« Les vacations sont un abus que l’État se permet et interdit à l’employeur privé. Il s’agit de payer un travail sans payer les cotisations sociales correspondantes.
Malgré un encadrement précis du texte de loi et encore plus de la circulaire sur les missions des vacations qui pourrait laisser croire à une recours sporadique à cette voie de rémunération d’heures d’enseignement, il n’en est rien : en 2008 (dernier chiffre officiel), plus de 3.6 millions d’heures de vacations ont été payées dans les universités françaises. Ce qui exclu clairement de considérer les vacations comme marginales. » Les vacataires dans l’enseignement supérieur - Collectif PAPERA - Pour l’Abolition de la Précarité dans l’Enseignement supérieur, la Recherche et Ailleurs
Marc : docteur précaire
Marc est âgé d’une quarantaine d’années. Il enseigne à l’Université de Tours en tant que « vacataire » [1] depuis 2000. Cet été, alors que la plupart du personnel de l’Université était en congé, Marc, lui, a continué de « courir partout ». Le contrat de Marc a pris fin en juin [2] et comme chaque été, il a « galéré » et cherché des petits contrats à droite et à gauche pour combler le manque à gagner. Comme chaque été, Marc a espéré obtenir de nouvelles charges de cours à la rentrée tout en sachant qu’il ne pourrait avoir aucune certitude d’être « repris » avant le mois de septembre. Cet été, Marc était d’autant plus inquiet que l’Université a décidé de modifier les conditions de recrutement. Comme d’autres précaires, ignorant ce qui l’attendait pour la rentrée il craignait d’apprendre qu’il resterait sur le carreau.
Lorsque Marc commence à donner des cours à l’Université, il travaille encore à temps plein en tant qu’ingénieur d’études dans le privé ; les vacations représentent donc pour lui une activité complémentaire qu’il mène pendant 9 ans. Marc est passionné par les sciences humaines : en parallèle de son travail, il écrit de nombreux articles et continue de se former grâce aux cours du soir. C’est ainsi qu’il obtient successivement une maîtrise puis un doctorat. En 2008, jeune docteur, Marc demande sa qualification et candidate sur plusieurs postes de maître de conférences. Première déception : malgré les recommandations de l’Université et les louanges sur la qualité de ses travaux, il n’obtient pas de poste. Il tentera à plusieurs reprises d’être recruté, sans succès.
Puis, la situation de Marc évolue : il fait l’objet d’un licenciement. Il obtient entretemps un nouveau diplôme de master 2 [3] et effectue un séjour à l’étranger. À son retour, il réussit à retrouver difficilement quelques heures à l’université, tout en percevant les indemnités de chômage, qui compensent son faible salaire (inférieur à 1000 € dans le meilleur des cas).
Les vacations : des arrangements précaires
Marc accepte des matières d’enseignement pour lesquelles il n’est pas qualifié, mais qui lui procurent malgré tout un intérêt intellectuel certain (c’est, entre autres, selon lui, l’une des richesses de l’Université). Ni l’importante quantité de travail préparatoire [4], ni les corrections des copies des étudiants ne lui sont payées. D’expérience il a appris qu’il ne fallait pas trop préparer ses cours à l’avance car il est arrivé que l’Université lui retire au dernier moment une charge de cours qui lui avait pourtant été confiée. Malgré cette « galère » et son « salaire de misère », Marc aime travailler à l’Université.
En parallèle des vacations, il continue à publier. Il affirme que le cadre de travail précaire de l’Université reste meilleur que celui proposé par le secteur associatif ou privé : la compétition entre salariés y est moindre, tout comme la pression des supérieurs hiérarchiques ; par ailleurs, ses collègues statutaires compatissent à sa situation et reconnaissent ses compétences. Il s’avoue néanmoins fatigué et stressé. Il confie ne plus avoir de mutuelle santé depuis son licenciement... Absorbé par une multitude de contraintes liées à son statut professionnel, il ne peut plus pratiquer ses loisirs associatifs en toute sérénité (son investissement est remis en cause par les autres membres bénévoles de l’association). De fait, la précarité professionnelle conduit à la précarité sociale, voire la marginalité.
« Fraude » et travail précaire
Dans la course annuelle (et estivale) de Marc, en plus du travail, il y a la contrainte des rendez-vous avec pôle-emploi. Il arrive régulièrement que ses employeurs ne transmettent pas les bons papiers en temps et en heures pour le calcul de ses indemnités. En septembre de l’année dernière par exemple, Marc avait déjà commencé à donner des cours mais n’avait pas en sa possession de contrat de travail. Après une dizaine de sollicitations auprès de pôle-emploi, afin de régulariser sa situation (sans quoi il risquait d’être accusé de fraude), il s’est trouvé obligé de rédiger une déclaration sur l’honneur attestant de sa bonne foi. Il regrette l’opacité de la législation du travail et le temps consacré à toutes ces démarches pour « prouver » sa précarité.
Illustration : « 1932 - La soupe populaire offerte par les étudiants aux chômeurs » : années 2010, bientôt la soupe populaire offerte par les étudiants à leurs enseignants précaires ?