L’enquête avait pour but de déterminer si le projet était d’utilité publique. Comme le rappelle le commissaire enquêteur dans son rapport, « [l’utilité publique] doit être considérée à travers une approche comparative entre les avantages et les inconvénients du projet. Si les avantages l’emportent sur les inconvénients, le projet sert l’intérêt général et son utilité publique est établie ». La déclaration d’utilité publique ouvre la voie aux expropriations. Et le commissaire enquêteur a validé l’utilité publique.
Comme le pressentait Constant Chidaine dans son article Recours, cours toujours… La mairie de Tours use de déloyauté pour bétonner le jardin de votre voisin, les critiques des participants à l’enquête publique sont restées lettre morte.
Dans un communiqué intitulé « Haut de la rue Nationale, halte à la mystification ! », l’association pour la qualité de vie tourangelle (AQUAVIT) dénonçait au début de l’été « un véritable saccage du patrimoine », servant des intérêts privés plutôt que publics. De fait, le projet prévoit « le développement de l’offre hôtelière haut de gamme et de grande capacité » et « le doublement des surfaces commerciales pour atteindre 5 500m2 ». Ce qui reviendrait, d’après la Société d’équipement de Touraine (SET), à « développer la mixité urbaine »...
A la lecture des conclusions du commissaire enquêteur et de la SET, il est aussi frappant de voir à quel point il leur semble important de « développer l’attractivité » du haut de la rue Nationale en « renouvelant l’offre commerciale ». Que les derniers mètres de la rue n’attirent pas les mêmes flux de consommateurs que le début de la rue, voilà qui est insupportable.
Le commissaire-enquêteur ne cache pas que ce projet provoque une hostilité de la plupart des participants à l’enquête, comme cela avait d’ailleurs été le cas lors de l’enquête de 2011-2012. Mais l’avis des citoyens ne pèse par lourd face au si formidable projet de la SET et de la transnationale Eiffage. D’ailleurs le commissaire le dit clairement :« il n’est pas question de revenir sur les précédentes enquêtes publiques » (page 25), même si la précédente portait sur tout le secteur sauvegardé. Pourquoi donc consulte-t-on la population alors qu’il n’est pas question de prendre en compte son avis ? On vit une époque formidable !
Notre marionnette de commissaire-enquêteur chargé d’accomplir servilement et consciencieusement sa tâche d’acceptation du projet donne alors la parole à la SET. Elle nous raconte que les promoteurs du projet sont sérieux, qu’ils seront à l’écoute de tous et très soucieux du patrimoine existant. Elle nous parle (en page 27) d’étude d’impact, avec un chapitre 5.4 « particulièrement développé » montrant une modélisation 3D intégrant des « vues lointaines », en oubliant que les deux seules vues nord montrées sont si éloignées qu’on n’y voit pas grand chose. Le commissaire-enquêteur confirme que tout se passe très bien, tout le monde est consulté, tout le monde est d’accord, même l’Architecte des Bâtiments de France (ABF), quelle unanimité chez les respectables décideurs !
En ce qui concerne les 70 arbres, leur espérance de vie est limitée, ce qui ne veut rien dire. 50 ans ? 100 ans ? C’est effectivement court pour un arbre. Ce sont des érables planes que l’expert désigné a confondu avec des platanes. D’ailleurs ces fichus arbres ne sont pas « valorisants », il sont indignes de notre standing. Les abattre permettra de créer un formidable espace vert avec une mirifique « ambiance paysagère offerte aux passants ». Quelle chance ! Même si quelques exceptions semblent possibles (page 43), c’est la première fois qu’on nous dit que tous les arbres seront abattus, ce n’était même pas inscrit dans les dossiers d’enquête. Quant à planter des arbres rue Nationale, il n’en est pas question, il faudra se contenter des oliviers en bac transbahutés deux fois par an.
A chaque fois le commissaire-enquêteur opine sur l’avis très éclairé et enthousiaste de la SET. C’est autre chose que les vilaines récriminations des habitants... Sur l’aspect global du projet vu de La Loire, il admet que « l’église Saint-Julien ne sera pas visible directement en venant du pont Wilson »(page 52), mais cela ne le dérange pas du tout, pas plus qu’il n’est dérangé par l’avis complètement opposé de l’ABF qui a fermement (jusqu’à quand ?) exprimé la réserve suivante : « Les deux bâtiments proue façade nord ne devront pas entrer en concurrence visuelle avec le clocher de l’église St Julien ».
Les enquêtes publiques sont censées être un processus démocratique pour prendre en compte l’avis de la population. A Tours, le Tribunal administratif d’Orléans (qui diligente ces enquêtes et nomme les commissaires) et le personnel politique, de gauche ou de droite, les ont transformées en formalités validant les projets sans y porter modification. Ils sont tellement bons dès le départ !
Le rapport d’enquête publique est disponible intégralement ici : Rapport d’enquête publique portant sur la déclaration d’utilité publique du projet et l’enquête parcellaire.