Contre la précarisation des personnels de l’Université

Le rouleau-compresseur libéral continue son travail de sape au sein des universités françaises. Dernier opus d’une série de lois qui érige la précarisation des personnels en mode gestion : la loi Sauvadet. Partout en France, les contractuels d’enseignement, de recherche et de l’administration tirent le signal d’alarme et se mobilisent. Le collectif des précaires de l’Université de Tours, qui organise une nouvelle Assemblée Générale le 27 mai, fait le point sur la situation.

L’application de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (« LRU » ou « Loi Pécresse [1] ») a eu pour conséquence de « révéler le prix réel de l’enseignement supérieur [2] » et a fragilisé bon nombre d’universités. Cette loi est la traduction française de la stratégie de Lisbonne adoptée en 2000 par l’Union Européenne. L’objectif étant alors de développer « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». En France, la LRU donne aux universités la possibilité de gérer leur masse salariale et leur patrimoine [3]. En 2014, 19 universités sur 76 sont en déficit, certaines pour la 2ème année consécutive. La LRU conduit à la systématisation d’un certain nombre de pratiques managériales bien connues, visant l’abaissement des coûts liés aux missions fondamentales de l’Université par l’externalisation des tâches et le recours massifs à des emplois précaires et sous-payés (en 2012, 35 % des agents travaillant à l’université de Tours est sous statut contractuel, contre 23 % 5 années plus tôt !) [4]. Il en est ainsi de la fermeture des départements les moins rentables, de la réduction des volumes horaires d’enseignement, de la gestion contractuelle et court-termiste de la recherche. Cette gestion libérale conduit à une précarisation généralisée des personnels administratifs, d’enseignements et de recherche. Et partout ces recettes conduisent aux mêmes effets : une baisse de l’offre et de la qualité des services proposés et une détérioration considérable de la qualité des emplois, et en cascade, une dégradation des rapports professionnels, de l’ambiance au sein des équipes éducatives et scientifiques, de la confiance envers les directions, etc. Ces évolutions se font sur le renoncement aux idées de service public et d’intérêt général, renoncement travesti sous les vocables de responsabilités et d’impératifs comptables.

Les difficultés que rencontrent nombre d’universités françaises interrogent. Les déficits, voire faillites, rencontrés ne sont-ils vraiment qu’un effet non voulu de la mise en application de la LRU ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une conséquence recherchée, fruit de l’application au champ universitaire des principes « universels » du marché et de la concurrence ? La mise en concurrence des universités, dans l’objectif d’en faire émerger certaines capables de rivaliser sur le marché mondial de l’enseignement supérieur, conduiraient alors inévitablement à l’élimination des plus « faibles ».

La loi Sauvadet : poursuite de la logique managériale et de précarisation

La loi Sauvadet, qui entre progressivement en vigueur, prend aujourd’hui le relais de la LRU, en matière de ressources humaines, dans une continuité totale des politiques. Cette loi dont l’objet est « l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emplois d’agents contractuels dans la fonction publique » conduit dans les faits à l’exact opposé : un durcissement considérable des conditions de travail du personnel vacataire et contractuel, une réduction drastique des possibilités de pérennisation des emplois temporaires et la systématisation d’une précarité jusqu’alors gérée de façon opaque et artisanale. Il s’agit d’organiser et de rationaliser l’exploitation optimale du personnel précaire, en planifiant à mots couverts une véritable « chasse aux précaires » pour s’assurer d’un bon turn-over en matière de main d’œuvre jetable.

Par exemple, afin d’éviter toutes situations où elle serait contrainte d’engager des salariés temporaires de manière pérenne (via l’obligation de proposer un Contrat à Durée Indéterminée à tous les salariés ayant 6 années de Contrat à Durée Déterminée), l’Université de Tours (comme d’autres Universités et grands organismes de recherche avant elle [5]) préconise dans un projet de « Charte de bonnes pratiques pour l’accompagnement des personnels contractuels » de limiter la durée des contrats de travail à 3 ans. Les conséquences de la mise en application de la loi Sauvadet, qui revendique sur le papier une amélioration pour les agents contractuels, sont dans les faits une précarisation accrue des contractuels.

Cette dynamique de précarisation touche l’ensemble des universités françaises, mais se traduit par des réalités très diverses, qui tendent à individualiser les situations. Cet isolement fragilise les salariés et rend difficile une mobilisation collective. Nous souhaitons par cette lettre montrer l’imbrication des problématiques que l’administration voudrait nous faire considérer comme différentes, unifier les dynamiques qui émergent, et mettre en lien des individus et des groupes dans le but de nous opposer efficacement à la casse systématique de l’emploi dans la fonction publique.

Une même logique mais des réalités diverses

A Tours, la mise en application de ces politiques à partir de la rentrée 2014 se manifeste de la manière suivante.

En ce qui concerne le personnel enseignant :

  • Pour les doctorants : le recours systématique au contrat de vacation (statut d’« agent temporaire vacataire » : charges de cours pour un semestre payées à l’heure, parfois sans contrat, payées 40,91 € brut par heure, semestrialisées) ; le statut principal d’étudiant exonérant l’université d’un certain nombre de cotisations sociales, comme les cotisations retraite et chômage ;
  • Pour les docteurs : l’impossibilité de recourir aux vacations (statut de « chargé d’enseignement vacataire ») sans justifier d’une activité professionnelle principale d’au moins 900h (situation inexistante chez les docteurs, à moins de produire de faux certificats de travail ou de s’installer en tant qu’auto-entrepreneur), le statut principal de salarié exonérant à nouveau l’université du paiement de certaines cotisations sociales ; l’accès à un contrat d’enseignement de 300h minimum sur 10 mois (les 10 mois permettant à l’Université de contourner la « prime précarité »), renouvelable 2 fois maximum, et payé 1 300 € net par mois (selon l’indice brut 379 qui correspond notamment au statut d’un enseignant débutant du 2nd degré agrégé et ayant un master).
  • Pour tous : la fin des contrats d’ATER [6] mi-temps (96h/an) et la généralisation des contrats à temps plein (192h), peu compatibles avec l’exercice de la recherche (notamment pour les doctorants en fin de thèse).

A titre de comparaison, actuellement : la charge d’enseignement d’un maître de conférences titulaire est de 192h/an, payée (en début de carrière) / 1725 € ; avec une possibilité de décharge à 144h pour les 2 premières années.

En ce qui concerne le personnel de recherche :

  • Le projet de « charte des bonnes pratiques pour l’accompagnement des personnels contractuels » (voir document joint ci-dessous) limite à trois ans la possibilité d’exercer en qualité de contractuel, avec deux années supplémentaires de dérogation possibles à titre exceptionnel. Cette charte officialise une situation qui est en fait déjà en place dans les laboratoires, conséquence d’une politique de recherche financée exclusivement par la multiplication des projets de court terme qui ne laisse aucune place à la création de postes pérennes. De nombreux ingénieurs d’études [7] et de recherche [8] multiplient ainsi sans interruption les contrats de courte durée (2, 3, 4 mois) pendant quatre ou cinq ans avant d’être priés de prendre la porte (en 2012, 74,8 % de la la recherche - ingénieur d’étude & ingénieur de recherche en équivalent temps plein - à l’Université de Tours est réalisée par du personnel contractuel).

Il va sans dire que la disparition des postes pérennes nuit à la continuité et à la qualité de la recherche. Sur le terrain, une part toujours grandissante de la recherche est effectuée par du personnel temporaire. Et des solutions relevant du bricolage sont improvisée : on assiste ainsi au recrutement de chercheurs en tant qu’autoentrepreneurs en qualité de « prestataires de service », pratique de salariat déguisé pourtant explicitement condamnée par la loi. Déjà à l’œuvre dans certains laboratoires, cette méthode de gestion privatise les activités de recherche. L’Université n’a plus, dès lors, la possibilité de contrôler la qualité de sa production scientifique, tandis que les chercheurs, dépourvus d’attache institutionnelle, se trouvent dépossédés de leurs travaux et de leur autonomie scientifique garantie par un poste titulaire.

Des conséquences diverses touchent aussi les personnels administratifs qui se retrouvent fragilisés lorsque l’université rechigne à les employer en CDI.

Contre la précarité comme outil de gestion : mobilisons-nous !

La précarité constitue désormais, à l’Université, un outil de gestion incontournable des ressources humaines. L’institution n’hésite pas à suspendre les contrats lors des périodes de vacances ou à imposer une succession de contrats courts au lieu de recruter les salariés sur des moyennes ou longues durées. Ces pratiques sont mêmes désormais généralisées en tant que « bonnes pratiques ». Cette gestion se traduit par la hausse constante du nombre de personnels administratifs (bien souvent contractuels), qui n’en finissent pourtant pas de crouler sous la tâche, tant le recours aux contractuels est généralisé.

Ces pratiques managériales brutales sont assises sur un discours décomplexé qui vise à leur conférer une légitimité. L’université n’hésite pas à désigner comme de « bonnes pratiques » cette gestion des ressources humaines dysfonctionnelle, cruelle et dispendieuse. La question du véritable coût administratif des employés précaires n’est pas posée. Celle des conséquences scientifiques, pédagogiques, professionnelles et humaines est esquivée, l’Université continuant à se revendiquer comme un modèle d’excellence en matière de recherche et d’enseignement.

Le mouvement qui émerge à Tours s’inscrit dans une dynamique nationale : les universités de Caen, Toulouse, Lyon, Nice, Bordeaux, Paris, ont également lancé des grèves, Assemblées Générales, pétitions, et blocage des notes pour faire entendre leur voix.

Actuellement, ce mouvement est impulsé à Tours par des contractuels d’enseignement et de recherche, et soutenu par les syndicats Sud, SnesUp et F.O.

Il est temps de mettre fin à cette situation inacceptable, qui est loin de concerner uniquement les contractuels : elle aura des conséquences pour l’ensemble des salariés du supérieur.

Le cynisme (ou l’hypocrisie ? notamment du reste de la communauté universitaire) et le manque de considération ont raison des meilleures volontés : la confiance que nous éprouvions à l’égard de notre employeur est désormais rompue. Pour nous opposer à ces politiques de précarisation, il est nécessaire d’établir un rapport de force ; celui-ci ne sera en notre faveur que si nous nous rassemblons largement, titulaires comme contractuels, quels que soient nos disciplines et nos champs professionnels.

Nous vous invitons à diffuser cette lettre largement, et à nous rejoindre
le mardi 27 mai, à 17h, Amphi C aux Tanneurs !

Le collectif des précaires de l’Université de Tours
Avec le soutien de Sud Education, du SnesUp et de Force Ouvrière

Contact : collectifprecairesuniv37[chez]gmail[point]com

Notes

[2Voir l’article du monde sur ce sujet.

[3Un article de l’Express sur le sujet.

[4De 2007 à 2012, le nombre d’agents contractuels à l’Université de Tours est passé de 502 à 877, alors que celui des agents titulaires baissait. Pour certaines catégories de personnel, les ratios sont édifiants : ainsi 81 % des ingénieurs de recherche (en équivalent temps plein) de l’université sont contractuels ! Source : Bilan social 2012 de l’université de Tours.

[5Cf. par exemple l’article de Sylvestre Huet dans Libération « Cherchez, trouvez... Vous êtes virés ».

[6Un Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER) est un enseignant-chercheur employé en CDD de droit public. Cette catégorie d’agents non-titulaires de l’État a été créée en 1988. On peut distinguer quatre types d’attachés temporaires : les attachés recrutés pour un an terminant une thèse de doctorat après trois années comme chercheurs-doctorants, les attachés recrutés pour un an parmi les docteurs, les attachés recrutés pour trois ans parmi les fonctionnaires de catégorie A, en très grande majorité enseignants du second degré, pour préparer une thèse de doctorat et les attachés recrutés pour trois ans parmi les enseignants ou chercheurs venant de l’étranger.

[7Un ingénieur d’étude est un fonctionnaire de catégorie A généralement titulaire d’un diplôme de master (Bac+5). Sa rémunération brute mensuelle est de 1 713,20 € en début de carrière. Source : portail de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

[8Un ingénieur de recherche est un fonctionnaire de catégorie A généralement titulaire d’un diplôme de doctorat (Bac+8). La rémunération brute mensuelle d’un ingénieur de recherche en début de carrière est de 1907,68 €. Source : portail de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche