Le harcèlement de rue en période de crise sanitaire

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Confinement, couvre-feu : la période de crise sanitaire n’empêche pas le harcèlement de rue et les agressions dans l’espace public d’avoir lieu. L’association Stop Harcèlement de rue analyse ce phénomène, ses explications et ses conséquences.

Aux débuts du premier confinement, il y a maintenant un peu plus d’un an, nous partagions spontanément des commentaires qui disaient : « Au moins, il n’y aura presque plus de harcèlement de rue ! ». Nous nous disions ça aussi ; quelle naïveté.

Car voilà ; pendant le confinement de début 2020, nous continuons à subir du harcèlement de rue. L’été suivant, aussi. Le second confinement ? Pareil. Jamais tranquilles.

Stop Harcèlement de rue a mené une enquête en ligne du 20 au 26 avril 2020, sur le harcèlement de rue en période de confinement, puis a passé un appel à témoignages pour la période de couvre-feu, du 9 mars au 6 avril 2021. Concernant la première enquête, 86% des répondant·e·s ont été harcelé·e·s à proximité de leur domicile. La page Paye ton confinement a également recensé de nombreux témoignages. Quant à l’appel à témoignages de mars dernier, nous en avons reçu huit pour la ville de Tours.

« Je sais pas si c’est le couvre feu, cette atmosphère mais bon sang est tellement pesant. Il y a deux semaines en 40 minutes de footing 2 mecs m’ont suivie en voiture et 3 m’ont sifflée. Ça devient insupportable. J’ai aussi l’impression que le masque donne encore plus de sentiment d’impunité sous couvert d’anonymat à ces gros lourdeaux mais franchement les gars LA PAIX, je veux juste faire mon footing et pas me sentir comme une gazelle au milieu des lions. »

Finalement, le harcèlement de rue continue, que nous soyons confiné·e·s ou en couvre-feu. Pourquoi ?

Non, l’explication ne se trouve pas dans une analyse essentialiste du comportement des hommes qui seraient « en chien » faute de victimes dans la rue. Ce n’est pas « dans leur nature ». Ce sont des comportements appris et banalisés dans une société patriarcale empreinte de culture du viol, de racisme, de LGBTIphobie. Les mécanismes de domination de notre société n’ont pas disparu par miracle en période de crise sanitaire.

Pour plus de la moitié des témoignages lors de la première enquête, il n’y avait pas de témoins. Du côté des harceleurs, le sentiment d’impunité, déjà présent en temps normal, est logiquement accentué du fait de l’absence de témoins.

L’espace public est toujours occupé par les personnes dominantes. Le contrôle social est toujours exercé sur les personnes minorisées. On se fait toujours emmerder dans la rue.

« Un homme me suivait, à chaque fois que je me retournais il changeait de trottoir, il faisait toujours attention à laisser environ 5-6 mètres entre lui et moi. Arrivée près de chez moi je décide de m’arrêter à l’arrêt de bus devant ma résidence pour essayer de voir s’il allait continuer sa route et non il s’arrete avec moi... Quand j’arrive sur le petit parking près de la porte de mon immeuble je me met à courir pour sonner chez mon amie et il s’est met à courir derrière moi pour me rattraper. Je pensais qu’avec ce couvre feu on serait un peu plus tranquille pour rentrer chez nous à pieds, que la police serait là, que les gens dehors n’étaient que des gens qui rentraient chez eux après le travail ou les cours. Apparemment non.... »

Qui a peur de sortir, quand le couvre-feu est déclaré ? Pas les personnes dominantes. Celles-ci peuvent s’inquiéter de se faire contrôler, de risquer une amende. Mais les personnes minorisées, les femmes, les personnes racisées, les personnes LGBTQI+, notamment, ont doublement peur. L’espace public ne leur appartient pas. Ne nous appartient pas. C’est en tout cas le message que l’on reçoit, d’ordinaire et d’autant plus en cette période. Et les conséquences sont plurielles.

L’accès à l’espace public est d’autant plus limité pour les personnes qui subissent du harcèlement de rue. Celles-ci mettent alors en place des stratégies d’évitement ; parmi les témoignages reçus lors de l’enquête de 2020, certain·e·s modifiaient leur trajet, même pour aller faire des courses ou promener leur chien. Les sorties étant déjà limitées, les victimes se voient en plus refuser un accès plein et agréable à l’espace public.

« Mon chien commence à aboyer sur un homme caché derrière un arbre. Le type (visiblement très très saoul) est sorti de derrière l’arbre, l’a fixé dans les yeux, et à sorti son pénis. Il commence à uriner sur l’herbe devant moi. Je prends mon chien(qui ne lui faisait visiblement pas peur alors qu’il était prêt à attaquer le type) et je pars le plus vite possible. Le type, toujours pénis en main mais ayant fini son affaire et ayant maintenant une érection essaie de me suivre. Ça faisait si longtemps que je n’avais pas eu aussi peur, surtout avec mon chien qui pourtant est intimidant et je ne me sens plus du tout en sécurité, tellement que je ne sors qu’accompagnée de mes voisins la nuit. Depuis je fais des crises d’angoisses et mon chien est d’autant plus nerveux et malade d’énervement aussi. »

Malgré le masque, les injonctions à sourire, à être agréable à regarder, continuent. Avec ou sans gestes barrières, le harcèlement sexuel et sexiste est bien présent. L’idée parfois défendue que « le harcèlement, c’est de la drague maladroite », en prend ici un coup ; il s’agit bien de comportements d’intimidation, de domination. Peu importe si on ne voit pas le visage des personnes, du moment qu’elles sont perçues comme femmes, elles deviennent des proies à leurs yeux.

Les harceleurs, visiblement jamais à cours d’idées, compensent également en harcelant sexuellement des personnes depuis leur balcon ou leur fenêtre. Voire parfois des personnes qui sont sur leur propre balcon ou seuil de porte. De plus, le harcèlement a souvent lieu à proximité du logement. Cette intrusion dans la sphère privée, restreint encore plus notre zone de liberté et fissure le cocon de sécurité qu’est normalement notre habitation.

« En face de chez moi, à plusieurs reprises j’ai eu droit à des remarques sur mon physique (belles fesses, beaux yeux) ou encore des demandes de boire un verre ou de sourire, alors qu’il n’y avait personne dans la rue. C’est en fait d’autant plus angoissant. »

Le climat est alors anxiogène, plus étouffant qu’à la normale, et les liens sociaux qui sont aujourd’hui plus rares, sont pourris par les agresseurs.

Notre accès à notre liberté est un bien précieux, nous nous en rendons compte quand on nous l’enlève. Peut-être que maintenant, vous avez un aperçu de nos réalités.

Vous avez peur des amendes depuis mars 2020 ? Nous avons peur de vous depuis de trop nombreuses années.