Philippe Briand et les danseuses de samba : éléments d’analyse d’un buzz

Si le président de la métropole de Tours a reconnu qu’une erreur avait été commise à l’occasion de l’inauguration de la station d’épuration de Luynes, cela ne doit pas occulter les questions que posent cet épisode en termes d’image des femmes.

Le 7 octobre dernier, le compte Facebook de la métropole publiait une photo de l’inauguration de la station d’épuration de Luynes, mettant notamment en scène Philippe Briand, le président de l’intercommunalité. Très rapidement, les commentaires fleurissent, dénonçant le sexisme de la mise en scène. En effet, les élus encravatés qui se chargent de couper le ruban tricolore sont entourés de deux danseuses de samba vêtues de jupes courtes et de brassières. Le contraste entre ces cinquantenaires grisonnants en costume et ces jeunes femmes produit un effet assez désastreux.

D’heures en heures, le nombre de partages de la publication et de réactions s’amplifie. La photo circule également sur Twitter, où elle devient virale. Certains médias locaux commencent à reprendre l’information, puis c’est la presse nationale qui s’en empare, alléchée par la perspective d’attirer des clics sans efforts : on reprend la photo, on ajoute quelques captures d’écrans de commentaires indignés, on met trois lignes de contexte et on s’assure quelques milliers de visites pour pas cher. Les titres parlent de « femmes dénudées » (France Info) ou de « femmes en petites tenues » (Le Huffington Post) pour se garantir un bon buzz.

La jupette ou le niqab

Dans un premier temps, le président de la métropole déclare qu’il ne prendra pas la parole sur le sujet. Et puis finalement, il « reconnait une erreur ». Dans un article publié par France Bleu Touraine, l’élu explique :

« C’est une erreur aujourd’hui de mettre des jeunes femmes dans cette tenue, sur le coup cela n’a marqué personne, tout le monde a trouvé l’ambiance plutôt généreuse et sympa, mais, à notre époque, il faut faire attention à la production d’images et au regard que cela peut porter sur la femme, donc si c’était à refaire naturellement cela ne se referait pas" »

A l’inverse, le premier adjoint à la mairie de Luynes, Gilles Ferrand, s’est élevé dans un post Facebook contre « les réactions de certains pisse-froid », et faisait mine de s’inquiéter :

« Il y a une quarantaine d’années nous aurions vu pour la même occasion des majorettes avec des jupettes pas plus large qu’un cache-nez mais personne ne s’en serait offusqué ! Je pense que nous nous dirigeons vers une société où l’on va finir par interdire les carnavals avec leurs danseuses (...) car "l’image de la femme" y est dégradée... Probablement nous aurons des danseuses en niqab car ce doit être plus "politiquement correct" pour certains. »

Pour l’élu UDI, la dénonciation du sexisme serait forcément une forme de soumission au rigorisme religieux — musulman en l’occurrence —, et on n’est pas loin des thèses d’extrême-droite sur le grand remplacement. Cette sortie, à la fois raciste et sexiste, n’est pas sans rappeler certains propos qui avaient fleuris suite à l’affaire DSK, accusé de viol par une femme de chambre d’un hôtel new-yorkais : le pauvre homme n’avait rien fait de mal, il était simplement victime du « puritanisme américain » [1]. Même son de cloche récemment, à l’occasion de la vague de dénonciations d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux via le hashtag #balancetonporc : pour l’intellectuel médiatique Alain Finkielkraut, « on est en train de transformer la France en province de l’Amerique néo-puritaine » [2]. Les hommes comme Gilles Ferrand veulent des femmes à moitié nues et livrées à leur convoitise : les autres sont renvoyées dans les rangs des religieux-ses, des pisse-froid et des peine-à-jouir.

« Attention à la production d’images »

Dans sa déclaration suite à cette affaire, Philippe Briand affirmait qu’il « faut faire attention à la production d’images et au regard que cela peut porter sur la femme ». Or, la production d’images assurée par la métropole qu’il dirige est éminemment sexiste. Un article publié sur La Rotative une semaine seulement avant l’inauguration de la station d’épuration de Luynes montrait comment les femmes élues au sein du conseil métropolitain étaient invisibles dans les pages du magazine officiel de la collectivité ou sur les réseaux sociaux. La plupart des inaugurations et célébrations sont exclusivement menées entre hommes.

En comparaison du buzz provoquée par la photo sur laquelle figurent les deux danseuses, cet article est passé relativement inaperçu. Alors que la présence sur la photo de femmes en jupes et brassières a énormément fait réagir (et à juste titre), la publication régulière de photos dont les femmes sont totalement absentes semble avoir été intégrée comme une situation normale. Ce sont pourtant les mêmes dynamiques sexistes qui sont à l’origine de l’absence totale de femmes ou de leur présence en qualité de faire-valoir.

Si l’on en croit l’élection de Miss Centre-Val de Loire qui s’est tenue le 20 octobre au soir à Châteauroux, il y a encore du chemin à parcourir avant que les mentalités évoluent réellement : personne ne s’est offusqué que seize candidates âgées d’une vingtaine d’années défilent en maillot de bain et talons hauts devant Gil Avérous, maire et président de Châteauroux Métropole, qui était évidemment vêtu d’un costard-cravate pour l’occasion.

Illustration : inauguration de l’hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois,1973

Notes

[1Lire Les informulés d’une rhétorique sexiste par Mona Chollet. Sur le même sujet, voir aussi Un troussage de domestique par Christine Delphy, éditions Syllepse, 2011.

[2Propos tenus à l’occasion d’une émission télévisée.