Université, portraits de « précaires » : Lucile

Partout en France, les mouvements engagés par les collectifs précaires se poursuivent. Pour cette rentrée 2014, certains précaires ont accepté de témoigner. Ils racontent ce qu’est concrètement la précarité à l’université. Voici le quatrième portrait de cette série : celui de Lucile [1], enseignante-vacataire. Il a été rédigé et diffusé par le collectif des vacataires de l’université Lyon 2 sous le titre "Lyon 2 et la précarité : le quotidien des enseignantEs-vacataires".

Je suis doctorante à l’université Lyon II mais aussi chargée de TD vacataire. Ces heures d’enseignement constituent mon unique source de revenu puisque dans les sciences humaines 2 doctorants sur 10 peuvent espérer une bourse doctorale pour financer leur thèse. Voici un bref résumé de mes galères quotidiennes.

Pendant l’été, des professeurs de mon département m’ont proposé de faire des vacations d’enseignement. J’ai tout de suite accepté car c’est quand même 30€ nets de l’heure, ce qui devrait me permettre de lâcher mon petit boulot et de garder du temps pour mon doctorat.

Une semaine avant la rentrée
, j’obtiens enfin mes créneaux horaires... En plus, ce n’est pas de chance, mes quatre groupes de TD sont répartis sur trois jours différents. On m’explique que c’est comme ça et qu’il n’y rien à faire.

Le jour de la rentrée
, je découvre qu’un badge dont on ne m’avait jamais parlé est nécessaire pour ouvrir la porte et je reste dix minutes à attendre un collègue pouvant m’ouvrir avec les étudiants. Le lendemain, j’apprends que mon 4e TD a été supprimé sur décision budgétaire, voila 1/4 de mon salaire qui vient de disparaître sans avoir pu donner mon avis.

Après une semaine de cours,
je m’inquiète de n’avoir toujours aucun contrat de travail. On m’explique alors qu’il faut d’abord payer mes frais d’inscription en tant que doctorante (400 euros) ainsi que la cotisation à la sécurité sociale parce que l’université a décidé de ne pas en payer pour les vacataires (200 euros). Donc si je comprends bien, avant même d’avoir touché le moindre salaire, je dois débourser 600 euros et les verser à mon employeur ! Voici un autre quart de mon salaire pas encore perçu qui vient de disparaître lui aussi ! Car mes premiers cours datent de la mi-septembre et je n’ai toujours rien reçu sur mon compte en banque. Un collègue m’explique que l’université me paiera mes heures de septembre 3 mois après le début des cours soit fin novembre, mes heures d’octobre fin décembre et ainsi de suite.

Mi-décembre
, les cours viennent de finir et j’ai encore 45 dossiers de groupe à corriger pendant les vacances de Noël ! Côté financier, je me suis pas mal endettée auprès de mes amis et de ma famille, j’ai fait des petits boulots...parce qu’il est toujours difficile de vivre avec une feuille de paie qui oscille entre 300€ et 600€. Du coup je fais le compte. Pour chaque cours d’1h45, il me faut entre 3h et 4h. Et encore, il y a des sujets sur lesquels je fais le strict minimum. Pour chaque groupe de TD, je passe aussi 1h30 par semaine en interaction avec les étudiants (réponses à leur question sur ma messagerie, rdv d’orientation, etc.). Dans l’idéal je devrais en faire beaucoup plus, parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’autres interlocuteurs, mais j’ai une grosse pression pour finir ma thèse rapidement, donc je ne réponds pas toujours. Même si, comme me le disent gentiment mes parents, « 4h30 de cours par semaine, ce n’est quand même pas la mer à boire ! », ça représente en réalité plus d’un mi-temps.

Début janvier, je reçois un message de convocation pour la surveillance de deux examens la semaine suivante, soit 6h qui ne seront pas rémunérées. Cerise sur le gâteau je dois aussi corriger gratuitement 150 copies en dix jours parce que le professeur responsable du cours a eu la gentillesse de me confier de « nouvelles responsabilités ». Comme je suis consciencieuse, j’ai annulé ma participation à un séminaire de recherche pour m’y mettre…

Bilan de cette expérience : l’université, elle, ne me reconnaît que 54 heures de cours qui ne m’ouvriront aucun droit pour le chômage, la sécurité sociale ou la retraite car elle ne comptabilise ni les heures de préparation de cours, ni le travail de correction, ni la surveillance des partiels, ni les réunions pédagogiques. Avec ça je vais toucher entre fin novembre et fin mars environ 2100 euros net. Pour être juste il faudrait d’ailleurs retirer les frais d’inscription, l’assurance maladie et le coût du transport. Eh oui, l’université refuse de me payer le transport ou de me rembourser 50% d’une carte d’abonnement. En un semestre j’ai fait l’expérience de l’envers du décor de l’université française : je suis devenue vacataire.

Message et revendications du collectif de vacataires de Lyon 2

Ce témoignage fictif mais néanmoins basé sur des faits réels n’est pas du tout un cas isolé, il rend compte de la réalité de milliers de vacataires qui assurent aujourd’hui une grande portion des TD et une partie de plus en plus importante des CM de l’université. L’université profite de leur précarité et du faible nombre de postes pour les mettre en concurrence et en faire une main-d’œuvre aussi peu coûteuse que docile. Qui le croirait ? L’enseignement supérieur public fonctionne grâce à une armée de vacataires dont les conditions de travail soulèveraient l’indignation générale si elles étaient appliquées dans une entreprise du secteur privé.
À travers le problème des vacataires de l’université, c’est la question vitale de la qualité du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche qui se pose. C’est notre avenir à tous qui est en jeu !

Nous exigeons que le droit du travail soit enfin respecté pour les vacataires de l’enseignement supérieur ! Nous demandons :

  • Exonération des frais d’inscription pour les vacataires employés par l’université.
  • Rémunération prenant en compte les heures réelles de travail effectuées et paiement par l’université des cotisations sociales associées.
  • Paiement mensualisé des heures effectuées dans le mois à la fin du mois.
  • Augmentation massive du nombre de contrats statutaires (Contrats doctoraux, ATER, MCF)
  • Signature d’un véritable contrat de travail à durée déterminée avant le début des cours.
  • Transparence sur les critères de recrutement et publicité des offres.
  • Engagement ferme de l’employeur sur un volume horaire et un emploi du temps un mois avant le premier cours.
  • Prise en charge d’une couverture maladie par l’employeur.
Appel à témoignages

Le collectif des salariés précaires de l’Université de Tours a lancé un appel à témoignages. Il s’agit de la rédaction de portraits/témoignages de précaires de l’Université à proposer sur La Rotative. Le collectif invite les personnes qui se sentent concernées à rédiger, seules ou à plusieurs, des textes pour raconter ce qu’est concrètement la précarité à l’université (les textes peuvent tout à fait être anonymisés !). Pour savoir comment écrire un article, il suffit de cliquer ici. Cet appel à témoignage s’étend bien au-delà des murs de l’Université de Tours et s’adresse aux précaires de tous les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, qu’ils soient enseignants, chercheurs ou BIATSS. Si l’idée vous intéresse n’hésitez pas à contacter le collectif : collectifprecairesuniv37 [chez] gmail.com.

Galerie de portraits de salariés précaires de l’université :

  • Marc, enseignant-vacataire, donne 380h de cours par an pour moins de 900€/mois.
  • Thomas, doctorant et ancien ATER payé 6 mois pour bosser toute l’année.
  • Sandra, secrétaire en colère.

Photo de Audrey Amri ; Bron, amphi culturel.

Notes

[1Prénom aléatoirement proposé par le Collectif des salariés précaires de l’Université de Tours.