Tours : Ici, il y a eu une première AG le 14 mai. Il y avait surtout des contractuels, une quinzaine, quelques titulaires qui étaient surtout des représentants syndicaux. Sud, FO et le SnesUp ont apporté leur soutien au mouvement. La volonté est de faire le lien entre les contractuels de recherche, d’enseignement et de l’administration. L’idée c’est de ne pas enfermer la lutte mais de l’ouvrir au maximum en impliquant tous les contractuels de l’université mais aussi, et surtout, les titulaires. Une prochaine AG est programmée le 27 mai.
Caen : Nous, nous n’avons pas pu organiser d’autres réunions parce que c’est la fin de l’année. Mais on est allés envahir le Comité Technique. Depuis une motion serait passée visant à accélérer le paiement des vacataires. En gros ce qu’on nous annonce c’est qu’on sera payés dès le mois d’octobre donc ça a eu une incidence… En apparence on a le soutien de la directrice de l’UFR des Sciences de l’Homme. C’est elle qui a fait passé cette motion qui n’est valable que pour ceux dont c’est l’emploi principal. D’une part le mois d’octobre c’est déjà le deuxième mois d’enseignement et non le premier , d’autre part c’est une fois de plus contourner le problème fondamental, celui de la précarité, pour proposer des solutions peu coûteuses à des problèmes secondaires en espérant que ça suffise à calmer le jeu.
Tours : La stratégie est la même à Tours. Comment s’est passée votre occupation du comité technique ?
Caen : Ce sont deux copains qui ont été appelés à venir et on a décidé de s’y incruster pour montrer qu’on est ensemble et qu’il n’y a pas de représentants. Donc on est arrivés là-bas, les revendications ont été lâchées à l’emporte-pièce, en mode perturbation. On a posé les problèmes de fond qui touchent l’université, notamment la question des recompositions des UFR, mais en appuyant sur le fait qu’on avait travaillé et que donc on devait être payés. Ils s’attendaient pas à ce qu’on débarque à une vingtaine. On leur en a mis plein la gueule chacun notre tour, en expliquant notre vie quotidienne, en expliquant que l’université ne peut pas tourner sans nous, qu’il y a pas mal de choses illégales et qu’on pourrait mettre en place des recours juridiques.
On a rappelé des faits et surtout l’absurdité qui consiste à travailler sans être payé, avec l’idée qu’avec les recompositions qui vont se mettre en place on sait très bien qu’on va être la variable d’ajustement qui permettra de faire tourner les petits départements dans les UFR gigantesques qu’ils sont en train de mettre en place [2]. Donc on a dit tout ça, on est sortis en s’en prenant assez violemment à la direction des ressources humaines et à la direction générale des services. Quand ils nous ont dit « faites nous confiance, on a essayé de faire ce qu’on pouvait », on a répondu qu’on leur faisait pas confiance et qu’on savait qui ils étaient. Ca n’a pas été très apprécié apparemment [rires].
Avant cela, il y avait eu une campagne d’affiches dans laquelle on s’en prenait à certains personnels de manière quasi-nominative. La campagne n’était pas signée, ça n’avait pas été très apprécié non plus mais ça avait pas mal fait parlé. Donc ça donne un truc assez étrange où on peut pas vraiment parler de mobilisation, ce sont juste des doctorants principalement en sociologie et en géographie qui demandent à être payés et qui font ce qu’ils peuvent dans une université qui est devenu molle et où rien n’intéresse personne. Quand on en parle aux titulaires ils disent « ah oui, c’est pas normal » mais à part un soutien moral on voit pas grand-chose. C’est un peu l’histoire qui se rejoue systématiquement dans les luttes à la fac de ces dernières années.
Tours : Ici, l’idée c’est que sans les titulaires il ne se passera rien et que c’est à eux de se mobiliser prioritairement. Donc l’objectif c’est d’essayer de ne pas trop opposer les différentes catégories de personnels.
Caen : En début d’année, il y avait eu un début de mouvement notamment sur les projets de recomposition et sur la situation des personnels BIATOSS [3] de catégorie C, c’est-à-dire les plus précaires de l’université. Et cette opposition entre enseignants-chercheurs et personnels BIATOSS est difficile à dépasser. Et nous on est un peu dans une situation bâtarde. Les enseignants-chercheurs nous soutiennent moralement parce qu’on fera le même métier plus tard ou qu’on travaille ensemble par ailleurs mais ils sont dans une espèce de déconnexion de la réalité que nous on vit. Ce qui est d’autant plus triste quand on est en sociologie. C’est le même problème que les enseignants qui ne comprennent pas que les étudiants viennent pas parce qu’ils sont étudiants-salariés. Ils disent « oui mais il faut aller en cours », d’accord mais ces étudiants ils font comment pour manger ? Ils ont l’impression que s’ils bossent c’est pour avoir de l’argent de poche… c’est assez étrange. Quand on voit à quel point ils n’arrivent pas à comprendre les réalités étudiantes on comprend pourquoi ils ne comprennent pas les nôtres.
Tours : Comment les mobiliser ?
Caen : C’est difficile de voir comment articuler des revendications qui vont un peu plus loin et notamment qui puissent les inclure et parler des recompositions des UFR sans ne parler que de ça. D’autant que c’est l’angle principal sous lequel la presse parle de l’université actuellement. Et les syndicats, surtout le Snesup à Caen est pris dans ses contradictions : à la fois ils sont patrons de la fac et en même temps ils sont syndicalistes. Il y a clairement un enjeu aux alentours de la médiatisation pour bien montrer aux enseignants-chercheurs et aux dirigeants qu’il ne s’agit pas de 3 cas isolés…
Tours : Alors qu’il y a une mise en concurrence de plus en plus accrue des personnes qui aspirent à faire carrière dans l’enseignement supérieur, il y a une forme d’adhésion des vacataires au système de management qui les exploite. Comment vous arrivez à mobiliser dans ce contexte ?
Caen : Ici il y a une tradition de collectifs de chercheurs précaires. Ça se réactive vite. Un copain a envoyé un mail disant « il faut qu’on fasse quelque chose, je n’en peux plus de ne pas être payé ». Et on s’est retrouvé vite à un vingtaine de doctorants en sociologie et en géographie. Mais c’est compliqué. Effectivement on adhère à la logique qui nous pourrit. Si on refusait les vacations, peut-être que les départements rouvriraient des postes d’ATER [4]. Le problème c’est qu’il y a deux logiques d’enrôlement derrière. La première c’est qu’il faut qu’on bouffe parce qu’on est à pôle emploi et qu’il faut qu’on justifie d’une activité auprès de pôle emploi. La deuxième c’est qu’on a envie d’en bouffer, de devenir enseignants-chercheurs et d’enseigner. Donc on s’auto-aliène parce que d’une part on a envie de le faire, d’autre part on en a besoin pour nos CV respectifs. A ce sujet là, enseignement et recherche se rejoignent totalement.
Tours : Ici, il n’y a plus que des postes d’ATER à mi-temps, parfois plein temps sur 6 mois. Où en êtes-vous à Caen ?
Caen : Ils ont arrêté les postes à mi-temps il y a quelques années et maintenant ils font des postes sur 6 mois.
Tours : Ça existe ici aussi, parfois avec les cours répartis sur toute l’année alors que la personne n’est payée que sur 6 mois. C’est un mi-temps effectif mais payé 6 mois temps-plein.
Caen : Pour nous c’est plus carré. Mais ce qui se passe sur les postes d’ATER sur 6 mois, c’est que c’est tout bénéfice pour eux puisque il y a 6 mois où tu bosses pas et là ils peuvent te prendre comme attaché temporaire de vacations. Et puis tu redeviens ATER, etctera.
Comment ça se passe au niveau de votre mobilisation ?
Tours : C’est parti des départements de sociologie et d’aménagement. En sociologie, ça râlait depuis 6 mois sur les conditions de travail : parce qu’il n’y avait pas de salle des profs, parce que des vacataires assuraient des cours de Travaux Pratiques qui leur sont moins payées que les Travaux Dirigés alors que pour les titulaires cela ne fait aucune différence salariale, pas mal de petites choses comme ça. Et puis ils ont mis la main sur le projet fixant les conditions de recrutement. Et enfin, il y a eu la publication des postes d’ATER, que des temps pleins. Là, les 10 vacataires ont signé une lettre ouverte. Aucun d’eux n’est syndiqué même s’il y a des sympathisants. Ce qui est intéressant c’est qu’il y a une bonne part de ceux qui se mobilisent qui n’étaient pas des personnes forcément très politisées.
Caen : Que disent les syndicats étudiants ?
Tours : Malheureusement à Tours ils n’existent plus que virtuellement ou presque. Ce sont les corporations qui noyautent et sclérosent le milieu étudiant. Donc compter sur eux c’est difficile.
Caen : Le truc qui est difficile pour monter des actions c’est cette espèce d’auto-aliénation. On est pour beaucoup dans des départements en perte de vitesse et donc il y a une espèce de culpabilité mal placée où on a l’impression que bloquer les notes par exemple c’est se tirer une balle dans le pied. En plus le timing est pas bon avec les demandes d’allocations de thèse, les campagnes de recrutement, etcetera. Ce qu’on aimerait bien faire c’est voir ce qui se passe ailleurs que dans les sciences humaines.
Tours : Ici la logique est la même, sortir des sciences sociales, sortir de la seule question de l’enseignement et même finalement sortir d’une problématique qui ne touche pas que la fac mais tout simplement les conditions d’emploi dans la fonction publique. Donc ça continue de mobiliser en local mais aussi de prendre des contacts ailleurs, avec vous, Toulouse, Bordeaux, sans doute Lyon demain.