Les Tourangeaux ont dit non à la densification outrancière, les maires disent oui...
Durant ces dernières années, dans le sillage de l’implantation du tramway, la ville de Tours a été soumise à une pression immobilière démesurée, livrée par la municipalité aux promoteurs et aux grands groupes de BTP [1]. La dérive autocratique du maire [2] a été sévèrement sanctionnée par les électeurs en mars dernier. Son adversaire aux municipales, Serge Babary, n’avait pas manqué de surfer sur ce mécontentement général pour se déclarer à l’écoute des Tourangeaux et ainsi l’emporter largement, à la surprise générale.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. A peine six mois plus tard, on peut déjà évaluer cette rupture annoncée… et commencer à déchanter. Au-delà des paroles et des bonnes intentions, les premiers faits et gestes de la nouvelle équipe font peser de sérieux doutes pour l’avenir.
Sur le seul sujet ici traité, celui de l’urbanisme, central dans la campagne électorale, des remises à plat étaient promises. La situation s’avérait particulièrement critique sur Tours Nord où des abus flagrants et nombreux confinant au passage en force étaient notés. Comme l’a décrit l’association AQUAVIT dans sa page "Saint Symphorien, vers une mise à sac ?" [3], le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de 2011 a donné la part belle aux promoteurs, qui ne s’en privent pas. Champ libre et table rase du passé, même la charmante petite mairie de l’ancienne commune rattachée à Tours en 1964 est condamnée à la démolition. Navrant symbole.
Tours Nord livré aux promoteurs
Après l’abattage des tilleuls en face de l’ancienne mairie et le bétonnage Buren du lieu, l’assaut est donné sur les espaces verts privatifs considérés comme autant de "dents creuses" et donc de terrains à bâtir. Les anciennes bâtisses individuelles avec leurs jardins arborés sont passées au bulldozer pour être remplacées par des blocs de béton et de briques sur plusieurs étages. Par un effet domino, lié au découragement des propriétaires voisins devant la dévalorisation de leur bien, on assiste à une véritable surenchère dans le sacrifice de la qualité de vie des habitants. Même si ces jardins détruits sont privés, ils n’en représentent pas moins, par leur luxuriance bourgeoise, des massifs de biomasse et de biodiversité dans la ville. A l’heure où les pesticides empoisonnent les campagnes, ces îlots de verdure dans la ville sont devenus au fil du temps de véritables refuges pour la faune. Même les apiculteurs confrontés au "syndrome d’effondrement" des abeilles regardent ces espaces verts comme autant de replis pour leurs ruches. Mais la spéculation foncière en décide autrement. Notons au passage que les municipalités qui détruisent sans état d’âme ces massifs de verdures ne se gênent pas dans le même temps pour communiquer abondamment en greenwashing sur la création du moindre espace vert et sur l’installation de ruches dans leur ville.
Sur sa page l’AQUAVIT décrit l’effet d’une densification sauvage attisée par l’arrivée de la ligne de tramway :
La commune s’est dégagée de toute responsabilité en refusant toute maîtrise foncière de la collectivité de type ZAC et toute préemption urbaine. Elle a d’autorité décidé de libéraliser les règles. Il reste la « loi de la jungle », celle de l’argent roi qui se base sur une rentabilité maximum au détriment de la qualité de vie et notamment des espaces verts qui sont rasés et réduits à quelques mètres carrés de gazon, buissons et arbrisseaux.
L’emprise de l’ancienne municipalité
Après la vague Germain sur ce front, on espérait une pause bienvenue dans l’attribution des permis de construire. Leur nombre a effectivement chuté. Mais plus qu’un arrêt, on sent de la part de la nouvelle équipe une hésitation qui penche vers la continuité plutôt que vers la rupture. Le PLU lui-même va en ce sens et les promoteurs le savent, ils ont d’ailleurs des moyens juridiques de passer outre un refus municipal. Une rupture ne sera possible que si le PLU est modifié pour renforcer sévèrement les contraintes de construction. A cet égard, les prochaines délibérations prises par la nouvelle municipalité seront révélatrices.
Sur l’actuel court terme, force est de constater que les projets bouclés à la hâte par l’équipe précédente sont poursuivis par la nouvelle, avec peu de corrections. C’est le cas pour le "Vieux Groison" [4], une zone humide sur le coteau nord, en partie habitée, que les riverains voulaient voir protéger, avec l’appui des associations environnementales, et qui peut l’être, par exemple en lui attribuant le statut de "noyau de biodiversité" préconisé par le nouveau Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) de l’agglomération tourangelle. Le permis de construire concocté par la municipalité précédente n’a été modifié qu’à la marge. Plus inquiétant, le maire ne montre aucune véritable volonté politique de sauver ce qui peut encore l’être.
Haut de la rue Nationale : destruction d’arbres, construction d’hôtels de luxe
Il en va de même, sur Tours Centre. En ce qui concerne le réaménagement et d’édification de tours-hôtels en haut de la rue Nationale, on peut craindre que le pire soit à venir en termes de densification et d’élimination des espaces verts. Le projet entériné par l’ancienne municipalité a été soumis à enquête publique. Sans modification ! Il est à craindre que les nombreuses critiques des participants à cette enquête restent lettre morte, ainsi que les interpellations de l’AQUAVIT aux plus hautes autorités de l’Etat… La perspective architecturale des bords de Loire en haut de la rue Nationale sera saccagée, barrée par deux cubes bétonnés projetant leur ombre sur la Place Anatole France, masquant l’église St Julien [5]. Les arbres du jardin François 1er seront abattus avec l’habituel refrain de l’équipe Germain : c’est pas grave, on en replantera ! Alors qu’ils pourraient être maintenus en grande majorité. Ainsi, sur ce projet relatif à l’entrée historique emblématique de la ville, l’alternance politique n’a rien changé, la minéralisation de la ville se poursuit au mépris du patrimoine, qu’il soit architectural ou végétal.
Qui décide ? Les élections n’ont rien changé sur le fond. La bureaucratie Germain-Briand reste en place, avec sa poignée de décideurs plus ou moins masqués et les dossiers continuent d’avancer sur leur lancée.
S’opposer à un permis de construire est "dilatoire et abusif"
Trop d’indices vont malheureusement en ce sens. En voici un qui montre que le mépris du citoyen semble devenir atavique, lié à la fonction de maire dans la ville.
Quand un projet immobilier dégrade le cadre de vie, que font les riverains ? S’ils en ont la force et le courage, ils vérifient s’il est conforme au PLU et autres contraintes et, s’ils estiment que ce n’est pas le cas, ils font un recours en Justice. C’est leur droit le plus élémentaire. La mairie de Tours le leur refuse systématiquement, sous le règne de Babary comme sous celui de Germain. Elle demande, apparemment systématiquement, au Tribunal Administratif de débouter les requérants pour cette raison, en s’appuyant sur une loi du 1er juillet 2013 s’opposant aux "contestations dilatoires ou abusives". Comme si les riverains étaient manipulés par la mafia ou des personnes organisées pour en retirer des bénéfices pécuniaires (cette loi a été votée à cet effet) ! Les associations en sont aussi victimes. Des recours déposés par l’Aquavit ont subi le même sort sous l’ancienne équipe municipale, comme si cette association n’était pas dans son rôle de défense de l’environnement et du patrimoine.
Entendons-nous bien. Il est légitime qu’une mairie assume sur le fond un permis de construire qu’elle a délivré. Ca l’est déjà moins quand une autre municipalité l’a autorisé. Par contre, il est déloyal qu’elle refuse à des citoyens et à des associations le droit même de contester ses décisions. Un tel procédé, induisant un dénigrement des plaignants, jette indirectement le discrédit sur l’ensemble de leurs arguments. Cela montre aussi que, sur le fond, la mairie n’est pas certaine d’obtenir raison puisque la forme est privilégiée, sachant aussi que le Tribunal Administratif d’Orléans aime beaucoup botter en touche. Enfin, n’oublions pas que ces plaignants sont des électeurs, des citoyens censés être défendus par un maire qui, là, les accuse de desseins malhonnêtes. Pratiques rejetées lors des dernières élections. Irrespect de la démocratie.
Même avocat, même méthode : on prend les mêmes et on recommence !
Ce refus de la nouvelle équipe municipale de prendre ses responsabilités se vérifie dans tous nos quartiers. En voici deux exemples, à Velpeau et à Beaujardin. Dans le premier cas, les riverains avaient dénoncé les méthodes de l’ancienne municipalité, et de son avocat, auprès d’Yves Massot, nouvel adjoint chargé des affaires juridiques, puis auprès du maire Serge Babary. Ce dernier s’était montré rassurant en disant que l’avocat avait respecté les règles déontologiques et on pouvait comprendre que c’est l’ancienne municipalité qui ne les avait pas suivies. Or voici que pour le permis de construire de Beaujardin, la nouvelle équipe a repris le même avocat, qui, fidèle aux mêmes "règles déontologiques", plaide de nouveau "l’irrecevabilité du recours" ! Et en conséquence il demande que les plaignants soient déboutés et lourdement condamnés. Comme si on devait se taire quand on érige un immeuble au fond de son jardinet, avec vue plongeante. La mairie agit donc délibérément, en toute connaissance de cause. Alors que rien, vraiment rien, ne l’y contraint. On devrait pouvoir s’opposer sans verser dans une telle déloyauté.
Même si, tout du moins jusqu’à présent, le Tribunal Administratif ne prend pas en compte cette irrecevabilité pour "contestations dilatoires ou abusives", celle-ci, demandée en introduction, jette d’emblée le discrédit sur les requérants. C’est une façon dilatoire et abusive de nier les droits des citoyens et leur bonne foi.
Pourtant, les riverains ont matière à refuser une construction abusive. On ne peut pas construire n’importe où n’importe comment. Le PLU de la commune est le principal document de référence pour juger de la validité d’un permis de construire. Les habitants ont matière à y trouver des arguments en leur faveur, notamment, un article 11.1.1 interdisant de dénaturer l’intérêt des lieux. Il est systématiquement ignoré par les promoteurs, très peu pris en compte par la mairie de Tours (trop subjectif, seules compteraient les contraintes chiffrées...), et n’est que rarement décisif pour le Tribunal Administratif d’Orléans. Le PLU permet beaucoup, mais il comporte des garde-fous qui sont trop peu pris en compte. Et on veut donc interdire de les actionner !
Eliminer sur la forme pour éviter le jugement sur le fond
D’ailleurs les riverains qui osent s’opposer aux permis de construire sont à ce point des voyous que, pour le permis Velpeau, la municipalité Germain avait été jusqu’à considérer, par le "mémoire" de son avocat, que vingt personnes avaient comploté en effectuant des faux témoignages, afin de valider l’affichage insuffisant du permis de construire (une semaine au lieu de deux mois, pour cause de décrochage par intempéries) et de débouter les plaignants. Le promoteur, peut-être aiguillé par la mairie, avait ensuite eu l’idée de trouver deux témoignages très suspects, permettant au tribunal de botter en touche et obligeant les requérants à se pourvoir en appel. De plus, ce permis de construire a été attribué dans des conditions très louches en dépit de consignes préfectorales sévères en un lieu submersible par forte inondation [6]. S’il y a mafia, de quel côté est-elle ?
C’est ainsi que se met en place une vaste intimidation permettant de discréditer toute résistance pour mieux imposer les nouvelles constructions. Les habitants doivent comprendre que toute opposition est inutile. Non seulement un recours est financièrement très difficile (car presque impossible sans avocat), mais en plus il jette les plaignants dans l’opprobre des élus, comme s’ils devenaient des sous-citoyens. Ajoutez que le Tribunal administratif d’Orléans fait preuve d’une large complaisance, et l’on comprend qu’il y ait peu de recours et que la résignation soit généralisée.
Bref, en matière d’urbanisme, l’arbitraire se confirme, l’ère Babary semble s’engager dans les pas de la précédente. Mais essayons d’être optimistes, patience, attendons encore un peu, avec l’idée que la nouvelle équipe a du mal à se dégager des mauvaises habitudes passées...
Constant Chidaine