Fermeture du centre social Léo Lagrange : « la décision est uniquement politique ! »

Le centre socio-culturel du quartier des Fontaines fermera ses portes le 30 juin. D’après l’adjointe au maire, Alexandra Schalk-Petitot, déléguée à l’action sociale et aux centres sociaux, cette fermeture se justifiait par la mauvaise qualité du projet présenté par l’équipe du centre social. Marie, directrice du centre, répond ici aux arguments de la mairie et revient sur les activités que proposait la structure.

On a récemment appris que la mairie de Tours avait décidé de mettre fin à la convention qui la liait au centre social. Tu peux nous rappeler quelles étaient les activités du centre social ?

Le centre social propose des activités sur un territoire comprenant Rochepinard, la Bergeonnerie, les Fontaines et les Rives du Cher. Ces activités comprennent des accueils adolescents, un accompagnement de projets pour ces jeunes, des activités pour les familles, avec un axe autour de la parentalité, en ateliers parents-enfants, entre autres, des activités et services pour les adultes avec un travail sur la question de l’isolement, des activités et manifestations socio-culturelles pour toutes les tranches d’âge, des contrats locaux d’accompagnement à la scolarité... On accueille également des associations comme le club sportif Valentin Huy, qui s’adresse aux personnes déficientes visuelles.

Pour justifier sa décision, la mairie explique que le projet que vous avez présenté n’était pas satisfaisant : demande d’une augmentation de la subvention, réduction du territoire d’action du centre social, baisse du nombre d’adhérents... En gros, c’était un projet tellement pourri qu’il n’était plus question de bosser avec vous.

Notre convention avec la mairie de Tours arrivait à terme en décembre 2014. Lors du comité de pilotage d’octobre 2014, nous devions donc acter la reconduction de la convention avec la ville – sachant que notre agrément de la Caisse d’Allocations Familiales était valide jusqu’à fin 2017.

L’agrément de la CAF conditionne l’activité d’un centre social comme celui des Fontaines. Pour obtenir l’agrément, il faut constituer un dossier portant sur tous les aspects du projet (le fond, les valeurs, l’activité, l’organisation, la coordination, l’accueil...). Un nouveau « diagnostic » doit être réalisé tous les trois ans.

Le projet que nous avons proposé en octobre n’était pas différent de celui que nous avions proposé l’année dernière, qui avait été agréé par la ville et par la CAF. Seulement, quand le centre social a commencé à fonctionner en 2002, son activité portait uniquement sur le quartier des Fontaines. Progressivement, l’ancienne municipalité nous a demandé de proposer des activités à la Bergeonnerie, puis à Rochepinard avec l’ouverture d’une antenne, le tout sans augmentation de budget. On n’a pas eu d’argent supplémentaire pour nous occuper de ces quartiers, et un déficit s’est creusé d’années en années : on était arrivés à un déficit d’environ 50 000 euros par an pour financer nos activités. Alors, lors du comité de pilotage d’octobre 2014, on a expliqué qu’on avait besoin de fonds supplémentaires pour pouvoir mener à bien le projet.

A l’époque, il nous a été dit qu’il n’était pas possible d’augmenter la subvention. Nous avons alors entamé des discussions sur les activités qu’il faudrait réduire ou arrêter, et on a obtenu un prolongement de six mois de la convention. En janvier, nous avons eu rendez-vous avec les techniciens de la ville, qui nous ont demandé de déposer un projet au mois de mars – contrairement à ce qu’a affirmé l’adjointe au maire en conseil municipal, il n’était pas question d’échanges au mois de février.

Lors du conseil municipal du 26 mai 2015, l’adjointe au maire Alexandra Schalk-Petitot a pris la parole pour justifier la décision de la mairie de mettre un terme à la convention. Son intervention peut être lue intégralement ici : http://pastebin.com/eLi7kqJr.

Les techniciens de la ville nous ont présenté les nouveaux objectifs du centre social. Et le quartier des Rives du Cher ne faisait plus partie des objectifs fixés. Ce n’est pas nous qui avons décidé d’arrêter nos activités dans ce quartier ! Par ailleurs, il était question de se désengager du quartier de la Bergeonnerie, qui ne sera plus un quartier « politique de la Ville » à partir du 11 juin 2015 [1].

Puisque la ville nous demandait de ne plus aller aux Rives du Cher, on n’a pas inclus ce quartier dans le projet. Et puisqu’on nous demandait de ne plus axer notre action sur la Bergeonnerie, on proposait de ne plus y mener d’activités à partir du mois de juillet. L’adjointe nous reproche de nous désengager de certains quartiers, mais c’est la mairie qui nous l’a demandé !

Je ne sais pas non plus d’où Schalk-Petitot tire ses chiffres concernant les adhérents. Ce que nous appelons les adhérents, ce sont les personnes inscrites sur les activités socio-culturelles ; il y en a pas loin de 200. En dehors des ateliers socio-culturels et des accueils d’adolescents, il n’y a pas d’inscriptions à l’année, parce que nous avons décidé d’avoir un système souple. Des adolescents inscrits, il y en a 60, sans compter les non inscrits. On a donc au bas mot 260 adhérents, auxquels se greffent les personnes qui fréquentent les ateliers (parents-enfants par exemple), services (écrivain public entre autres), manifestations (apéro-concert...) sans être inscrites, et qui sont à peu près aussi nombreuses. On n’a donc jamais proposé un projet qui prévoyait de tomber à 10 adhérents ! Ce chiffre est purement fictif !

L’adjointe au maire a aussi affirmé que vous souhaitiez mettre fin aux ateliers socio-culturels proposés par le centre social.

Là aussi, c’est faux. Dans le nouveau projet, on proposait de travailler à la construction d’une programmation culturelle globale avec les associations hébergées au sein du centre social ou présentes sur le territoire – plutôt que de gérer ces ateliers en direct, ce qui nous coûte très cher. On n’a pas proposé d’arrêter les activités socio-culturelles, mais d’arrêter leur gestion directe.

L’arrêt programmé des activités aux Rives du Cher et à la Bergeonnerie, est-ce que vous perceviez ça comme un renoncement, ou est-ce que c’était lié au fait qu’il y avait moins de besoin dans ces quartiers ?

Aux Rives du Cher, ce n’était pas très grave, car il y a déjà un Établissement de vie sociale (EVS) qui est censé s’occuper du territoire. Pour nous, c’était compliqué d’être là-bas alors qu’on n’y avait pas de locaux. Pour la Bergeonnerie, c’était un crève-cœur, car les activités qu’on y proposait marchaient très bien. Les ateliers parents-enfants pouvaient réunir 40 personnes tous les jours. L’été, une centaine de personnes fréquentaient les quartiers d’été. Le problème, c’était le financement de ces activités. Il fallait faire des choix. Et encore une fois, ce quartier n’entrait plus dans les objectifs que nous avait fixés la mairie !

Comment avez-vous vécu l’annonce de la fermeture du centre social ?

Du point de vue de la décision politique, il n’y a pas grand-chose à dire : le maire a été élu, et s’il veut supprimer Léo Lagrange, il supprime Léo Lagrange. On aurait pu accepter ce choix si les choses s’étaient passées proprement. Mais on a été informés de la décision de la mairie le 30 mars par lettre recommandée, et on a plus reçus un appel de leur part depuis cette date. Les techniciens de la ville ne sont plus venus nous voir. Aucune explication ne nous a été donnée en direct, et il a fallu trois semaines pour que nos responsables obtiennent un rendez-vous. On a l’impression que la décision de fermer le centre a été prise depuis longtemps, et que rien n’aurait pu l’empêcher. Ça a été brutal, on ne s’y attendait pas du tout. On s’attendait à ce que d’éventuels désaccords sur le projet donnent lieu à des allers-retours entre la mairie et nous, pas à une fermeture. On a peut-être été un peu naïfs : la fédération Léo Lagrange étant plutôt d’un bord politique [2] et la mairie d’un autre... Au final, on se rend compte que la décision est uniquement politique et n’a rien à voir avec le boulot que nous menons.

Honnêtement ce qui arrive là aujourd’hui on ne le comprend toujours pas. La mairie n’a pas de plan B en réalité, ils vont proposer aux associations hébergées de continuer leurs activités : yoga du rire, atelier mémoire… Mais faut être réaliste, ça ne va pas remplacer les actions d’un centre social. Nous ça fait 13 ans qu’on est là, et une activité de centre social c’est pas linéaire, là on était en phase ascendante avec de nouvelles propositions, et une implication des gens. Un vrai accueil avec un espace dédié pour les ados…

Il faut du temps pour que les gens nous fassent confiance, qu’on se fasse connaitre, qu’on instaure un lien. Faut aller toutes les semaines faire le tour du quartier, dire bonjour, instaurer quelque chose, être à leur écoute, connaître le quartier, et construire ensemble – comme pour l’atelier d’écriture qu’on a créé avec un groupe de femmes des Fontaines.

Ces choses prennent du temps et c’est pas palpable si on ne s’intéresse pas un peu plus au quartier ; si on ne vient pas voir ce qui se passe, on ne peut pas savoir. L’adjointe peut raconter ce qu’elle veut en conseil municipal, mais qu’elle raconte des choses vraies !

Pétition de défense du centre social Léo Lagrange

Qui a annoncé la nouvelle à l’équipe et aux habitants ?

J’ai dû l’annoncer à toute l’équipe du centre social, qui compte 8 permanent-e-s, et 14 intervenant-e-s socioculturel-le-s, . Ça a été compliqué, car la ville souhaitait d’abord que l’on fasse une communication commune. On a d’abord attendu que nos responsables de la délégation régionale Léo Lagrange Ouest rencontrent les élus, ils ont rencontré Schalk-Petitot et la directrice des services. Au bout de 3 semaines de mutisme en attendant une soi-disant communication commune, j’ai dit « c’est bon, il faut le dire aux habitants et aux partenaires », d’où notre petite lettre annonçant la fin de nos activités. Et rien qu’avec ça on s’en est pris plein la gueule – alors qu’on s’est pincé les lèvres car il y avait toujours le marché public de l’enfance en cours. Pour la mairie, cette lettre est « odieuse ». L’équipe a été meurtrie.

En quoi le marché public de l’enfance est en lien avec vous ?

La mairie établit un marché public pour les accueils de loisirs enfance (3-12 ans) sur la ville, c’est réparti en plusieurs secteurs. Léo Lagrange Enfance gère actuellement les accueils sur le nord et le sud. En février le nouveau marché a été proposé avec une modification des secteurs géographiques. Léo Lagrange a donc répondu pour maintenir son activité sur 2 lots à Tours nord et sur le lot de Tours sud. La réponse vient de tomber :Léo Lagrange a perdu le marché public sur Tours nord, au profit d’une association inconnue qui n’est pas de la région.

C’est toujours en lien avec ce choix politique de se débarrasser de Léo Lagrange à terme sur Tours, ils y vont progressivement, disparition du centre social au sud et disparition des accueils enfance au nord, comme une stratégie. D’autant que ce marché public de l’enfance est pour 3 ans, mais il est reconductible tous les ans, c’est-à-dire que dans un an à Tours sud ça peut s’arrêter aussi.

Que vont devenir les salarié-e-s ?

On ne sait pas encore, on continue nos actions jusqu’au 30 juin, on va continuer à être payés au-delà en attendant les propositions de la délégation régionale Léo Lagrange. On va voir si la Mairie nous laisse les locaux, si ils nous mettent dehors on ira chez nos collègues de Tours Nord, où on va se faire confier des tâches jusqu’au licenciement économique ou jusqu’à une autre proposition. Une partie d’entre nous, notamment les intervenant-e-s socio-culturel-le-s, pourra être reclassée sur Tours sur les TAP [3], pour les autres c’est plus compliqué. Certain-e-s sont mutables en région et moi sur toute la France, mais y’a pas vraiment de postes. Car dans les autres régions c’est pareil, les villes de droite évacuent Léo Lagrange, parfois c’est un peu mieux fait, de façon plus correcte, plus négociée…

Certain-e-s auront peut-être la possibilité de partir en formation… Notre instance régionale fera le maximum pour éviter les licenciements économiques.

Qu’est-ce que vous faites pour vous défendre ?

Les habitant-e-s se sont organisé-e-s et ont fait des pétitions, ils sont une quarantaine à les faire signer, actuellement on a récolté plus de 450 signatures. Au-delà de la pétition, les habitant-e-s ont pris rendez-vous avec l’élu de quartier (c’est la procédure) pour obtenir une rencontre avec le Maire. Ils veulent être associés à la suite, connaitre les véritables raisons de la fermeture, et ce qui va se produire ensuite.

Nous nous nous mobiliserons le 6 juin pour manifester avec les habitant-e-s, usager-e-s, parents… Notre sort est jeté mais notre souhait est d’aller plus loin avec d’autres, ceux qui font ce boulot de terrain, de fourmis, les autres associations touchées ou celles qui vont l’être, pour faire une action commune. Et puis par la suite pourquoi pas mettre en place une équipe qui assurerait une veille sur les décisions de la mairie en matière d’action sociale, pour informer réellement les habitant-e-s. Sinon c’est trop facile !

P.-S.

A lire aussi sur ce sujet le témoignage de Françoise, habitante du quartier.

Notes

[1Il s’agira désormais d’un quartier « de veille », qui ne se verra plus attribuer de fonds « politiques de la Ville ». Ces fonds viennent soutenir les collectivités pour mener des actions spécifiques sur les territoires désignés.

[2Le président de la fédération est Bruno Le Roux, président du groupe « socialiste » à l’Assemblée Nationale...

[3Temps d’Activité Périscolaires, 15h-16h30.