Haut de la rue Nationale : les bobards de Babary

Le 4 septembre, le maire de Tours présentait le projet d’aménagement du haut de la rue Nationale à une poignée d’habitants de la ville. L’occasion de balancer quelques contre-vérités et fausses promesses.

La démocratie locale, ça consiste à expliquer aux gens pourquoi les projets qu’on leur impose sont formidables. Serge Babary en a donné un bel exemple à l’occasion de cette réunion, qui concernait surtout la partie du projet consistant à créer un centre d’art contemporain à la place de l’école des Beaux-Arts.

A un intervenant qui s’interroge sur les contraintes de stationnement, Babary fait observer que 55 000 voyageurs empruntent le tram chaque jour, ce qui est apparemment faux, puisque ce chiffre ne vaudrait que pour les jours de pointe. Il avoue d’ailleurs « un atavisme de commerçant » en ce qui concerne la circulation et le stationnement, et déclare fièrement s’être opposé à la réduction des places de parking en centre-ville sous l’ancienne mandature (pousser les gens à ne pas utiliser leur bagnole individuelle pour faire des courses, quelle connerie !).

Lorsqu’une femme demande quand il sera question des nouvelles constructions projetées, et notamment des hôtels, Babary botte en touche. Il prétend ne pas avoir plus d’informations que les habitants, et explique que rien n’est encore déterminé : des consultations seraient en cours...

Sur les plans qu’elle projette, la société d’équipement de Touraine (SET) a posé une jolie bulle à côté de l’un des îlots : « 5 500 m2 de commerces et logements ». Une manière de truquer la présentation, puisque c’est bien de 5 500 m2 de commerces qu’il est question (soit un doublement de la surface commerciale sur la zone).

L’expert et l’élu, seuls compétents

Un riverain, inquiet des conséquences des travaux sur la qualité de vie dans le quartier, demande des précisions sur le phasage du chantier et s’il est possible de réaliser le volet paysager parallèlement aux travaux de réalisation des bâtiments. Cette fois ce n’est pas le maire qui répond mais l’urbaniste... et qui, pour éviter de répondre à la question, emploie logiquement les arguments types de l’urbaniste en réunion publique.

D’abord l’argument d’autorité. Il commence ainsi par expliquer au malotru qu’il faut bien qu’il comprenne qu’un chantier ça se fait dans un ordre précis : d’abord les bâtiments, puis leurs abords. Cela peut sembler tout à fait logique mais c’est faire peu de cas de la question et oublier de dire que des dispositifs existent pour atténuer les effets négatifs d’un chantier d’une telle ampleur (on peut notamment recourir à des aménagements temporaires). Quelque chose de ce genre a-t-il été prévu ? On n’en saura rien et à juger par la propension du maire et des ses acolytes à vanter le moindre détail du projet on imagine que non.

Ensuite, le procès en ignorance. L’urbaniste poursuit ainsi avec la phrase classique permettant d’éviter toute question problématique : « Vous devez bien comprendre que ce sont des choses trop compliquées pour en discuter ici, ou alors cela prendrait trop de temps... » ou comment expliquer avec un large sourire au public qu’il est trop con pour comprendre quoi que ce soit.

C’est là tout l’art de ce type ces réunions publiques dites de démocratie participative : donner la parole aux gens tout en s’assurant qu’ils ne la prennent pas trop et le cas échéant leur rappeler clairement la hiérarchie sociale. Pour comprendre un projet d’urbanisme, il faudrait donc être un expert. Comprendre : avoir fait de longues études d’urbaniste, ou — c’est parfois plus court — n’y rien connaître comme notre maire mais avoir eu la chance de se voir conférer une capacité de compréhension hors norme par le truchement du vertueux processus électoral. A d’autres...

Tours, capitale du shopping au cœur de la Loire Valley

Suite à une intervention critiquant la volonté de développer cette surface commerciale et mettant en cause l’argumentaire relatif au manque d’attractivité du bout de la rue, le maire assure que les enseignes sélectionnées ne viendront pas concurrencer les commerces existants en centre-ville. On se demande alors ce que va nous trouver Babary. A part une animalerie ou un bowling, on ne voit pas. Parce qu’à l’entendre, les espaces commerciaux ne seront donc pas occupés par des magasins de vêtements, nourriture, électro-ménager, chaussures ou autres, déjà présents dans la zone.

Le maire explique ensuite que les commerces sélectionnés permettront de « renforcer la diversité commerciale » et d’éviter « l’évasion commerciale hors de la ville ». Il s’agira de magasins « moyens-haut de gamme : ni du luxe, ni du bas de gamme ». Les produits vendus devront être « accessibles aux classes moyennes et aux touristes ». Les classes populaires seront priées de faire leurs courses en périphérie, et tant pis pour la diversité.

Suite à une autre critique concernant la construction de deux hôtels, alors que le taux d’occupation des hôtels en Indre-et-Loire dépasse rarement 70 %, Babary explique doctement que Tours doit être compétitive face à Blois, Angers, Orléans, et garder sa place dans la « Loire Valley » — on suggère au maire, qui déclarait pendant sa campagne vouloir faire de Tours l’un des premiers lieux d’apprentissage du français, d’éviter cet anglicisme dégueulasse. L’élu signale ensuite que la pertinence du projet est avérée, puisque d’une part la Chambre de commerce et d’industrie le trouve utile (ça tombe bien, Babary en était le président avant de devenir maire), et d’autre part « de grands groupes hôteliers sont intéressés par le projet » et y voient des « possibilités commerciales » (comprendre « des possibilités de profits juteux »). Enfin, il s’enflamme : « Il faut plus de touristes à Tours. On va créer des richesses, et c’est comme ça qu’on va créer des emplois ». Applaudissements dans la salle...

Voilà ce que prépare la mairie : un bétonnage en règle du haut de la rue Nationale, au profit des groupes de BTP et des groupes hôteliers, pour attirer les touristes et leur faire cracher leur pognon dans des commerces tous neufs.