À Tours, le passé colonial toujours inscrit dans la ville

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Cet article dresse une liste non exhaustive des rues de Tours nommées d’après des acteurs du colonialisme. Emmanuel Denis souhaitant, dans le cadre du plan égalité femmes-hommes, donner davantage de visibilité aux femmes dans l’espace public en augmentant le nombre de rues avec des noms de femmes, il serait pertinent qu’il renomme prioritairement les rues énumérées ci-dessous, qui portent encore les traces du racisme et du colonialisme [1].

Rue Colbert, dans l’hypercentre de Tours.

Rue très fréquentée car abritant de nombreux bars et restaurants. Cette rue est constituée des restes de l’ancienne Grande-Rue du Moyen-Âge, baptisée en 1801 rue Colbert. Le ministre Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) élabore la première version du Code noir, qui est complété par son fils et promulgué par Louis XIV deux ans après sa mort, en 1685. Ce texte de loi donne un cadre juridique à, et de fait légalise, l’exercice de l’esclavage dans les colonies françaises. L’article 44 du Code noir [2] fait des esclaves des « êtres meubles », susceptibles à ce titre d’être achetés ou vendus par un maître. Le Code noir légalise des châtiments corporels sur les esclaves.

Quai Paul Bert et quartier Paul Bert.

Paul Bert (1833-1886) est ministre de l’instruction publique entre novembre 1881 et janvier 1882. Paul Bert rédige des manuels scolaires, à destination des élèves du primaire et du secondaire, qui défendent des thèses racialistes : « Contentons-nous d’indiquer cette année les Blancs européens, les Jaunes asiatiques, les Noirs africains, les Rouges américains. Seulement il faut bien savoir que les Blancs (...) ont envahi le monde entier et menacent de détruire ou de subjuguer toutes les races inférieures. » [3]. Certains des manuels scolaires qu’il écrit contiennent également des propos nationalistes : « Il faut que l’amour de la France ne soit pas une formule abstraite [pour l’enfant] (...) mais qu’il en comprenne les motifs, qu’il en apprécie la grandeur et les conséquences nécessaires. » [4]. Il est nommé résident général de l’Annam-Tonkin, région d’Asie du Sud-Est, en 1886.

Rue du Général Cavaignac, dans le quartier résidentiel des Prébendes.

Eugène Cavaignac (1802-1857) est un militaire français ayant largement participé à la conquête de l’Algérie. Il est le premier à avoir recours aux « enfumades », qui consistent à asphyxier les personnes résistantes à la colonisation, alors réfugiées dans une grotte, en allumant des feux à l’entrée de celle-ci. Il est gouverneur général d’Algérie entre février et avril 1848.

Rue Bugeaud, dans le quartier Febvotte-Marat.

Thomas Robert Bugeaud, militaire français, joue un rôle important dans la conquête de l’Algérie. Le nom de Bugeaud est le plus souvent associé aux « enfumades ». Bugeaud conseille à ses subordonnés de mettre en œuvre cette pratique. Il met également en œuvre la politique de la terre brûlée : « Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer (…) de jouir de leurs champs (…) Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes. » [5]. Il est gouverneur général d’Algérie entre février 1841 et septembre 1847.

Rue Jules Ferry, à côté de la maison d’arrêt, une rue à La Riche également.

Si Jules Ferry demeure connu pour être le fondateur de l’école gratuite, laïque et obligatoire, il se distingue aussi par ses prises de positions en faveur de la politique coloniale française. Jules Ferry défend les expéditions au Tonkin et, plus tard, à Madagascar. En particulier, pendant la séance parlementaire du 28 juillet 1885, il se prononce en faveur d’une expédition à Madagascar dans l’objectif d’y imposer un protectorat. Dans cet extrait, il défend la hiérarchie entre les races ainsi que la mission civilisatrice de la France et la supériorité du modèle français : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures (…) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » [6]. A cela s’ajoute des déclarations impérialistes et bellicistes : « [La France] doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, [elle] doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. ». [7].

Rue du général Faidherbe, dans le quartier des Prébendes.

Militaire français, administrateur du Sénégal (1854-1861 puis 1863-1865), connu pour sa brutalité. Dans un ouvrage où il retrace l’expansion coloniale française en Afrique, Albert Duboc, officier de l’armée française, raconte un épisode de la campagne sénégalaise du général Faidherbe ainsi : « En dix jours, on avait pris 2.000 bœufs, 30 chevaux, 50 ânes, un très grand nombre de moutons, fait 150 prisonniers et tué environ 100 hommes à l’ennemi, fait un butin considérable et brûlé 25 villages. » [8]. Faidherbe défend également une hiérarchie entre les races [9].

Impasse Gallieni, dans le quartier Febvotte-Marat et rue Gallieni à Joué-les-Tours.

Joseph Gallieni (1849-1916) est un militaire et administrateur colonial français. Alors chef d’état-major, il est envoyé au Tonkin (Indochine). L’un de ses principaux collaborateurs est le maréchal Lyautey. A cette époque, il élabore alors sa doctrine coloniale de « la tâche d’huile » et de la « politique des races ». Il est gouverneur général de Madagascar (1896-1905) et y fait appliquer la « politique des races ». La France tente alors d’imposer un protectorat sur Madagascar et la mission de Gallieni est de mater la résistance malgache. La « politique des races » est l’application de « diviser pour mieux régner ». Elle consiste à comprendre les rapports de domination et de subordination entre les différents groupes sociaux d’un territoire et d’utiliser cette connaissance afin d’imposer la domination française [10]. Gallieni la décrit ainsi : « Toute agglomération d’individus, races, peuples, tribus ou familles, représente une somme d’intérêts communs ou opposés ; s’il y a des mœurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut savoir démêler et utiliser à notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les uns pour mieux vaincre les seconds. » [11].

Rue du Maréchal Lyautey, dans le quartier Febvotte-Marat.

Le maréchal Lyautey (1854-1934) est résident général du Maroc de 1912 à 1916. Il participe à la campagne du Tonkin avec Gallieni. Lyautey est le commissaire général de l’exposition coloniale internationale de 1931. L’objectif de cet évènement est de montrer la grandeur de l’empire colonial français. L’exposition coloniale contenait entre autres des faux villages indigènes dans lesquels des indigènes, recrutés dans les colonies, figuraient [12].

Rue du général Renault, dans les quartiers Giraudeau et Febvotte-Marat.

Le général Renault (1807-1870) commence sa carrière militaire lors de la campagne de pacification algérienne à laquelle il participe activement, notamment comme chef de bataillon des zouaves [13], unité d’infanterie appartenant à l’armée d’Afrique composée de soldats recrutés en Europe et en Algérie. Plus tard, il est fait général de brigade et mis à disposition du gouverneur général d’Algérie (entre 1846 et 1848), c’est-à-dire sous les ordres du général Bugeaud puis du général Cavaignac. Il est à plusieurs reprises gouverneur général d’Algérie par intérim [14].


Notes

[1Inspiré d’un article publié sur le site Marseille Infos Autonomes

[2Code noir, 1685, disponible : https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/code-noir

[3Paul Bert, 1888, La deuxième année d’enseignement scientifique (sciences naturelles et physiques), p.18, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k204462j/f18.item.texteImage. Les mots mis en évidence l’ont été par Paul Bert.

[4Paul Bert, 1882, L’instruction civique à l’école (notions fondamentales), p.6, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k75550j/f7.item.texteImage

[5BONIN Hubert, 2018, L’empire colonial français : de l’histoire aux héritages : XXe-XXIe siècle, Armand Colin.

[8Albert Duboc, 1938, L’épopée coloniale en Afrique occidentale française, p.17, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k33469486/f29.item.texteImage

[9Louis Faidherbe, 1859, Notice sur la colonie du Sénégal et sur les pays qui sont en relation avec elles, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k1042633.texteImage

[10Histoires Crépues, « Gallieni et la « Politique des races » à Madagascar – vidéo d’Histoire Coloniale », https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/280620/gallieni-et-la-politique-des-races-madagascar-video-dhistoire-coloniale, mis en ligne le 28 juin 2020, consulté le 21 avril 2021.

[11Gallieni Joseph-Simon, 1900, Rapport d’ensemble sur la pacification, l’organisation et la colonisation de Madagascar (octobre 1896 à mars 1899), p.31, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5784287r/f36.item.texteImage

[12La cinquième/ CNDP, 2000, « L’exposition coloniale de 1931, la vitrine de l’Empire », https://www.youtube.com/watch?v=DZ49tetKPnw, consulté le 21 avril 2021.

[13Faucon Narcisse, 1889, Le livre d’or de l’Algérie : histoire politique, militaire, administrative, évènements et faits principaux, biographie des hommes ayant marqué dans l’armée, les sciences, les lettres, etc. de 1830 à 1889, p.466-467, disponible : https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k103575v/f508.item

[14Sénat, « Renault Hippolyte-Pierre-Publicus », Sénat, en ligne, https://www.senat.fr/senateur-2nd-empire/renault_hippolyte_pierre_publicus0057e2.html, consulté le 30 avril 2021.