Soixante-deux nuances de tram

Mardi 25 avril, Frédéric Augis, vice-président de la Métropole en charge des transports, est venu présenter au conseil municipal de Saint-Pierre-des-Corps les projets de développement de la seconde ligne de tramway. Sous couvert de dévoiler des informations top secrètes, il s’est surtout contenté d’un enfumage généralisé.

Après La Riche, et avant Tours (le 26 avril), Saint-Cyr (mardi 2 mai), puis Chambray, et avant la commission « Mobilités » du 9 mai, Frédéric Augis, maire Les Républicains de Joué, et vice-président aux transports de Tours Métropole, fait la tournée des mairies de l’agglomération pour dévoiler les propositions relatives à la nouvelle ligne de tramway. Que ce soit clair : on vous laisse croire ce que vous voulez, et surtout on n’annonce rien !

A huis clos à chaque fois, les élus ont eu droit à une présentation des différents sillons retenus pour le futur tracé et leurs variantes. Aucun document n’est fourni, une présentation rapidement menée est proposée sur un grand écran. Le discours est encore plus édulcoré lorsque les conseils municipaux extraordinaires s’ouvrent au public :« Je viens présenter un schéma de réflexion ». Point. Discutons si vous voulez, mais « il reviendra aux maires de faire les choix finaux ». Ceux-ci ont tous eu droit à une présentation en Bureau des maires de la Métropole il y a quelques semaines... Mais il ne faut pas trop en dire publiquement non plus.

Les documents précis, seuls capables d’informer véritablement les élus et les citoyens, d’alimenter une véritable réflexion pour travailler à une délibération arriveront... plus tard. Et pas question de diffuser une information claire. Encore moins un début de choix. Il faut avant tout déminer le discours sur le tram, apaiser les tensions possibles, et Frédéric Augis s’y prend bien : renvoi des décisions finales aux délégués communautaires, écoute attentive des propositions des élus municipaux (tout en pianotant sur son téléphone quand même), soi-disant prise en compte de leurs propos qui seront rapportés à qui de droit (tout en ne prenant aucune note), dialogue courtois d’un vice président qui se dit aussi « très heureux sur son vélo électrique » (même si il en tombe parfois, nous dit-t-il) et bien content d’avoir en charge le dossier tellement il est intéressant.

A Saint-Pierre, les humeurs avaient pourtant de quoi être échauffées : rumeurs persistantes d’un tram qui ne passerait pas par la ville, confirmées par les propos de Philippe Briand il y a quelques mois qui déclarait vouloir une ligne allant de l’hôpital Trousseau à l’hôpital Bretonneau. De quoi irriter une municipalité qui a investi dans le foncier depuis de longues années (rue Jean Bonnin, notamment) pour préparer l’arrivée du tram. Sans parler aussi des coûts, sur lesquels la chambre des comptes a clairement posé les enjeux dans un rapport l’année dernière [1], rapport que Frédéric Augis n’a pas apprécié du tout.

Inquiétudes persistantes, même après les propos pourtant apaisants d’Augis. Il confirme ainsi qu’un tram passant par Heurteloup, puis Bonnin, ce serait difficile, que certains élus (sans dire lesquels) n’en voulaient pas et que techniquement il serait délicat à construire en raison du trafic, notamment celui lié à la sortie de l’autoroute.

Finalement, après des propos lénifiants sur l’impact de la première ligne de tram (« une ligne de vie », « le tram n’est pas un objet roulant mais une œuvre d’art », etc.), après avoir vanté la revégétalisation de certains espaces grâce au tram [2] et ses vertus sociales sur les quartiers estampillés « politique de la ville », après avoir exposé qu’il s’agissait aussi d’anticiper les troisième et quatrième lignes (« pour le jour ou il y aurait les fonds », sans rire), de s’inscrire dans un réseau, la présentation a tout de même laissé filtrer quelques informations :

  • Pour l’instant, 62 possibilités et variantes pour le tracé de la seconde ligne ont été étudiées.
  • 30 000 voyageurs par jour constitue la limite inférieure de la rentabilité commerciale (et on comprend bien qu’il s’agit là d’un critère essentiel).
  • Pour Saint-Pierre-des-Corps, trois scénarios seraient possibles. Le premier par la rue Jean Bonnin (puis vers la Rabaterie et la gare TGV) ; en plus des difficultés liées à l’autoroute, il présenterait le désavantage de ne pas atteindre le seuil de rentabilité commercial. Les deux autres propositions feraient venir le tram depuis la gare de Tours par la rue Édouard Vaillant (à Tours), puis le feraient passer sous l’autoroute par le très riant Point Zéro, pour aller vers la gare TGV. On voit mal comment ces deux autres scénarios pourraient à la fois desservir la gare, le quartier de la Rabaterie et repartir vers Trousseau... Le troisième n’entrant d’ailleurs même pas sur la commune de Saint-Pierre-des-Corps puisque bifurquant dès la Rotonde vers le sud de l’agglomération.

On n’en saura guère plus. La confusion est à son comble mais semble satisfaire tout le monde, chacun ayant compris ce qu’il voulait. Les personnes présentes sont reparties sans savoir finalement ce qu’il en était.

La phrase d’une conseillère municipale PCF, qui a déclaré : « J’aime beaucoup comment vous en parlez, M. Augis », résume à elle seul l’enfumage parfaitement réussi dont peut se vanter le représentant communautaire. Un artiste !

Notes

[1Soit 638 millions d’euros, intérêts d’emprunts compris. Voir l’article qu’a consacré La rotative à ce rapport.

[2Il faut croire que la revégétalisation, dans l’esprit de M. Augis, se limite à de la pelouse.