Maintien de l’ordre : les sales méthodes de la préfète

En amont de la journée de grève du 5 décembre, la préfète d’Indre-et-Loire Corinne Orzechowski a pris une série d’arrêtés visant à restreindre les possibilités de manifester. La manifestation prévue le samedi 7 décembre à 14h est interdite.

Ne surtout pas laisser la possibilité de déborder le cadre de la manifestation syndicale. Se donner les moyens d’arrêter à peu près n’importe qui. Et pouvoir se couvrir au cas où les flics se lâcheraient un peu trop. C’est ainsi qu’on peut résumer la stratégie mise en œuvre par la préfecture, notamment via deux arrêtés publiés la veille et le jour même de la mobilisation du 5 décembre. Bonus : dès le lendemain, la préfète a pris un nouvel arrêté [1] interdisant toute manifestation en centre-ville de Tours le samedi 7 décembre.

Interdiction temporaire de port et de transport d’objets pouvant constituer une arme par destination

Le premier arrêté qui nous intéresse, publié le 4 décembre, interdit « le port et le transport d’armes, toutes catégories confondues, de munitions et d’objets pouvant constituer une arme au sens de l’article 132-75 du code pénal (...) de 09h00 à 21h00 le jeudi 5 décembre 2019 sur tout le territoire de la ville de Tours ». Or, comme l’explique l’avocat Raphaël Kempf dans un article de Médiapart sur le droit de manifester, « un objet ne peut devenir une arme par destination que quand un usage en est fait ».

Pourtant, ces derniers mois, de nombreux gilets jaunes ont été placés en garde à vue et même jugés sur le fondement de l’article 222-14-2 du code pénal [2] en raison de protections qu’ils portaient, lesquelles étaient qualifiées dans le procès verbal « d’armes par destination ». C’est donc clairement de l’abus, mais ça peut permettre d’arrêter des manifestant-es sous prétexte qu’ils ont des boules de pétanque dans le coffre de leur voiture, comme on l’a vu le 5 décembre à Tours.

Interdiction de cortèges, défilés et de rassemblements revendicatifs non déclarés dans le centre-ville de Tours le jeudi 5 décembre 2019

Le deuxième arrêté est également intéressant. Publié le jour même de son application, il est, de fait, impossible à contester ; c’est la même méthode qui avait été utilisée lors de la venue de Macron à Amboise. La manifestation syndicale, déclarée en préfecture par Force Ouvrière, n’est pas interdite. En revanche, tout cortège ou rassemblement non déclaré est interdit. Comme d’habitude, la préfète agite la menace de « militants radicalisés » (sic) qui s’immisceraient au sein des cortèges :

« CONSIDÉRANT que cette manifestation, qui se déroulera dans un contexte social et revendicatif tendu, intervient à la date anniversaire des rassemblements du mouvement des « gilets jaunes » les plus violents à Tours ; que dans ces conditions, il existe un risque majeur de troubles à l’ordre public, puisqu’il n’est pas exclu que s’immiscent au sein des cortèges des militants radicalisés souhaitant s’en prendre aux forces de l’ordre et aux biens publics et privés ; CONSIDÉRANT que les risques de débordements sont particulièrement élevés à l’issue de la manifestation déclarée ; qu’en effet, lors de la dispersion, des attroupements sont susceptibles de se former par des éléments radicaux, ayant pour objectif de s’en prendre aux forces de l’ordre, de commettre des dégradations et de perturber voire bloquer la circulation du tramway dans le centre-ville de Tours  ; »

Bien sûr, les menaces de peines de prison ou d’amende n’ont pas empêché des manifestant-es de repartir en cortège spontané après l’arrivée de la manifestation ou de se rendre à proximité du commissariat [3]. N’empêche, les flics de la BAC étaient nerveux à ce moment-là ; l’un d’eux a même ressenti le besoin de se masquer intégralement le visage. On sent bien que si les flics s’étaient amusés à jouer de la matraque, la préfète aurait eu beau jeu de justifier de nouvelles violences sur le thème : « Oui mais ce cortège était interdit ».

On apprend quand même, dans cet arrêté, que le nombre de manifestant-es présent-es le 5 décembre a été deux fois plus élevé que ce qu’annonçait les services de renseignement.

Interdiction de cortèges, défilés et de rassemblements revendicatifs dans le centre-ville de Tours le samedi 7 décembre 2019

Le dernier arrêté qui nous intéresse ici vise les rassemblements et manifestations organisés samedi après-midi. Depuis plusieurs mois, la préfète multiplie les arrêtés interdisant les rassemblements le samedi, visant spécifiquement le mouvement des gilets jaunes. Cette fois-ci, l’assiette de l’interdiction semble plus large. Alors que l’arrêté du 18 octobre visait dans son titre « les cortèges, défilés et rassemblements revendicatifs non déclarés du mouvement dit des "gilets jaunes" dans le centre-ville de Tours le samedi 19 octobre 2019 », l’arrêté du jour semble plus large, puisqu’il vise « les cortèges, défilés et rassemblements revendicatifs dans le centre-ville de Tours le samedi 7 décembre 2019 » ; la mention des gilets jaunes a disparu dans le titre [4]. La préfète semble donc viser également la manifestation décidée lors de l’assemblée générale interprofessionnelle qui a suivi la manifestation du 5 décembre, appelant à un rassemblement place Jean Jaurès le 7 décembre à 14h.

Tous ces arrêtés d’interdiction qui s’accumulent témoignent de la passion de Corinne Orzechowski pour la répression. Semaine après semaine, elle agite vainement ses menaces de peines de prison et d’amendes dans tous les sens, dans l’espoir dérisoire d’empêcher les gens de se rassembler pour manifester leur colère. Et quand cela ne suffit pas, elle envoie ses flics, cagoulés et hargneux, dont le comportement ressemble de plus en plus à celui d’une milice.

P.-S.

À ce sujet, lire aussi l’article du site Rapports de force, « Gilets jaunes : les interdictions de manifestation, l’autre face de la répression »

Notes

[2Cet article sanctionne le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens.

[3D’autant plus que l’arrêté d’interdiction n’avait reçu aucune publicité.

[4En comparant les arrêtés, on a découvert que la préfète avait également pris un arrêté visant à interdire les actions de désobéissance civile prévue dans le cadre du « Black Friday », le 29 novembre dernier... Voir l’arrêté sur le site de la préfecture.