Haut de la rue Nationale : et si on les prenait au sérieux ? (3/2)

On peut analyser le réaménagement du haut de la rue Nationale — dans son contenu autant que dans la communication qui l’accompagne — comme un projet qui synthétise en un même lieu tous les poncifs de l’urbanisme contemporain. Mais on peut aussi décider de changer de point de vue en prenant les invitations des promoteurs du projet au sérieux.

La langue de bois ne s’adresse finalement qu’à ceux qui y croient, et il n’est pas bien difficile de faire craqueler le vernis. Mais, au fait, et si on faisait partie des naïfs ? Retournons le gant ! Plutôt que d’essayer de lire ce qui se cache derrière les jolies images et les beaux discours autour du projet, prenons les au sérieux et répondons à l’appel. L’architecte Andrew Hobson nous dit que « le quartier manque de pep’s, manque de vie » ? On va lui en redonner.

Il faut être dans le « re » ? [1] Renouons avec la Loire. Faisons fi des caméras et des contrôles de police récurrents, et rendons-nous en masse sur les quais. Pas pour boire des coups dans une guinguette aseptisée et ultra-subventionnée (295 000€ d’investissements publics pour 2015 [2]) mais bien pour habiter les lieux et nous enjailler librement dans ce cadre exceptionnel. En plus, on est sympa : on fera gratuitement l’animation pour les touristes.

La mairie nous invite carrément à faire du haut de la rue Nationale un lieu « incontournable de rassemblement ». Elle précise même sa pensée en mettant dans le même sac « marchés de Noël » et « spectacles improvisés de théâtre de rue ». Si on n’a aucun doute sur le fait que des évènements commerciaux comme ce genre de marchés ou des saloperies type Sosh Truck ou autres happenings commerciaux ne manqueront pas de se dérouler sur place, on se charge pour notre part de l’animation « improvisée » et, même, spontanée.

On a bien vu sur les images en 3D qu’il y aura une grande et joyeuse occupation des lieux [3] mais on a un peu peur de lire dans la mise en vis-à-vis d’« événements culturels et festifs » et d’« une certaine qualité de vie urbaine » que celle-ci correspond surtout à la recherche d’une normalisation de l’occupation des lieux dans une conception toute bourgeoise de la « qualité ». Une peur qui se renforce chez nous alors que la mairie lance parallèlement une campagne contre les nuisances sonores. On comprend bien l’idée de la mairie : il ne faudrait pas que les clients des hôtels Hilton soient perturbés dans leur sommeil, ils payent pour profiter de ce « lieu pour tous », eux !

Autant prévenir tout de suite, si on est prêt à renouer avec la tradition des fêtes populaires [4], ce n’est pas pour le faire sagement, en silence, et dans le respect des convenances.

Hervé Lajeunesse et Martin Sodjak

Lisez ou relisez « Objectif fric » et « Une leçon de langue de bois urbanistique », les deux premières parties de cette lecture du projet de renouvellement du haut de la rue Nationale.

Notes

[1Cf. « Une leçon de langue de bois urbanistique », seconde partie de notre article analysant le projet de réaménagement de la rue Nationale.

[2295 958 €, soyons précis à l’euro près. Notons qu’il ne s’agit pas là de la subvention à la Guinguette mais mais du coût total estimé de l’opération Tours sur Loire. Notons aussi que la ville sollicite la Région Centre (à une hauteur « la plus élevée possible ») et l’agglomération (pour une contribution de 80 000 €) pour l’aider à financer la chose. Source : compte-rendu de la séance du conseil muncipal du mardi 7 avril 2015, p.10, relevé de décision n°29.

[3Notons sur ces images la très large présence de femmes jeunes vêtues de façon estivale, l’absence de personnes handicapées et la quasi-absence de personnes de couleur. C’est (malheureusement) un grand classique mais ça mérite d’être à nouveau souligné.

[4Même si une autre tradition locale est de les combattre comme en témoigne le pamphlet de Paul-Louis Courier, « Pétition pour des villageois qu’on empêche de danser ».