Nouveau programme de renouvellement urbain : bientôt le bonheur ?

Le 15 décembre 2014, l’État a lancé son nouveau programme de renouvellement urbain, aussi appelé ANRU 2. Un programme qui va toucher trois quartiers des alentours — le Sanitas à Tours, la Rabaterie à Saint-Pierre-des-Corps et les Quartiers Nord à Blois — et qui, du moins si on en croit la prose officielle, va faire basculer leurs habitants dans le bonheur le plus grand.

Le nouveau programme de renouvellement urbain lancé par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports (ou des jeunes sportifs urbains ?), aussi appelé ANRU 2, est le dernier opus de la politique de la ville. Une politique dont l’objectif est de revaloriser certains quartiers urbains dits « sensibles » et de réduire les inégalités sociales entre territoires. Une politique mêlant action sociale, économique et urbanistique et essentiellement ciblée sur les quartiers d’habitat social de type « grand ensemble » construits dans les années 1960 et 1970.

Une politique qui a vu le jour il y a plus de 35 ans avec le plan « Habitant et vie sociale » en 1977 et qui a ensuite pris divers noms pour une réalité proche : essayer de traiter par l’évolution de l’urbanisme des phénomènes identifiés par l’État comme problématiques (chômage, insécurité, etc.). En ligne de fond chez les élus et les urbanistes : la croyance totale en le fait que des retouches plus ou moins importantes du cadre bâti [1] puissent suffire à améliorer une situation sociale engendrée par les politiques du même État dans d’autres domaines (emploi, éducation, social).

Pour cela les solutions sont toujours plus ou moins les mêmes : dispersion des habitants « à problèmes » lors des procédures de relogement, modification des typologies de logement (en réduisant par exemple le nombre d’appartements de grandes tailles), embellissement des immeubles et des espaces publics et sécurisation de ceux-ci (résidentialisation des tours et des barres, vidéosurveillance, etc.), « désenclavement » grâce aux transports en commun...

Le bilan ? Sociologues, hommes politiques et journalistes sont unanimes : il est mauvais. On reprendra ici le résumé qu’en dressait Le Monde le 5 février 2015 : « Politique de la ville : quarante ans d’échecs ». Ça a le mérite d’être clair.

Trois quartiers concernés dans les alentours

En attendant l’État a sélectionné 200 nouveaux quartiers (à partir de dossiers présentés par les agglomérations, ici Tours+) auxquels seront consacrés 5 milliards d’euros de subvention dans les 10 années à venir (l’ANRU 2 porte sur la période 2014-2024), lesquels seront accompagnés d’environ 15 milliards investis par les collectivités territoriales pour un budget total de 20 milliards d’euros. Pour cela il s’est appuyé sur une « grille multicritères adaptée aux spécificités locales des quartiers ». Avec une telle formule on ne peut être que sûrs du sérieux de l’évaluation réalisée.

Les critères en question ? L’état du parc habité, sa diversité, la mixité des activités, l’ouverture du quartier et son accès au transport en commun, la disponibilité foncière, la qualité de l’environnement urbain et, c’est très précis dans le dossier de presse d’« autres enjeux de la politique de la ville (gestion du quartier…) ». Ce qui est bien avec les critères connus c’est qu’ils annoncent la couleur. Il va s’agir de faire dans le divers (pas trop de grands apparts pour familles pauvres), le mixte (faire venir des gens plus friqués et des boîtes), le rentable (grâce à la disponibilité foncière), le durable (vive l’économie verte) et le désenclavé (l’enclavement, cette plaie des quartiers populaires !).

La figure du "jeune de quartier" fait toujours recette, mais avec l’ANRU 2 il trouvera un emploi (précaire) d’avenir

Les 200 quartiers sélectionnés sont classés en deux grandes catégories, ceux considérés d’intérêt national et ceux qui ne sont que d’intérêt régional. Les premiers sont 200 à se partager 83% des 5 milliards du nouveau programme (55 quartiers d’intérêt régional se partageant les 17% restant). En Région-Centre, 7 dossiers ont gagné le droit d’être dans le premier niveau [2], parmi lesquels le Sanitas (donc chacun appréciera la nécessité de le désenclaver tant il est mal desservi et loin du centre ville) et 3 intègrent le second niveau, dont la Rabaterie à Saint-Pierre-des-Corps [3] et les Quartiers Nord de Blois.

Le budget alloué au renouvellement du Sanitas est de 133 millions d’euros, la subvention du programme se monte à 28 millions d’euros. Les Quartiers Nord de Blois recevrons 56 millions de l’ANRU sur un budget total de 311 millions d’euros. On ne connaît pas encore les montants pour la Rabaterie.

Les habits (presque) neufs de la politique de la ville : demain le bonheur

On ne reviendra pas ici sur la raison d’être de ces politiques et ce qu’elles produisent notamment en matière d’expulsion des plus fragiles, d’enchérissement du logement ou de contrôle des espaces. On se concentrera simplement sur la prose officielle et les promesses formidables du nouveau programme de renouvellement lancé en grandes pompes en décembre 2014 et dont le gouvernement se gargarise depuis que Valls a parlé « d’apartheid » et de « ghettos ». Ouvrez les vannes, en avant les poncifs.

Le bonheur à portée de main
La présentation générale pose d’emblée les choses : « le nouveau programme de renouvellement urbain, c’est changer la ville pour changer la vie ». C’est ambitieux et ça rappelle quelque chose... « changer la vie » c’est pas un vieux slogan socialiste ça ? Si, si, ça date des années 1970. Et on vous a même retrouvé l’hymne éponyme du moment (attention au volume de vos enceintes, ça peut faire mal). En 1972, « Vivre mieux, changer la vie » était le titre d’un des projets du programme commun qui consistait à demander la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires, la généralisation de la sécurité sociale, et de l’aide au logement. Bref, on nous ressort la bonne vieille rhétorique du changement. Mais au fait, qui croît encore aux socialos pour changer quoi que ce soit dans un sens positif ?

Lyrisme à la petite semaine
Après ce lancement plein d’élan, le dossier de presse verse carrément dans un lyrisme qu’on peine à ne pas trouver pathétique. Ainsi l’ANRU 2 ce serait « pour des millions d’habitants, passer de la ville subie à la ville choisie ». Genre, on peut choisir de virer Babary, ses flics et ses caméras ? Ça n’a pourtant pas l’air au programme, mais faut pas oublier notre grand destin commun et comprendre que l’ANRU 2 « c’est, pour notre pays, un acte fort de solidarité nationale et de progrès ». Mieux, le Sanitas, repère de pauvres et de délinquants tant redoutés par la bourgeoisie tourangelle, va carrément devenir l’un des « véritables incubateurs de la ville de demain » puisque « les travaux de renouvellement transforment les quartiers qui en bénéficient en autant de chantiers d’avenir et d’espérance ». Là on est plus dans le socialisme de 1970 mais carrément dans la catéchisme pur jus : si on ne change pas la vie, au moins on aura l’espérance (Nouveau testament républicain, chapitre 4, verset 12).

Le programme dont vous êtes le héros
Bien sûr, la nouvelle politique de la ville s’inscrit dans la défense d’« une approche transversale » et tous les enjeux seront traités « ensemble et collégialement ». Mais le mieux, c’est que ce seront les habitants qui décideront de tout... ou presque. En effet, ils « seront les premiers acteurs du changement », ce qui fait que « le nouveau programme est aussi une leçon de démocratie ». Genre l’autogestion c’est pour demain ? Pas vraiment, en fait, grâce à « des dispositifs participatifs soigneusement élaborés », il faudra en passer par des « conseils citoyens » qui se réuniront « dans les Maisons du projet » (avec une majuscule à maison tellement ce sera chez toi !) et « permettront à tous les habitants de construire avec les professionnels et les élus une ville au plus près de leurs attentes ». On est rassuré, ce sont des gens biens formés qui construiront nos villes grâce à nos envies et on pourra choisir le nom de la place ou du boulodrome. Cool !

Hey, Hulot, il te reste des stocks de peinture du Grenelle ?
On a failli passer à côté mais la ville de demain promise par l’ANRU sera bien entendu durable. Et on va voir ce qu’on va voir : « bâtiments à haute qualité environnementale, optimisation de la consommation d’énergie, espaces verts, mobilité durable, ville connectée », tout y passe. Faut dire que l’objectif est ambitieux, excellent, exemplaire, enfin ils l’écrivent mieux que nous : « l’excellence du renouvellement urbain dans les 200 quartiers est le gage de leur exemplarité future. Une exemplarité à la fois citoyenne et architecturale ». On est séduits par cette ambition « pour une ville durable, plaçant au cœur de la démarche la qualité environnementale, la transition énergétique et la constitution d’Écoquartiers ». Séduits ? Conquis même.

Grâce à l’ANRU 2, avec les flics "on a pas les mêmes couleurs mais on a la même passion"

Des quartiers où on fera la bringue tous ensemble
Tout y sera on vous dit, même « l’ambition assumée de la mixité : le développement de l’habitat privé et de l’activité économique dans les quartiers à travers l’accompagnement des investisseurs ». Ceux qui seraient tentés de lire cette phrase comme l’annonce de l’expulsion progressive des pauvres ou de l’embourgeoisement des quartiers ciblés ne sont que des rabats-joie ! Chacun sait bien que la mixité c’est ce qui tire les pauvres de leur misère crasse. Le bonheur sera mixte ou ne sera pas. Tu te vois, toi, vivre dans un ghetto ?

Flics et habitants main dans la main
Et même si c’était le cas, ton ghetto sera sûr. Car évidemment, l’État n’oublie pas de nous rappeler qu’il est là pour nous protéger de nous même ou de nos semblables. Aussi la sécurité et la prévention de la délinquance seront aussi au cœur de l’ANRU 2. Et là, ça dégaine les chiffres : « 77 des 80 zones de sécurité prioritaire intègrent des quartiers prioritaires de la politique de la Ville » et « 75 % des actions financées par l’État afin de prévenir la délinquance le sont au bénéfice des quartiers ». Surtout demain on sera carrément copains avec les flics grâce à la transformation de travailleurs sociaux en flics : « le renforcement du lien entre police et population passe par le doublement du nombre de délégués à la cohésion police-population ainsi que des intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie ». Comme de coutume dans les quartiers concernés et comme l’exige le programme, tous seront bien sûr « exemplaires » (à l’image, sans doute, de ceux qui ont fait perdre un œil à Boush-B en novembre dans les Quartiers Nord de Blois). La proximité, y a que ça de vrai !

Demain, c’est loin

Finalement, ce sont les propos de Myriam El Khomri, secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville qui nous permettent de bien prendre toute la mesure de ce programme qui nous donne les clefs d’une ville verte, sûre et innovante : « Élaboré pour, par et avec les habitants, ce nouveau programme de l’ANRU matérialise la volonté et l’engagement du Président de la République de répondre à l’urgence sociale dans les quartiers. Il doit décloisonner nos quartiers en les arrimant aux dynamiques de leur agglomération, en y soutenant la mobilité sociale et en en faisant des territoires attractifs à tous niveaux ». C’est si beau qu’on en pleurerait presque...

En 1997, IAM chantait « Les élus ressassent rénovation ça rassure. Mais c’est toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture ». Dix-huit ans plus tard les élus ressassent toujours mais cette fois au moins on a une certitude : avec le nouveau programme de renouvellement urbain la peinture sera durable, participative et sécuritaire...

Hervé Lajeunesse et Martin Sodjak

Illustration par Alain Bachellier

Notes

[1De la couche de peinture sur les façades au remplacement pur et simple de certains bâtiments ou à l’arrivée d’une ligne de transport en commun.

[2Le Sanitas est en fait divisé en deux sous-quartiers, Sud (Saint-Paul, Pasteur) et Est (La Rotonde). Les autres quartiers d’intérêt national de la région sont Les Gibjoncs à Bourges, Beaulieu à Chartres, Les Bates/La Tabellionne à Dreux/Vernouillet, Saint-Jean à Châteauroux ainsi que l’Argonne et la Source à Orléans.

[3Le quartier Centre ville Clos du Roy, à Vierzon, a aussi cet honneur.