Socialisme ou Babary... le flamboyant retour d’Alain Dayan

Depuis le 22 décembre et la nouvelle de la fermeture du Foyer Albert Thomas, Alain Dayan, fraîchement élu à la tête de la section de Tours du Parti Socialiste (PS), multiplie les déclaration sur les réseaux sociaux et entend peser de tout son poids dans le mouvement de soutien aux résidents du foyer, quitte à réveiller quelques inimitiés chez les militants d’extrême gauche à la mémoire un peu longue. Revenons sur le parcours de ce vieux routier de la politique tourangelle pour mieux comprendre ce qui se joue depuis quelques jours.

Étudiant en pharmacie et investi dans le syndicalisme étudiant au début des années 90, il entre au Parti Radical de Gauche (PRG) et en devient le secrétaire départemental. Il rencontre à cette époque Jean Germain, avec lequel il lie une relation d’amitié teintée d’admiration et d’intérêt. Il quitte le PRG et lors des municipales en 1995, après la victoire de Germain, il devient adjoint au Commerce et au Tourisme, un poste important et prestigieux qui montre le prix de l’union de la gauche, même au niveau local…

Ne vivant pas que de militantisme et d’eau fraîche, Alain, devenu docteur en biologie médicale co-gère un laboratoire d’analyses à Saint-Pierre-des-Corps et l’affaire devient vite florissante, comme c’est d’ailleurs fréquent dans ce domaine d’activité aux marges très confortables. En 2011, l’entreprise déclare plus de deux millions d’euros de chiffre d’affaires, en augmentation de 15% par rapport à l’année précédente. Il déménage alors à Tours Nord et, même si on ne trouve plus de chiffres depuis 2012, il est tout à fait probable que tout se passe pour le mieux dans son nouveau laboratoire. Même s’il n’est absolument pas déshonorant de réussir en affaires, il est amusant de constater la pudeur de celui qui préfère se présenter sur les réseaux sociaux et auprès des journalistes comme simple « biologiste », un modeste, le Alain, qu’on vous dit.

Revenons à la passion de notre protagoniste, la chose publique.

En tant qu’adjoint au Commerce et au Tourisme, et ce pendant presque vingt ans, M. Dayan a laissé une trace concrète de ce qu’il considère comme une juste action de gauche « réformiste et progressiste » : il participe fortement à la création de la Grande Braderie de Tours et de la Guinguette dont il vante la mixité sociale enchanteresse. Il est un farouche partisan du Tramway et initie les mises en scène de Saint Martin comme argument touristique : en 2013 se déroule une célébration assez confidentielle autour des 1 616 ans de sa mort... il est vrai que telle date symbolique méritait incontestablement commémoration.

Considérant que l’objectif politique premier d’une municipalité est de dynamiser l’économie locale, il est plutôt favorable à une extension de l’ouverture des commerces le dimanche et il appelle de ses vœux dès 2012 l’implantation d’hôtels de luxe à Tours. Il donne également du poids à Tours Évènements, cette société hybride de droit privé avec comme actionnaire principal la Ville de Tours qui entend développer le rayonnement de la ville et le remplissage du Vinci par l’organisation de foires, grands événements « populaires » comme les courses de Nascar (sic), concerts, spectacles… bref, toute la panoplie de la métropole qui attire investisseurs, touristes à fort pouvoir d’achat et nouveaux habitants huppés.

En tant que président de l’aéroport de Tours (dont M. Serge Babary a été l’administrateur), en parallèle de ses activités d’adjoint, il œuvre sans relâche pour en augmenter le trafic et les subventions (1,5 million d’euros/an), quitte à se brouiller avec les alliés Verts. Qu’à cela ne tienne, il affirme aux journalistes que le problème de la pollution est secondaire car bientôt on disposera d’avions propres (re-sic) et assume, sous la bannière de la Realpolitik, l’argent qui est versé à Ryanair pour chaque passager transporté à Tours, afin d’attirer cette compagnie dans l’agglomération. Mais que les gauchistes se rassurent, Alain se déclare « pas fan » du modèle social du transporteur irlandais. Ouf.

En tant qu’homme du PS, l’expérience d’Alain Dayan est plus douloureuse. En 2011, fort du soutien de Jean Germain et de Jean-Patrick Gille et d’un plébiscite, au niveau local, digne des plus belles élections de délégué de classe (17 voix Pour, 14 voix Contre), il décide de se présenter aux élections cantonales. Manque de chance, la conseillère sortante, Mme Monique Chevet, soutenue par la présidente du Conseil Général et par la direction du PS à Paris — qui entend tenir ses engagements à propos de la parité — choisit de se présenter également. La farce ira jusqu’au procès au Tribunal de Grande Instance pour savoir lequel des deux candidats aura le droit d’arborer le logo du parti sur ses affiches… Le Tribunal se déclare incompétent pour statuer et les deux meilleurs ennemis continuent leur chemin vers l’élection. Ils la perdront tous les deux car la direction nationale du PS, signant un accord avec les Verts, décide de soutenir une tierce candidature, celle d’un écologiste dans le canton, qui arrivera en tête au premier tour et au second. Monique Chevet quitte alors le parti pour l’extrême gauche, choix diversement apprécié par M. Dayan...

Après la défaite aux Municipale en 2014, il se pose en défenseur infatigable de Jean Germain dont il idolâtre le bilan tout en le défendant bec et ongles dans l’affaire judiciaire dite des mariages chinois qui enfle depuis des mois. Il qualifie la mise en examen pour complicité de prise illégale d’intérêt et de détournements de fonds publics de son mentor de « péripétie » [1] dans les colonnes de La Nouvelle République [2]. Il crie aussi à la cabale juridico-médiatique, à la trahison et au mensonge des juges, des journalistes et des opposants politiques.

Peu avare en superlatifs, il compare Jean Germain à un nouveau Roger Salengro [3] ou à un Alfred Dreyfus et, après le suicide de M. ermain en avril 2015, le jour de l’ouverture du procès, il se presse d’écrire en quelques semaines un livre avec Arnaud Roy, journaliste local co-fondateur du site d’infos PS-compatible « 37 degrés ». L’ouvrage intitulé Enquête sur un suicide politique, vendu 16,50 euros, sort quelques jours avant le procès renvoyé à octobre 2015 [4]. Les deux auteurs, gênés d’être taxés d’opportunisme, déclarent dans la presse que la date de parution est un choix de l’éditeur, sans consultation…

Avec tout ça, Alain Dayan a appris à maîtriser le langage politique et manie avec brio la langue de bois et les quelques arguments favoris du gars pas vraiment de gauche qui veut se faire élire avec l’étiquette du PS. L’anti-racisme, la lutte contre le FN et la défense de la laïcité sont invoqués à longueur de temps comme des sortes de talismans du marquage à gauche. Toute critique émanant de sensibilités plus à gauche est renvoyée dans les cordes par des caricatures réduisant le contradicteur à un révolutionnaire doctrinaire coupé des réalités, à un complotiste attardé, à « quelqu’un qui ne met pas les mains dans le cambouis de la politique » ou à un provocateur violent qui met en danger la démocratie et fait monter le FN. Lorsque les questions gênent, l’interlocuteur est invité à prendre rendez-vous plus tard pour « discuter de ce sujet technique qui nécessite du temps ».

Enfin, Alain ne dédaigne pas le rôle de victime et de cible facile des journalistes-déformateurs de propos, il est vrai particulièrement réputés pour leur virulence à la NR, à 37 degrés ou à Info-Tours. Mais attention, Alain sait aussi affirmer ses valeurs humaines, il est donc l’homme de la pondération, du dialogue, de la négociation, du légalisme, de la réforme, de la bonne gestion et du progrès… mots-clés qui jalonnent ses discours publics et entendent le mettre en scène comme un véritable homme d’État d’expérience, faisant oublier ses attitudes agressives, parfois violentes, attestées au fil des années par des militants associatifs.

Depuis la rentrée 2016, Alain Dayan reprend l’offensive. Il donne une longue interview chez les amis de 37 degrés début septembre [5], puis brigue la direction de la section locale du PS après le départ de son prédécesseur qui a préféré l’aventure Macron. Habitué des sacres grandioses, c’est une vague de fond de 39 voix contre 25 qui lui offre la victoire fin septembre, même si certains de ses petites camarades s’offusquent du manque de renouvellement dans le parti.

Défenseur résolu du bilan de Hollande, alors qu’il avait joué la carte Strauss-Kahn en 2011-2012, Dayan est tenté par Valls pour la primaire lorsque le Président décide ne pas briguer un second mandat, puis, il finit par se raviser et choisit Vincent Peillon qui représente une voie médiane dans le parti selon lui.

Professionnels de l’occupation et professionnels de la politique

C’est donc dans cette trajectoire personnelle et dans l’intérêt du parti en lambeaux qu’il représente que M. Alain Dayan s’est saisi de l’affaire du Foyer Albert Thomas.

Dès le 22 décembre et alors que les nouvelles de fermeture fuitent, M. Dayan se manifeste sur les réseaux sociaux et montre son effroi. Après la liquidation officielle de l’association gestionnaire du foyer le 23 décembre, notre protagoniste entend constituer un Collectif Contre la fermeture du Foyer Albert Thomas dès le 25 et appelle à un rassemblement devant la Cathédrale le lundi 26 à 15h. Il refuse de participer ce même jour à 9h, devant le foyer, au rassemblement qui est voulu par les résidents et les salariés soutenus par la structure La Barque, craignant une occupation et un blocage du lieu. De son côté, Mélanie Fortier, conseillère régionale du Parti Radical de Gauche en délicatesse avec le PS local depuis 2014 [6], lance un autre appel dans son coin, cette fois uniquement pour qu’une réunion d’élus sous l’égide du préfet soit organisée, pour trouver des solutions.

M. Dayan se rend tout de même, à titre personnel, devant le foyer, dans la matinée du 26, et est pris à parti par des personnes l’accusant de tentative de récupération politique et de n’avoir rien fait, pendant 19 ans au pouvoir, pour régler durablement le problème du logement d’urgence à Tours. Sur-jouant un de ses rôles favoris, la victime incomprise qui ne recule pas devant le sacrifice, M. Dayan quitte les lieux bruyamment en qualifiant quelques personnes présentes de « professionnels de l’occupation », réitérant ces propos sur les réseaux sociaux quelques heures plus tard [7]. « Son » rassemblement devant la Cathédrale fait un flop, les salariés et résidents du foyer ayant décidé de ne pas y aller… à peines 20 personnes y participent, pendant une petite heure avant de rentrer à la maison.

Peu importe, le 27, toujours sur les réseaux sociaux, M. Dayan considère que son action a été payante car le mandataire de la liquidation judiciaire autorise les salariés à rester jusqu’au 4 janvier et leur demande, de manière très ambiguë d’assurer les service minimum au foyer auprès des résidents, pourtant dans l’illégalité. Il en profite aussi pour taper sur la mairie, ce sera déjà ça de pris. Petit bémol, les résidents du foyer lui reprochent alors d’avoir rendu cette nouvelle publique sans en avoir demandé la permission aux principaux intéressés.

Le 28, silence radio sur le sujet car M. Vincent Peillon est en visite à Tours et il s’agit d’être pris en photo le plus possible à ses côtés et de ne surtout pas troubler la venue d’un homme d’une telle stature avec de petites problématiques mesquines de logement d’urgence.

Le 29, une fois les caméras reparties, M. Dayan reprend le « combat » sur les réseaux sociaux et annonce qu’il ne participera pas à la manifestation organisée par les résidents et salariés le 30 car il s’oppose aux méthodes d’occupation qu’il juge contre productives et trop violentes, bien que tout se passe tout à fait calmement, sans intervention des forces de l’ordre et avec liberté totale d’entrer et de sortir du foyer. Il répète à l’envie qu’il est partisan de la négociation et du dialogue, mais reste peu loquace sur les actions et stratégies concrètes. En réalité, il annonce juste s’être entretenu avec le Maire et le Mandataire pour défendre la « continuité de l’accueil » au foyer, sans preuves. Chacun jugera de la potentielle efficacité d’un tel engagement au service des résidents.

Le 30, une centaine de personnes, sans Alain qui boude, manifeste donc devant la mairie et la Préfecture qui reçoit une délégation et propose un rendez-vous la semaine prochaine. Quelques heures plus tard, M. Dayan fait publier un communiqué de presse regroupant des élus du Modem, du PRG et des Verts (parfois pas spécialement au courant de l’opposition entre le comité des politiques et celui des résidents) où ils appellent à une réunion rapide entre Préfecture, Ville, Département et associations qui pourraient reprendre le foyer… sans un mot pour que les salariés et les résidents y participent. Mais, irrépressiblement humanistes et flirtant avec un bolchevisme à visage humain, ils souhaitent si possible « éviter le transfert des résidents dans un autre lieu » [8].

Détail savoureux, pour ceux qui continuent à tomber dans le panneau du rôle de petit militant blessé tenu avec talent par Alain Dayan : à la mi-novembre 2011 et par grand froid, alors que Dayan Alain officiait en tant qu’adjoint au commerce à la mairie, la municipalité de Jean Germain fermait la halte de jour pour l’accueil des sdf située quartier Velpeau à la suite de plaintes du voisinage. Une nouvelle halte de jour était ouverte au Sanitas, à grands renforts de communication relayée par la presse amie, mais l’ancienne halte, encore en état de fonctionnement quoi que vide, fut occupée par des associations de défense des sans abris, scandalisées par la fermeture du lieu alors que, déjà à l’époque, le 115 n’était pas en capacité de loger toutes les personnes en situation de grande précarité.

Particulièrement énervé par l’occupation, la mairie considère cet acte comme « regrettable », « mal venu », « ne donnant pas lieu à discussion mais à une réaction rapide ». Et en effet, après des intimidations de la Police Municipale et sous menace d’intervention musclée de la police le lendemain, les occupants quittèrent les lieux qui furent murés dans la foulée. Des gens dormirent dehors à Tours ce soir là et les suivants, mais on comprend cependant ce qu’Alain a dans la tête lorsqu’il parle avec mépris de « professionnels de l’occupation ». Rappelons également que c’est sous Jean Germain et son adjoint au Commerce qu’ont commencé à fleurir les arrêtés anti-mendicité [9] afin de nettoyer les rues des présences incongrues qui gênent tant touristes et familles quand ils cherchent à faire tranquillement leurs courses... Où était passée la fibre sociale d’Alain à cette époque ?

Alors pourquoi cet article ? Il est évident que cela peut sembler anecdotique face au drame que vivent les résidents du foyer et les anciens salariés. Il est évident également que les autorités compétentes –préfet, DDCS, département et ville- sont les réelles responsables de la situation, à la fois du manque de contrôle et d’encadrement de l’association gestionnaire du foyer, et de l’absence de réponse humaine et durable aux problèmes des résidents. Cependant, la tentative de récupération politique du mouvement par une opposition municipale en pleine déconfiture, et incapable de prendre la mesure de la détresse des exilés et de la colère des salariés et associations de soutien, pose de gros problèmes, surtout dans la perspective des municipales de 2020 et d’une alternance.

Existe-t-il véritablement une opposition à Tours qui ne partage pas 90% de sa politique avec la majorité actuelle de M. Serge Babary ? Que peux-t-on attendre du Parti Socialiste après 19 années d’une politique locale sociale-libérale, passablement clientéliste et qui partage l’essentiel des objectifs et stratégies de la droite, comme en témoigne encore récemment le consensus autour de la question de l’obtention du statut de métropole par Tours ? Comment est-il possible qu’un homme élu avec 39 voix représente la principale voix de l’opposition municipale, et soit en état de structurer le projet de la gauche locale pour 2020 ? Peut-on continuer à faire confiance à des individus au parcours comparable à celui de M. Dayan et qui sont là depuis 25 ans ? Où est passée la critique sur les projets de la majorité actuelle, l’aménagement du haut de la rue Nationale, les baisses des dotations pour certaines associations à but social, les fêtes martiniennes et le « tout-économique » ? Où est passé le vrai discours de gauche sur la solidarité, la mixité, la redistribution, l’écologie, les infrastructures collectives pertinentes et non seulement d’apparat, l’action artistique, la mise en question de la recherche de croissance économique comme unique critère de bonne gouvernance, la critique de la mainmise de la bourgeoisie, notamment immobilière, sur la ville ? Voulons-nous encore d’un fonctionnement sous la discipline d’un parti dirigé par des « experts-gestionnaires » paternalistes qui entendent tout faire bien comme il faut, y compris la défense de la dignité de gens menacés d’expulsion ?

Et dire qu’il suffirait de s’inscrire à 40 au PS local pour largement infléchir ses orientations…

P.-S.

Ah oui, Alain, si tu nous lis et que tu as un éclair de lucidité… il faut savoir partir et profiter d’une retraite bien méritée. Vraiment.

Notes

[2Lors du procès auquel Jean Germain devait comparaître, Lise Han, accusée de prise illégale d’intérêt et d’escroquerie sera reconnue coupable et condamnée à 1 an de prison ferme en janvier 2016, les trois autres inculpés étant également reconnus coupables)

[3Ministre socialiste de l’Intérieur sous Léon Blum en 1936, il se suicide à la suite d’une calomnieuse campagne de presse d’extrême droite au sujet de sa prétendue désertion pendant la Première Guerre mondial alors qu’il avait été capturé par l’ennemi, comme l’a reconnu officiellement l’État-major

[6Exclue de la liste de Jean Germain pour les municipales, elle refuse que le PRG soutienne donc le PS, affaiblissant ainsi le maire sortant