Mort de Bertrand Bilal Nzohabonayo à Joué-lès-Tours : un nouvel accroc dans la version du procureur

La police et le procureur de Tours affirment que tous les faits ayant conduits à la mort de Bertrand Bilal le 20 décembre dernier se sont déroulés à l’intérieur du commissariat. Version contestée par le Cran (le Conseil représentatif des institutions noires), photo à l’appui.

Le Cran conteste l’une des principales affirmations du procureur de Tours concernant les circonstances de la mort de Bertrand Bilal Nzohabonayo. Lors de sa conférence de presse du 31 décembre 2014, Jean-Luc Beck était catégorique : c’est un policier blessé qui était étendu sur les marches du commissariat de Joué-lès-Tours. Ce policier se serait replié sur le perron après avoir été blessé au niveau du cou et de la main. Un civil qui se trouvait à l’extérieur aurait porté secours à ce policier en enlevant son pull pour en faire un point de compression. D’après le procureur :

« C’est quelque chose qu’on voit a priori sur la photo qui a circulé sur le net. Contrairement à ce qu’il est indiqué, cette photo représente des policiers et des civils en train de s’occuper du policier blessé. En l’état de l’enquête, rien ne permet d’affirmer que Bertrand Nzohabonayo a été blessé sur le perron. L’ensemble des faits se passe à l’intérieur du sas, et ceci jusqu’à preuve contraire. »

Le 20 décembre 2014, à Joué-lès-Tours, Bertrand Bilal Nzohabonayo a été abattu après avoir blessé trois policiers. D’après les autorités, il s’agissait d’une attaque spontanée à caractère terroriste. Mais rapidement, des témoins ont remis en cause cette version des faits, affirmant que Bertrand Bilal se serait défendu suite à une interpellation violente. Le lieu de la mort de Bilal, à l’intérieur du commissariat et non à l’extérieur, constitue un élément central de la version policière.

C’est le site Médiapart, dans un article du 27 décembre [1], qui avait laissé entendre que la photo montrait Bertrand Bilal étendu sur les marches du commissariat. Mais les déclarations du procureur quatre jours plus tard visaient à mettre un terme à cette « rumeur », puisque c’est ainsi que Jean-Luc Beck qualifie toutes les hypothèses allant à l’encontre de la version officielle.

La photo en question montre bien une personne torse nu qui semble effectuer un point de compression. Mais l’homme qui fait l’objet de ces soins est un homme noir. Or, d’après le Conseil représentatif des associations noires, aucun des policiers blessés ce jour-là n’est noir : le seul homme noir impliqué dans l’altercation est Bertrand Bilal Nzohabonayo. Ces informations, révélées par le Cran lors d’une conférence de presse organisée le 7 janvier à Paris, ont été corroborées par certains journalistes présents :

Mais la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo a eu lieu le même jour, et aucun média n’a publié ces informations. Le Cran faisait aussi observer que la personne blessée « porte des habits sombres qui correspondent à ceux que portrait Bertrand ce jour-là ». Pour le Cran, c’est évidemment Bertrand que la photo montre allongé et blessé dans l’escalier [2].

Autre élément : le point de compression effectué par le civil torse nu semble porter sur les parties basses du corps de la personne gisant sur les marches. Ce qui est cohérent avec l’une des blessures mortelles de Bertrand Bilal, touché par une balle à l’abdomen, mais semble plus étrange si, comme l’indique le procureur, la personne gisant à l’extérieur a été blessée au cou et à la main.

Les affirmations du Cran concernant l’identité de la personne allongée sur les marches du commissariat contredisent un élément central de la version policière. Si ces affirmations sont exactes, cela signifie qu’une partie des faits ayant conduit à la mort de Bertrand Nzohabonayo s’est bien déroulée à l’extérieur du commissariat, contrairement à ce qu’a réaffirmé le procureur, pour qui « l’ensemble des faits se passe à l’intérieur du sas ».

La version des faits délivrée par le procureur de Tours lors de sa conférence de presse comportait au moins une autre erreur : il affirmait que les caméras de vidéosurveillance situées sur les façades du commissariat filmaient l’arrière du bâtiment, alors que l’une d’elles filme une entrée latérale et qu’une autre, orientée vers la place du Général-Leclerc, filme le portail du parking [3]. Interrogé à ce sujet par un journaliste de Rue89, le parquet de Tours a refusé de répondre.

Le magistrat reste enfermé dans un silence assourdissant depuis trois semaines face aux questions posées. Au détriment de la famille et des proches de Bilal qui voudraient comprendre ce qui s’est passé ce 20 décembre, eux qui ne croient pas que leur fils, frère et ami se soit soudainement transformé en monstre sanguinaire.