Une focalisation sur la sécurité
Sur le plateau de la télé locale, Elise Pereira-Nunes annonce d’abord que la ville de Tours prévoit de mettre en place des marches exploratoires qui ont pour objectif de réaliser un diagnostic des espaces publics générateurs d’un sentiment d’insécurité. Les participantes aux marches exploratoires repèrent dans l’espace public, d’après les mots de l’adjointe, « tout ce qui peut être générateur d’un sentiment d’insécurité, ça peut être un éclairage public un peu défaillant, ça peut être de la végétation qui dissimule un peu trop les corps quand ils essaient de passer d’une rue à l’autre, ça peut être le stationnement aussi ». Après ce diagnostic, l’objectif pour la ville est de travailler sur l’urbanisme afin de réduire ce sentiment d’insécurité.
Les marches exploratoires de la ville se focalisent ainsi, comme c’est souvent le cas [2], sur la thématique de la sécurité. D’ailleurs, le guide méthodologique qui a servi à la ville de Tours pour organiser ces marches exploratoires est celui du comité interministériel des villes et a un sous-titre explicite : « Des femmes s’engagent pour la sécurité de leur quartier » [3]. La focalisation sur cette thématique fait ainsi écho aux dérives sécuritaires des maires Europe Ecologie-Les Verts [4]. Pour la municipalité, se concentrer sur la thématique de la sécurité dans l’espace public est intéressant dans la mesure où ce sujet leur permet de fédérer l’ensemble de l’opinion publique, des acteurs locaux et des élu.e.s, et notamment ceux.elles d’opposition, sur la question de l’égalité des femmes et des hommes, qui demeure sinon peu consensuelle.
Pour les chercheuses Claire Hancock et Marylène Lieber, ces marches exploratoires assignent aux femmes un rôle ambigu, « qui prolonge leur assignation à des tâches domestiques à l’intérieur du foyer : “faire le ménage” en pointant du doigt les indésirables et les gêneurs du quartier, (…) en indiquant les dépôts sauvages d’ordures, les lieux mal entretenus, mal éclairés » [5]. Les femmes sont dès lors tenues responsables de l’espace local, dont elles deviennent les gardiennes [6]. Cette focalisation sur la sécurité répond à d’autres stéréotypes pesant sur les femmes, les considérant comme « des victimes en puissance » [7]. Cette vision nourrit les représentations sur les femmes comme êtres fragiles à protéger.
Les quelques exemples de facteurs de sentiment d’insécurité donnés par Elise Peirera-Nunes (éclairage, végétation, stationnement) traduisent une vision restrictive des violences subies par les femmes dans l’espace public. Ainsi, la violence dans l’espace public est comprise uniquement comme celle due au harcèlement de rue, de la part d’inconnus. Une partie des violences prenant place dans l’espace public demeure hors de champ de vision de la ville. Ainsi, alors que les travailleuses du sexe mettent en avant que le principal harcèlement qui pèsent sur elle est d’origine policière [8], ces violences ne semblent pas prises en compte, ce qui contribue à marginaliser les expériences des femmes qui en sont victimes. L’un des dispositifs mis en place par la ville de Tours propose d’ailleurs d’orienter les victimes de harcèlement de rue vers les associations ou vers la police municipale, supposant que cette dernière serait apte à accueillir des victimes, quand bien même des témoignages font régulièrement état du mauvais accueil réservé aux victimes de violences sexistes et/ou sexuelles.
La sécurité des femmes dans l’espace public est un sujet essentiel pour garantir un égal accès des femmes à l’espace public. Cela dit, le sentiment d’insécurité n’est pas l’unique discrimination sur la base du genre dans l’espace public. L’espace public est discriminant également dans la mesure où il est principalement approprié et occupé par les hommes. Si le site de la ville [9] mentionne bien une action pour adapter l’espace public aux usages des femmes [10], il est regrettable que les marches exploratoires n’abordent pas ces questions et se restreignent à la thématique de la sécurité.
« Not all men »
L’adjointe annonce ensuite que deux marches exploratoires ont pour l’instant été réalisées, une dans le Vieux Tours et une dans le quartier du Sanitas, avec une volonté déclarée de l’étendre à tous les quartiers de Tours. Ce ciblage géographique de la question du harcèlement de rue pose question [11].
En choisissant le Sanitas, un quartier estampillé « politique de la ville » et « quartier de reconquête républicaine », la ville de Tours semble prioriser le harcèlement attribué aux hommes issus des classes populaires et d’origine immigrée. Ce choix traduit (et contribue à perpétuer) l’invisibilisation des attitudes problématiques des hommes de l’ensemble des milieux sociaux. Ce constat rejoint les résultats de la littérature scientifique qui souligne que la focalisation sur cette thématique de la sécurité des femmes dans l’espace public peut être instrumentalisée et contribuer par là même à la mise en place de politiques racistes et antipauvres [12]. Certains programmes s’intéressent ainsi exclusivement aux femmes des quartiers politiques de la ville considérant que le sexisme existe d’abord où les classes populaires et d’origine immigrée résident [13].
Le choix du Vieux Tours interroge également, puisqu’il s’agit visiblement de restreindre les comportements de harcèlement sexiste aux individus en état d’ébriété et, de ce fait, dédouaner l’ensemble des hommes. L’adjointe au maire déclare enfin : « On ne parle pas de tous les hommes, on parle des hommes qui sont agresseurs, on parle des hommes qui sont harceleurs (…) la plupart des hommes sont des alliés, sont engagés et ne veulent pas de cette étiquette de harceleurs ». Cette phrase traduit l’absence de reconnaissance du caractère structurel des violences patriarcales par la ville de Tours. Selon cette vision, les violences sexistes ne sont dues qu’à une poignée d’hommes, les « agresseurs » ou les « harceleurs ».
Cette phrase montre aussi le refus d’éduquer l’ensemble des hommes et de leur faire prendre conscience qu’ils exercent tous des violences sexistes envers les femmes. Ce refus de les éduquer s’inscrit dans une volonté de ne pas les sortir de leur zone de confort, en ne leur faisant pas remarquer leurs comportements problématiques. De plus, dans le cadre de cette interview, se pencher sur ce que ressentent les hommes équivaut à se détourner du vrai sujet : les discriminations subies par les femmes. Ainsi, la ville ne semble pas reconnaître le caractère structurel de la domination patriarcale et réduire les comportements sexistes à certains groupes sociaux.
Logo de l’article : Gustave Deghilage.