Guerre scolaire : comment les intégristes s’attaquent à l’école

Dans un contexte national désormais marqué par l’abandon symbolique des très polémiques "ABCD de l’égalité" par le ministère et un contexte local qui a vu le renforcement des ailes réactionnaires par les pouvoirs municipaux en place, les activistes de La Manif Pour Tous ne cessent de gagner du terrain. L’école publique est-elle en train de perdre la guerre scolaire qui s’est engagée ?

L’extrême droite catho est en ébullition depuis la découverte dans l’académie de Nantes d’une fiche de lecture supposément compromettante dont des activistes de La Manif Pour Tous ont su habilement tirer profit sur les réseaux sociaux, au point que la presse a fini elle aussi par s’emparer du sujet devant le buzz créé [1].

De fait, la présentation même de cette fiche est plutôt maladroite puisqu’elle peut laisser supposer qu’on fait lire aux élèves des livres en cachette et que leurs parents seraient privés de la juste information qu’ils sont en droit d’attendre de l’école. Et Vousnousils de titrer son article : « L’académie de Nantes recommande de cacher un livre aux parents- » suivi de près par ActuaLitté : « L’Académie de Nantes recommande des lectures en cachette »

De quoi s’agit-il ? D’une page web de l’Académie de Nantes, qui, nous dit ActuaLitté, « recommandait, aux élèves de CE2, CM1 et CM2, l’album Que font les petits garçons ?, de Nikolaus Heidelbach. Une publication susceptible de choquer les parents et que la notice académique encourageait à ne pas rapporter à la maison » dans la mesure où, nous explique ActuaLitté, « cet album dérange, notamment en raison du fait qu’il aborde deux sujets tabous dans la littérature de jeunesse […] : la mort et la sexualité ».

Si, à la grande indignation de ses détracteurs, la page web recommande en effet de « ne pas rapporter à la maison » ce livre jugé sensible, elle appelle néanmoins quelques remarques.

Première chose : réserver la phase de découverte de certains textes courts (ce qui est le cas ici puisqu’il s’agit d’un album présentant un abécédaire) à la classe sans travail préalable à la maison, est une pratique largement répandue (quelle qu’en soit la raison, par exemple, ne pas émousser l’intérêt du texte, recueillir les premières impressions « à chaud », etc.) et n’a en soi rien de choquant.

Deuxième chose : (même dans une période où la « coéducation » est à la mode), les enseignants ont-ils à recueillir l’autorisation préalable des parents pour la lecture de tout texte abordé en classe, en l’occurrence ici un texte recommandé par un inspecteur ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les parents de la mouvance La Manif Pour Tous souhaiteraient exercer un pouvoir de contrôle sur toutes les activités de la classe qu’ils voudraient pouvoir interdire comme bon leur semble. Ils ont d’ailleurs clairement annoncé vouloir mettre les profs sous surveillance [2], et l’on assiste là, en réalité, à un véritable épisode d’une guerre scolaire menée par les milieux traditionalistes et intégristes qui noyautent la mouvance de LMPT, beaucoup des plus ardents détracteurs de l’école républicaine mettant d’ailleurs leurs enfants dans des écoles privées hors contrat.

Ainsi l’implication des milieux religieux traditionalistes apparaît-elle clairement dans notre affaire, et l’on peut constater par exemple que les sites internet qui ont le plus cherché à la monter en épingle, sont, outre les sites directement liés à LMPT, les principaux sites traditionalistes comme Le Salon Beige ou encore le site Contre-info.com qui est à l’origine de la diffusion d’images tirées de ce livre avec toute une intox sur son caractère « satanique » et la prétendue « théorie du genre » que bien sûr il véhiculerait [3] !

On nage là en plein délire idéologique, Contre-info.com étant, comme le rappelle Le Monde, « une émanation du Renouveau Français, un groupuscule contre-révolutionnaire, pétainiste et antisémite », hostile à la République. Et si l’on veut juger de manière impartiale des activités proposées par l’inspecteur de Nantes autour du livre qui fait scandale, ce n’est certainement pas en lisant la propagande éhontée de Contre-info que l’on y parviendra, mais plutôt en considérant bien ce que la fiche de lecture de Nantes disait exactement [4].

La fiche signale avec justesse que « les réactions très négatives de certains adultes à l’égard du livre pourraient compromettre son exploitation » (le buzz suscité par cette affaire le montre bien !). Notons à ce sujet que le fait de réserver la phase de découverte à la classe n’interdit en rien aux enfants d’en parler à la maison et de montrer leurs travaux d’écriture à leurs parents, voire d’emprunter le livre après son exploitation en classe...

L’inspecteur recommande par ailleurs d’éviter toute « complaisance » et de choisir soigneusement les images supports des exercices d’écriture dans la mesure où « celles qui évoquent la sexualité sont à éviter car elles peuvent engendrer des dérapages verbaux qui seront difficiles à contrôler. »

Rien d’anormal à tout cela donc !

Ce qui n’est pas normal en revanche, c’est l’attitude de l’institution qui a choisi de faire profil bas devant les dérives de l’extrême droite en faisant disparaître cette fiche du site académique de Nantes, de la même façon que le ministère avait fait profil bas il y a peu en renonçant à son ABCD de l’égalité.

Ce qui n’est pas normal, c’est de faire croire qu’on s’oppose à cette extrême droite quand en réalité elle peut se permettre à peu près tout !

Ainsi Farida Belghoul, qui, avec son organisation JRE/FAPEC, a su tisser de solides relations avec les milieux traditionalistes chrétiens (Civitas par exemple) et est proche de l’extrême droite soralienne, se plaint-elle sur le site de Soral [5] d’être l’objet d’une procédure de sanctions disciplinaires de la part du recteur de l’académie de Versailles. Or de quelles graves sanctions peut-il s’agir ? Au pire, elle pourrait être virée de l’enseignement public où elle n’exerce déjà (heureusement) plus aucune activité puisqu’elle est en disponibilité depuis des années...

Il y aurait peut-être plus à attendre de la Justice si Farida Belghoul devait finir par être jugée pour son rôle avec Dalila Hassan dans la diffusion de la rumeur de Joué-lès-Tours [6], mais il faut, dans certaines affaires judiciaires, savoir se montrer très (très) patient...

Les ennemis de la République et de son école ont encore de beaux jours devant eux !

FL.

Mise à jour : Du fait d’un changement intervenu tout récemment dans la situation administrative de Farida Belghoul, nous apprenons seulement maintenant qu’elle n’est plus en disponibilité. Elle a en réalité demandé sa réintégration et est donc à nouveau en poste depuis le 1er septembre 2014, ce qui ne semble lui poser aucun problème de conscience (ni de loyauté envers son employeur) alors qu’à travers sa FAPEC elle voulait inciter les parents à faire l’école à la maison ou à créer leurs propres écoles privées hors contrat…