Caméra mobile, surveillance de halls, vidéo-verbalisation : Emmanuel Denis se convertit pour de bon à la vidéosurveillance

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Ancien opposant aux dispositifs de vidéosurveillance, le nouveau maire de Tours a définitivement abandonné ses convictions dans ce domaine et s’inscrit dans la lignée de ses prédecesseurs. Installation d’une caméra au Sanitas, surveillance de halls d’immeuble par un bailleur social de la ville, vidéo-verbalisation... Passage en revue des nouveaux dispositifs de flicage mis en place par nos élus verts.

Une caméra mobile au Sanitas

Au mois de janvier, l’adjoint à la « tranquillité publique » et secrétaire d’Europe Ecologie Les Verts en Indre-et-Loire, Philippe Geiger, a demandé et obtenu l’autorisation d’installer une caméra de vidéosurveillance de la voie publique dans le quartier du Sanitas, au 17 rue Pic-Paris. À première vue, cette installation semble contredire de manière flagrante les engagements du maire de Tours : avant et après l’élection, Emmanuel Denis et son équipe avaient assuré que le dispositif municipal de vidéosurveillance ne serait pas étendu, Denis déclarant : « On ne rajoutera pas de caméras de surveillance à Tours » [1].

Interrogé sur cet apparent revirement, Philippe Geiger s’en justifie par une pirouette hallucinante :

« Il n’y a aucun revirement ^^. Nous avons aussi dit dans notre programme que nous conserverions le système existant. Ce système existant disposait d’une caméra mobile qui est justement celle que nous avons déployée rue Pic Paris. »

Pas de nouvelle caméra donc, mais une caméra que l’on peut installer temporairement dans de nouveaux endroits... La nuance permet sans doute à l’adjoint écolo-sécuritaire de se sentir droit dans ses bottes alors qu’il recycle sans vergogne l’arsenal acquis par la municipalité précédente [2]. L’arrêté préfectoral autorisant l’installation de cette caméra précise bien qu’il s’agit d’un système « provisoire » ; l’autorisation vaut pour une période de trois mois renouvelable, contre cinq ans habituellement.

Flicage des halls d’immeubles

En décembre 2020, Pierre Rochery, directeur général de la société Ligeris, réclame auprès de la préfecture l’autorisation d’installer un système de vidéosurveillance aux abords de la résidence Saint-François, située au 65 boulevard Tonnellé. Sans suprise, la préfecture autorise l’implantation de trois caméras extérieures.

Or, Ligeris est une société d’économie mixte dont la ville de Tours est le premier actionnaire ; le conseil d’administration compte huit élu·es de la ville et est présidé par Marie Quinton, adjointe au logement issue de la France Insoumise. D’après nos informations, la décision d’installer ces caméras n’a pas été présentée au conseil d’administration. Néanmoins, sollicitée sur la question, Marie Quinton a évoqué « le droit à la sécurité des habitants des quartiers » et un contexte d’insécurité dans la résidence qui justifieraient la décision d’en surveiller les halls.

Cette décision d’installer des caméras de surveillance dans une résidence gérée par un bailleur social de la ville intervient alors que la loi Sécurité globale, actuellement en discussion, prévoit de faciliter la transmission des images filmées par de telles caméras aux forces de police [3]. Si cette disposition a été supprimée par la commission des lois du Sénat, qui s’inquiète de la protection de la vie privée des personnes qui résident ou se rendent dans ces immeubles, elle pourrait réapparaître lors du retour du texte à l’Assemblée nationale.

Le déploiement de ces caméras illustre bien la tartufferie de la mairie sur cette question. D’un côté, on fait mine de ne pas vouloir développer le réseau de vidéosurveillance ; de l’autre, on laisse un bailleur social installer ses propres caméras. D’un côté, on participe aux manifestations contre la loi Sécurité globale [4] ; de l’autre, on valide un dispositif que cette même loi rendrait encore plus attentatoire aux libertés. Interrogé sur l’installation d’autres caméras dans les halls des immeubles qu’il gère, le directeur de Ligeris a indiqué que plusieurs résidences étaient équipées de systèmes de « vidéoprotection », mais qu’il n’y avait pas de nouveau projet d’installation.

Vidéo-verbalisation : extension du domaine de la surveillance

Autre nouveauté en matière de vidéosurveillance : la municipalité a lancé le 18 janvier une procédure de vidéo-verbalisation du stationnement gênant dans trois quartiers de la ville. Ce nouvel outil s’appuie sur le réseau de caméras existant, bien dense dans les quartiers ciblés. Interpellé à ce sujet sur le réseau social Twitter, Philippe Geiger s’est défendu de toute dérive « technopolicière » : le dispositif ne s’appuie pas sur un processus automatisé, mais sur le travail des agents du centre de supervision urbaine, qui établissent des procès-verbaux avoir constaté d’éventuelles infractions sur leurs écrans. Contrairement à ce qu’a prétendu la droite locale [5], il ne s’agit pas d’un « dévoiement » de la vidéosurveillance, puisque la possibilité de recourir aux caméras pour sanctionner les infractions routières remonte à 2008.

Cela dit, le recours à la vidéosurveillance pour lutter contre le stationnement gênant contribue à renforcer l’acceptabilité des caméras dans l’espace public. Alors que l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre les crimes et délits est largement mise en cause par de nombreuses études, la vidéo-verbalisation offre des résultats tangibles, sur lesquels on peut immédiatement communiquer. Ainsi, un mois après le début de l’expérimentation de la ville de Tours, les médias locaux ont annoncé que 150 procès-verbaux avaient été dressés grâce à ce nouveau dispositif. En comparaison, les chiffres de réquisition d’images de vidéosurveillance par les services de police, souvent agités par l’ancienne municipalité pour justifier le flicage intensif de la population, reposent sur du vent : ce n’est pas parce que des images sont transmises dans le cadre d’une enquête qu’elles vont pouvoir servir de preuve [6].

On peut également formuler une hypothèse pas trop osée : alors que la base électorale d’Emmanuel Denis aurait plutôt tendance à être opposée à la vidéosurveillance, pour les mêmes raisons que celles qu’il défendait avant de retourner sa veste (inefficacité, libertés publiques, etc.), cette même base électorale est plus susceptible d’accepter un dispositif présenté comme un outil de lutte contre le stationnement gênant. En gros, la détestation des SUV garés sur les pistes cyclables rendrait plus acceptable la présence de caméras au-dessus de nos têtes. La « ville apaisée » chère aux élu·es EELV s’inscrit dans la continuité des fantasmes de ville sécuritaire.

Notes

[1« Objectif Maire avec Emmanuel Denis : "On ne rajoutera pas de caméras de surveillance à Tours" », Info Tours, 24/06/2020

[2L’acquisition de cette « caméra mobile autonome avec enregistrement local » semble remonter à 2017.

[5Le groupe d’oppostion « Tours nous rassemble », qui regroupe les conseillers municipaux Les Républicains, s’est fendu d’un communiqué au titre édifiant : « L’ennemi est le délinquant, pas l’automobiliste ». Désigner les auteurs de délits comme des ennemis est d’autant plus surprenant qu’Olivier Lebreton, l’un des élus du groupe Tours nous rassemble et ancien adjoint à la sécurité, n’hésite pas à apporter son soutien aux auteurs de violence condamnés par le tribunal correctionnel quand ceux-ci portent un uniforme.

[6À ce sujet, lire l’enquête d’Elodie Lemaire, L’œil sécuritaire, éditions La Découverte, 2019.