Empire familial et évasion fiscale
Le patron du nouveau Starbucks n’est pas n’importe qui. Didier Desassis est déjà propriétaire d’une multitude de restaurants, dont les Quick de l’agglomération tourangelle (qui sont en train d’être transformés en Burger King). La brasserie Newlita place Jean Jaurès est gérée par sa femme, le Starbucks sera géré par son fils. Un empire familial de la bouffe de merde et de la franchise américaine est en train de se construire sous les yeux émerveillés des consommateurs tourangeaux.
Desassis n’aime pas qu’on critique ses partenaires commerciaux. Alors, à ceux qui auraient la mauvaise idée de soulever que Starbucks est un champion de l’évasion fiscale [1], il répond :
« Avec 2 000 salariés en France Starbucks a un impact lourd sur l’économie. Nous payons 8 à 9 millions d’euros de charges et 3 millions de taxe professionnelle ».
Le journaliste d’Info-Tours se contente peut-être d’une réponse aussi débile, mais ça s’appelle un enfumage de grande classe. Le fait que Starbucks paye des cotisations sur les salaires versés à ses employés (des « charges » en langage patronal), c’est un peu le minimum. Mais essayez d’aller raconter à la direction des impôts que vous ne payerez pas votre impôt sur le revenu, parce que vous avez déjà payé des cotisations sur votre salaire... vous serez bien reçu. Quant au payement de la taxe professionnelle, c’est ce qui justifie que les élus déroulent le tapis rouge à des marques comme celle-là quand elles s’implantent dans leur ville.
Si Desassis n’aime pas donner de l’argent à l’État et aux collectivités, il aime bien en recevoir par contre. Quand il occupait le poste de président du Tours Volley Ball, il ne rechignait pas sur les généreuses subventions versées par l’agglomération et la mairie de Tours (on parle de centaines de milliers d’euros). Notons que ce type de subvention est généralement justifiée par les vertus de l’activité sportive sur les populations ; ça fait un peu tâche quand le patron du club de sport vend des millions d’euros de malbouffe à cette même population.
La puissance de la marque
L’installation de ce Starbucks témoigne aussi de la puissance des grandes marques dans la société capitaliste. La queue qui s’est formée devant le magasin le matin de l’ouverture fait penser aux queues devant les magasins Apple le jour du lancement d’un nouveau produit, ou à l’effet créé par l’ouverture d’un nouveau Burger King [2]. Fascinées par la puissance d’un logo et les vertus magiques associées au produit vendu, des foules se pressent pour capter un peu de l’image « positive » associée à la marque. Il s’agit « d’en être ».
Les 150 premiers clients tourangeaux se voyaient offrir un mug, qui décorera éternellement leur étagère Ikea. Et ils se saigneront les veines à Noël pour se payer un ordinateur Apple, histoire de se conformer à une image régulièrement associée aux magasins Starbucks, qui veut qu’on y sirote son « frappuccino » en tapotant négligemment son premier roman sur le clavier de son McBook [3].
« C’est la folie Starbucks ! »
L’ouverture de ce nouveau magasin aura été accompagnée avec enthousiasme par les élus et la presse locale. L’adjointe au commerce et candidate Les Républicains aux élections législative, Céline Ballesteros, est venue assister à l’inauguration du magasin, pour déclarer ensuite sur sa page Facebook :
Je tiens à remercier ceux qui ont œuvré à l’installation de la chaine. Tours est la troisième ville de l’Ouest du pays à accueillir un Starbucks après Nantes et Bordeaux. Ce qui témoigne de son attractivité et de son dynamisme !
Le maire nous avait servi le même discours à l’ouverture d’un magasin Nespresso rue Nationale, la marque ayant choisi de s’installer à Tours avant de s’implanter à Rennes ; il déclarait alors : « On est en comparaison avec des villes de cette taille-là ! » [4]. A croire que les élus accordent des vertus miracles aux marchands de café trop cher, et que cette boisson leur permet de soulager leur sentiment d’infériorité vis-à-vis des villes voisines.
La presse n’y est pas allé de main morte concernant l’ouverture de ce Starbucks, avec pour point culminant un article de La Nouvelle République intitulé « C’est la folie Starbucks place Jean-Jaurès à Tours ! ». La courageuse journaliste n’avait pas hésité à recueillir des témoignages dans la foule présente le jour de l’ouverture, pour nous livrer des récits bouleversants. Exemple :
« J’ai déjà partagé une photo de mon café sur Facebook », expliquait Angelina, venue avec Samuel, le couple trentenaire ayant découvert l’enseigne lorsqu’ils vivaient en Allemagne.
La journaliste reconnaissait également le rôle joué par la presse dans cet engouement :
« Beaucoup de jeunes Tourangeaux avaient prévu d’aller au premier Starbucks de la région (...) la presse et les réseaux sociaux ayant tambouriné la nouvelle ces derniers jours »
De fait, l’arrivée de ce magasin place Jean Jaurès est feuilletonnée depuis des mois par la presse locale, de La NR à France Bleu, qui ont ainsi fait économiser à Desassis & fils de coûteuses dépenses publicitaires. Vivement l’ouverture du deuxième magasin.
Photos par Andrew, Mightykenny et Max Braun.