Tours et Poitiers, des aéroports déficitaires et gavés d’aides publiques

L’ONG Transport & Environment vient de publier un rapport sur les aides publiques aux aéroports desservis par Ryanair à travers l’Europe. L’ONG critique les subventions publiques à des aéroports déficitaires et subventionnés au détriment du climat. Parmi les aéroports français directement concernés, on trouve Tours et Poitiers.

Déjà fin 2018, un article publié sur la Rotative constatait la folie des décideurs locaux au vu des objectifs de développement annoncés pour l’aéroport de Tours, « entre l’inconscience et la connerie, pour satisfaire des ambitions dérisoires », et ce malgré les alertes climatiques à répétition.

Pourquoi s’intéresser à Ryanair ?

Parce que cette compagnie est en première place au classement des compagnies aériennes en nombre de passagers transportés en Europe et l’une des compagnies qui engrangent le plus de bénéfices (1,02 milliard d’euros en 2018 malgré une baisse une des tarifs d’environ 6 % d’après les chiffres de l’entreprise). Ryanair est aussi entrée au top 10 des entreprises les plus émettrices de CO2 en Europe en 2018, aux côtés des centrales à charbon. Par ailleurs, son modèle économique s’appuie sur les subventions publiques, et la croissance record de ses émissions de CO2 (+6,8% en 2018) est grassement alimentée par les aides publiques [1]. Et ce malgré des conditions de travail déplorables et des pratiques illégales au sein de la compagnie, qu’évoquait une enquête du journal Le Monde publié le 20 mai dernier :

« Des « salaires » de moins de 500 euros par mois, des hôtesses et des stewards contraints de se loger à cinq dans une chambre d’hôtel, des personnels obligés de « choisir de manger ou de payer leur loyer ». (…) Habituée à flirter avec les limites des législations sociales en Europe, déjà mise en cause en 2014 pour travail dissimulé, elle est une nouvelle fois vilipendée pour ses mauvaises pratiques.  »

Des aéroports déficitaires malgré des millions versés chaque année par des subventions publiques

Selon l’étude de Transport & Environment publiée le 15 juillet 2019 [2], 17 des 224 aéroports Ryanair seraient déficitaires et 35 seraient dépendants d’aides publiques néfastes pour le climat. Parmi ces derniers, près de la moitié des aéroports listés sont situés en France (16) et en Italie (7). C’est la France qui héberge le plus grand nombre des aéroports listés. On y retrouve sans surprise les aéroports de Tours et Poitiers. Selon La Nouvelle République [3], « en 2018, l’aéroport civil de Tours a accueilli 181 424 passagers (en baisse de fréquentation de 4,7 % par rapport à 2017) dont 96 % de passagers sur lignes à bas coût. Les premières destinations sont Porto et Londres, avec 49 000 passagers chacune, soit à elles deux 54 % du trafic opéré par Ryanair ».

L’ONG Transport & Environment, dont sont membres France Nature Environnement (FNE) ou la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), recommande la suppression de ces aides publiques, condition essentielle pour enrayer la hausse du trafic aérien et respecter les engagements pris par les États de lutter contre le dérèglement climatique.

En 2018, les aides publiques à l’aéroport de Tours s’élevaient à 960 000 euros pour la Région Centre Val-de-Loire, 907 000 euros pour le Conseil Départemental d’Indre-et-Loire et 900 000 euros pour Tours Métropole, soit près de 2,8 millions d’euros (sans compter les financements de l’État aux travaux d’infrastructures et de maintenance puisque 70% des mouvements actuels d’avions concernent l’école de chasse et l’activité militaire de la base aérienne). Difficultés financières obligent, la Chambre de Commerce et d’Industrie Touraine se retire du financement. La fête continue pourtant car les élu·es de Tours Métropole ont voté en 2019 une augmentation du soutien à l’aéroport de 400 000 euros pour atteindre 1,3 million d’euros, soit autant que le budget consacré à l’énergie. La métropole, avec une priorité donnée au développement durable claironné et affichée, rate son décollage.

Et à Poitiers ? La situation est globalement la même sur cet aéroport. « Comme la plupart des petites structures aéroportuaires, l’aéroport de Poitiers est déficitaire. Il ne survit donc que grâce aux subventions publiques ou parapubliques. Jusqu’à présent, les plus gros contributeurs sont la CCI de la Vienne, le département, et Grand Poitiers, qui apportent chacun environ 700 000 euros par an, soit plus de 2 millions d’euros à eux trois. Chaque année. Difficultés financières obligent, la CCI se retire. » explique Olivier Bouba Olga, professeur à l’Université de Poitiers sur son blog. De quoi calmer les délires et incantations à propos de la pertinence du soutien public aux compagnies low cost et des retombées pour le territoire.

« Imaginer l’aéroport de demain » à Tours

Les décideurs locaux ne manquent pourtant pas d’énergie pour maintenir cet équipement sous perfusion en activité, qui coûte cher en argent public et bénéficie peu à la population, en tous cas assurément pas pour des services du quotidien [4]. En effet, l’école de chasse et les militaires auront filé sur Cognac d’ici 2021. Objectifs annoncés pour prendre le relais : développer les vols réguliers « vers de grandes villes européennes », les vols médicaux pour le CHU de Tours et les atterrissages d’avions privés pour les voyages d’affaire. Bientôt la communication aéroportuaire fera de l’avion un incontournable de la santé publique.

« Notre ambition est de faire de cette zone d’activités une plateforme d’innovations pour imaginer ici l’aéroport de demain », déclare tout à fait sérieusement à La Nouvelle République Antoine Sadoux, directeur du Syndicat mixte qui gère l’aéroport. Au Salon du Bourget fin juin dernier [5], des mâles blancs grisonnants élucubraient et présentaient leurs délires technophiles : tour digitale, plateforme d’innovations pour les drones à hydrogènes, « quartier d’affaires » sur les terrains libérés par l’armée [6].

L’avenir de l’aéroport se « dessine en pointillés », bien éloignés pourtant. Et sans aucun doute, les millions d’euros économisés seraient dès à présent bien mieux utilisés pour les habitant·es de Tours et des alentours, par exemple pour améliorer l’accès à la mobilité du quotidien, développer les transports collectifs, améliorer les infrastructures cyclables (offrir un vélo aux élus tourangeaux peut faire partie du lot) ou encore expérimenter la mobilité périurbaine sans pétrole.

Notes

[1Comme le rapporte par exemple le Réseau Action Climat sur son site. Déjà dans son rapport de 2007, la Cour régionale des comptes notait que sur la période 1999-2005, le montant total des subventions publiques s’élevait à 7 271 319 euros. Depuis 20 ans donc, les élus locaux, départementaux et régionaux votent chaque année des aides publiques qui abondent l’activité de Ryanair.

[2Voir le rapport complet sur le site de l’ONG (en anglais).

[3Voir en ligne.

[4Comme l’explique le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) dans son rapport sur le maillage aéroportuaire français de 2017, Tours et Poitiers figurent parmi les aéroports d’import de voyageurs (comme des dizaines d’autres aéroports régionaux), assis sur une base à dominante touristique et accueillant majoritairement du trafic import, souvent à dominante bas coûts. A Tours, 96% du trafic de passager·ères concerne des vols Ryanair et 85% de ce trafic des vols internationaux (Londres et Porto). Comme pour les offres de type Airbnb, ce sont majoritairement des publics aisés qui bénéficient du low cost et d’une offre à bas coût pour voyager plus souvent et plus loin (voir par exemple le résultat d’une enquête d’Alibabuy.com en 2015), et non de familles qui par exemple ne partent pas en vacances.

[5Voir en ligne sur La Nouvelle République.

[6Ironie du sort, au même moment la chaîne Arte programmait le documentaire Berlin Tempelhof, aéroport berlinois fermé en 2008, par la suite reconverti en parc et dont les hangars sont aujourd’hui transformés en centre d’accueil temporaire pour réfugiés. A voir en ligne jusqu’au 22/09/2019.