Ça se passe en fin de séance. Le maire de Joué-lès-Tours, Frédéric Augis, passe la parole à Véronique Péan, conseillère municipale Front National. A côté d’elle, Jean-Pierre Sanchez, autre élu FN, tient un document intitulé « Charte — Ma commune sans migrants ». Cette charte est une initiative nationale du parti d’extrême-droite, lancée par le maire FN d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Il s’agit pour les communes de « s’opposer à l’accueil des migrants », « à ne verser aucune subvention aux associations » venant en aide aux migrants, etc.
En conseil municipal, Véronique Péan explique :
« Les communes signataires de cette charte s’opposent au plan d’accueil des migrants consécutif au démantèlement de la jungle de Calais. (...) Les Jocondiens ont bien assez de soucis comme ça, ce n’est pas à nous d’en rajouter, la commune a son lot de difficultés et les nombreuses associations caritatives et/ou d’insertion qui émargent au budget de la commune peuvent en témoigner : en matière de demandeurs d’asile, Joué fait sa part aussi, et le CADA de la rue du Chemin Vert est plein. Donc Joué et les Jocondiens remplissent parfaitement leur devoir de solidarité, qu’on ne saurait confondre dans notre assemblée avec l’altruisme idéologique désincarné et irresponsable qui est de mise dans les beaux quartiers. »
Le premier argument est connu, et revient souvent [1] : « en matière de solidarité, on en fait déjà bien assez ». Et tant pis pour les laissés pour compte, tant pis si les efforts effectués par l’État et les communes sont dérisoires au regard de la situation actuelle.
Le deuxième argument est un grand classique de la rhétorique d’extrême-droite : seule une élite (souvent qualifiée de « bobo ») vivant dans les « beaux quartiers » serait favorable à l’accueil des migrants. Il ne tient évidemment pas compte de la réalité : la solidarité de nombreuses personnes, souvent précaires elles-mêmes, qui luttent aux côtés des migrants. Et les habitants des beaux quartiers ont plutôt tendance à se déchaîner quand on leur présente un projet de centre d’hébergement d’urgence [2].
Un élu PS, Francis Gérard, répond que les phénomènes migratoires ne datent pas d’aujourd’hui, et qu’ils trouvent notamment leur source dans les conflits suscités par les pays occidentaux au Moyen-Orient depuis 20 ans. Il rappelle aussi que Joué est, historiquement, une ville de migrants. Il évoque les conditions d’exil des familles afghanes, syriennes ou érythréennes, et réclame un peu d’humanité.
C’est Sanchez, l’autre élu FN, qui répond. Il semble croire — ou vouloir faire croire — que l’État veut multiplier les bidonvilles aux abords des villes [3]. Et déclare sans honte, à propos des migrants :
« Ces personnes, elles seront mieux chez elles »
Juste après, il s’enfonce :
« Ce n’est pas un problème de race, ou de racisme, comme je vous entends dire, qu’on n’accepte pas les étrangers... Ce n’est pas du tout ça. C’est avant tout aussi une question de mœurs. »
Et termine en déclarant qu’il faut « expulser — évidemment avec grande humanité — toutes ces personnes-là ». Expulser avec humanité, une belle trouvaille.
Après d’autres interventions d’élu-es d’opposition, le vœu présenté est mis aux voix. Les deux élu-es FN votent pour, la majorité municipale s’abstient sous prétexte que la proposition du FN « ne concerne pas les affaires publiques jocondiennes » : ce sont les voix des élus socialistes et écologistes qui font obstacle au passage de la délibération.