En accord avec l’organisation syndicale et de lutte des classes du prolétariat de leur pays, les femmes socialistes de tous les pays organiseront tous les ans une Journée des femmes, dont l’objectif premier est l’obtention du droit de vote. Cette revendication doit être examinée à l’aune de la question des femmes dans la conception socialiste. La Journée des femmes sera internationale et fera l’objet d’une organisation soignée.
La résolution adoptée à l’occasion de la deuxième conférence internationale des femmes socialistes, organisée à Copenhague en août 1910, a fait date. Le 19 mars de l’année suivante, des milliers de femmes défilent en Allemagne, en Autriche, en Suisse, au Danemark et aux États-Unis [1]. C’est en 1921, sur décision de l’Internationale Communiste réunie à Moscou, que cette « journée des femmes » sera fixée au 8 mars, en souvenir de la grève des ouvrières du textile de Petrograd le 8 mars 1917 [2].
On peut s’interroger sur le choix fait par les éditions Hors d’atteinte de présenter Clara Zetkin, en quatrième de couverture de l’ouvrage qui lui est consacré, comme « celle qui a inventé la Journée internationale des femmes ». C’est faire peu de cas du travail de la centaine de déléguées réunies à Copenhague, qui adoptèrent également des résolutions pour le maintien de la paix ou la prévoyance sociale des femmes et des enfants [3]. Cette résolution est néanmoins exemplaire de la manière dont Zetkin articulait la lutte des femmes pour leurs droits politiques et économiques.
En 1889, à l’occasion d’un discours tenu lors du congrès de fondation de la IIe Internationale, Zetkin expliquait déjà que l’émancipation des femmes passait d’abord par l’émancipation économique :
« De même que le travailleur est sous le joug du capitaliste, la femme est sous le joug de l’homme et elle y restera aussi longtemps qu’elle ne sera pas indépendante économiquement. La condition sine qua non de cette indépendance économique, c’est le travail. Si l’on veut faire des femmes des êtres humains libres, des membres de la société à part entière au même titre que les hommes, il ne faut ni supprimer, ni limiter le travail féminin, sauf dans quelques cas exceptionnels [4].
Les travailleuses qui souhaitent accéder à l’égalité sociale n’attendent rien du mouvement féministe bourgeois qui prétend lutter pour les droits de la femme. Cette construction bâtie sur du sable ne possède aucune fondation sérieuse. Les travailleuses sont absolument convaincues que l’émancipation des femmes n’est pas un problème isolé, qu’il fait partie de la question sociale. Elles savent pertinemment qu’il ne pourra être résolu tant que la société actuelle n’aura pas été fondamentalement transformée. La question de l’émancipation des femmes est née avec les temps modernes, et c’est la machine qui l’a engendrée. [...]
Le droit de vote sans liberté économique n’est ni plus ni moins qu’un chèque sans provision. Si l’émancipation sociale dépendait des droits politiques, la question sociale n’existerait pas dans les pays où le suffrage universel a été instauré. »
La conception socialiste de la question des femmes, développée par Clara Zetkin dans de nombreux textes, explique l’antagonisme avec un mouvement féministe bourgeois qui, notamment en Allemagne, se satisfait alors d’un droit de vote limité à certaines catégories sociales — ce que Zetkin appelle « le droit de vote pour les dames ». Si le droit de vote de femmes doit être conquis, il doit être universel, parce qu’il est une condition nécessaire — mais non suffisante — de l’émancipation des femmes.
De Paris à Weimar, de Moscou à Tours
Les textes choisis et introduits par la journaliste Florence Hervé dans Je veux me battre partout où il y a de la vie retracent une vie de combats pour les droits des femmes et le socialisme. Une articulation qui n’allait pas de soi, puisque c’est « sans l’aide des hommes, et, il faut bien le dire, souvent même contre leur volonté, [que] les femmes ont rejoint le camp socialiste » [5]. Les discours et extraits de brochures reproduits dans l’ouvrage abordent le travail, l’éducation, l’organisation syndicale, l’émancipation au sein du couple ou la maternité. On y trouve également des discours contre la guerre, ou des lettres adressées à d’autres militant·es sur l’organisation du mouvement révolutionnaire. Est aussi reproduite l’allocution que Clara Zetkin prononce au congrès de Tours, en décembre 1920, où elle est envoyée pour représenter l’Internationale communiste à laquelle le mouvement socialiste français s’apprête à adhérer.
C’est pour le comité exécutif de l’Internationale que Zetkin établit, en 1923, un passionnant rapport sur le développement du fascisme à partir de la situation italienne. Mais ses analyses et ses mises en garde n’empêcheront pas le parti nazi de prospérer. Neuf ans plus tard, en tant que doyenne des députés au parlement allemand, Clara Zetkin, élue du parti communiste (KPD), prononce un discours devant une assemblée au sein de laquelle le parti national-socialiste a obtenu 230 sièges.
« Les grèves et les soulèvements dans des pays très divers sont des flammes vives témoignant à ceux qui se battent en Allemagne qu’ils ne sont pas seuls. Partout, les déshérités et les humiliés se préparent à conquérir le pouvoir. Du front uni des travailleurs qui se forme en Allemagne ne doivent pas être absentes les millions de femmes qui portent encore les chaînes de l’esclavage de leur sexe, et sont ainsi livrées à l’esclavage de classe le plus dur. »
Clara Zetkin meurt l’année suivante en URSS. Jusqu’au bout, elle aura mis la question des luttes des femmes au cœur de son engagement révolutionnaire.
Clara Zetkin, Je veux me battre partout où il y a de la vie, Éditions Hors d’atteinte, 2021, 19 €.