires et sortir de l’omerta, du clientélisme et du gâchis humain et financier qui résulte de ces pratiques.
Pour tous
Nous exigeons donc la fin de l’opacité, tant en matière d’enseignement que de recherche, afin de rompre l’isolement et l’ignorance dans lesquels sont maintenus les agents contractuels.
Nous invitons l’ensemble des personnels de l’Université à diffuser cette lettre au sein de l’Université François-Rabelais et au-delà, à en discuter entre collègues, à faire partager leurs expériences en tant que salarié-es et à contacter les différentes sections syndicales existantes pour construire la mobilisation à venir.
Une date d’Assemblée Générale et de manifestation sera programmée à la rentrée universitaire 2014.
Le collectif des précaires de l’Université de Tours
Avec le soutien de Sud Education, du SNESUP-FSU et de Force Ouvrière.
Contact : collectifprecairesuniv37 [at] gmail.com