« Libère la mécanicienne qui est en toi ! » : une histoire de femmes et d’autoréparation de vélos

Depuis novembre 2015, l’association roulement à bill compte un nouveau créneau mensuel de bricolage réservé aux femmes. Cette initiative est portée par le collectif des Roues Libres dont nous avons rencontré des mécaniciennes bénévoles.

Des femmes dans les ateliers vélo !

Comme d’autres collectifs, en 2015, l’association Roulement à Bill faisait le constat que la mécanique vélo est un univers très masculin et que les femmes étaient bien moins nombreuses à fréquenter les ateliers ou à s’y investir en tant que bénévoles.

Comme dans la plupart des ateliers vélos, à Roulement à Bill la majorité des adhérents sont des hommes [1] : concrètement cela veut dire que souvent, les créneaux des permanences sont très masculins. La plupart des bénévoles impliqués sont également des hommes ce qui contribue à ce que les savoirs mécaniques soient perçus comme masculins.

L’atelier d’autoréparation - Roulement à Bill

Or, les femmes sont nombreuses à circuler à vélo et, comme chaque cycliste qui utilise son vélo au quotidien, elles sont confrontées à des problèmes mécaniques qu’elles doivent résoudre. C’est la nécessité ou parfois l’envie d’apprendre qui les pousse à venir à l’atelier d’autoréparation.

« Mon vélo était devenu presque inutilisable : les roues étaient très voilées et je n’avais pas de sous pour l’emmener chez le réparateur. J’ai entendu parler de l’atelier et je me suis décidée à y aller. »

« Au départ, ce qui nous avait amenées à l’atelier c’était l’envie de réparer notre vélo qu’on utilise tout le temps. »

Mais pour ces cyclistes, fréquenter un atelier vélo n’est pas une évidence :

« On est venues une ou deux fois mais on s’est pas forcément senties trop à notre place et du coup on est pas trop revenues. »

« Bon déjà, quand tu es une femme c’est pas forcément facile de pénétrer dans un atelier occupé par 15 bonhommes… il faut oser ! »

La question des connaissances en mécanique est une barrière importante :

« Quand tu n’y connais rien, il faut oser demander de l’aide. Et parfois, l’aide se transforme en « sexisme bienveillant » c’est-à-dire que le bénévole ou l’adhérent fait à ta place, te prends les outils des mains, règle ton problème mécanique mais sans que tu n’aies pu ni comprendre, ni essayer de faire par toi-même et donc tu seras à nouveau dépendante d’une aide extérieure la prochaine fois… »

Les Roues Libres et les permanences réservées aux femmes…

Les Roues Libres c’est un collectif de femmes qui fait partie de l’association Roulement à Bill et qui s’intéresse particulièrement à la question des rapports hommes-femmes. Le collectif est né suite à une formation mécanique qui a été proposée aux adhérentes de l’association avec l’accompagnement de 3 mécaniciennes des ateliers du réseau de l’Heureux Cyclage auquel Roulement à Bill appartient. Fortes de ce moment partagé, l’idée est venue d’ouvrir un espace de bricolage mensuel réservé aux femmes.

« Au sein des Roues Libres, on s’est rendues compte que plusieurs d’entre nous étaient venues pour la première fois à l’atelier parce qu’elles en avaient assez de se sentir « nulles » en mécanique ou de se retrouver « comme des connes devant leur vélo qui débloque ». Aujourd’hui on sait que la question n’est pas tant d’être « nulles » mais plutôt de n’avoir jamais appris à se servir de tel ou tel outil. »

L’idée de ces permanences ? « Expérimenter et pratiquer la mécanique vélo »,
« Apprendre et prendre de l’assurance dans un climat serein »
.

« Là-bas, je vais pouvoir bricoler, me tromper, poser des questions « bêtes » sans me sentir juger, observer ou me faire draguer. Et surtout sans voir besoin de dire et redire que je souhaite apprendre et faire et non qu’on fasse à ma place ou sans entendre des réflexions ou blagues sexistes »

Depuis décembre 2015, pendant quelques heures par mois [2] l’atelier vélo se fait donc exclusivement féminin. Comme lors des permanences habituelles, des mécaniciennes bénévoles sont présentes pour accueillir les adhérentes et aider aux réparations.

En fonction des besoins et des connaissances du moment, un point technique est proposé aux bricoleuses : on prend 15-20 minutes pour regarder ensemble un élément du vélo (roues, freins, vitesses…). Les Roues Libres n’en perdent pas le sens de l’humour et informent que « les déguisements ne sont pas acceptés ! »

Les réactions ou résistances à la non-mixité

Quand on les questionne sur les réactions ou les résistances à la question de la non-mixité, elles sourient et racontent qu’il y a des avantages et des inconvénients.

« Récemment on a fait un atelier dans la rue, on a eu autant de réactions positives de personnes curieuses et intriguées de voir des femmes bricoler leurs vélos que de réactions d’incompréhension un peu agressives genre « mais qu’est-ce que vous foutez ?! »

Au niveau de l’association, les réactions ont également été mitigées mais l’idée fait son chemin et une nouvelle formation mécanique devrait même être proposée aux adhérentes à la rentrée 2016.

« On a organisé une projection débat pour discuter entre adhérent-e-s du sujet et on s’est rendues compte que certaines personnes y voyaient un retour en arrière un peu comme à l’époque des écoles de filles et des écoles de garçons mais dans l’ensemble la plupart des bénévoles comprennent ce qui nous pousse à proposer des temps entre femmes. »

« Au sein de l’atelier il y a une envie de se questionner sur les inégalités homme-femme que nous reproduisons malgré nos bonnes intentions.... c’est pas si simple ! »

« En fait, pour nous, la non-mixité n’est pas une fin en soi mais un moyen pour amener plus de mixité dans les ateliers, ça complète les activités habituelles de l’association [3]. Les ateliers non-mixtes sont un outil parmi beaucoup d’autres pour vivre dans une société moins inégalitaire. »

« Dans une société (travail, rue, école, couple, famille.... partout ) dominé par les hommes, cet espace entre femmes me donne une bouffée d’air, une pause. »

Les permanences non mixtes ont désormais lieu tous les premiers samedis du mois de 14h à 17h au 5 impasse Anatole, quartier Febvotte

« La question de la non mixité est très discutée dans de nombreux collectifs et l’a été dans le notre également. Nous aimons à parler de mixité choisie... »

Cet espace que certain-e-s critiquent, interrogent ou ne comprennent pas, les Roues Libres nous invitent à en discuter collectivement :

« Vous, femmes cyclistes, venez partager un moment avec nous sur la prochaine permanence pour en discuter et surtout pour bricoler vos vélos. N’oublions pas que le vélo fut et reste un moyen de transport qui a permis l’émancipation de nombreuses femmes au fil des années. Et vous, hommes cyclistes, venez sur les autres permanences des jeudi et dimanche, discutons-en et/ou discutez-en entre vous aussi. »

Les permanences non mixtes ont désormais lieu tous les premiers samedis du mois de 14h à 17h au 5 impasse Anatole, quartier Febvotte.

Roulement à bill qu’est-ce que c’est ?
 
C’est un atelier d’autoréparation de vélos. On met à disposition un local avec des outils et des vélos dont on peut récupérer des pièces et réparer d’autres vélos, nos propres vélos, et puis fabriquer ce qu’on veut avec ça : des remorques, des vélos couchés, allongés, rehaussés…
On prête effectivement des outils et il y a des pièces qui sont à disposition mais il y a aussi, et surtout, les conseils qu’on s’apporte les uns aux autres. Quand on vient ici ce qui est important c’est qu’on ne repart pas seulement avec un vélo qui marche bien mais en plus on a appris un tas de choses. C’est ça le truc de base : on n’est pas un service. Ce n’est pas « tu lâches ton vélo à l’association et ils vont te le réparer ». L’idée c’est d’apprendre tous ensemble, de se salir les mains tous ensemble.

Notes

[1En 2015, deux adhérents sur trois étaient des hommes.

[2Tous les premiers samedis du mois de 14h à 17h.

[3L’atelier Roulement à Bill – 5 impasse Anatole – est ouvert à tou-te-s tous chaque jeudi de 18h30 à 20h30 et le dimanche de 14h à 18h. Toutes les infos ici : http://www.roulementabill.org/