Le 9 septembre, La Nouvelle République publiait un article intitulé « François Rabelais : vers une université plus ouverte ». Est-ce que c’est une vision que partage le syndicat Solidaires Etudiant-e-s ?
Ce n’est pas du tout notre vision. Contrairement à l’ouverture tant vantée par la présidence de l’Université, on a appris cette année la fermeture de la licence d’allemand. Cette licence avait déjà été fermée temporairement en 2013 : à l’époque, une professeure de l’université dénonçait les logiques de rentabilisation de l’université qui étaient à l’œuvre. La fermeture de cette filière pénalise les étudiant-es les plus précaires, obligés d’aller étudier dans des villes extérieurs à l’académie d’Orléans-Tours.
Cette logique de rentabilité se retrouve dans le processus de sélection sur critère géographique en licence de psychologie : le nombre de place a été limité à 700 étudiant-es, alors que la demande est bien plus élevée. On observe aussi que les périodes d’inscription sont de plus en plus courtes, avec une volonté claire de limiter le nombre d’inscrits.
Quelles autres évolutions avez-vous observé pour cette rentrée universitaire ?
On a appris qu’une « spécialisation en ressources humaines » était à l’étude pour les départements de sociologie et de psychologie. Les « ressources humaines », c’est une façon bien particulière de concevoir ces deux disciplines des sciences sociales ! La professionnalisation de l’Université est passée par là ; la subordination des Universités publiques aux intérêts du patronat et l’ingérence de ce dernier à l’Université aboutissent à ce sympathique résultat : la recherche (sans même parler des maquettes des cours, avec la fameuse « pédagogie des compétences », plus monnayables sur le marché de l’emploi que les savoirs) tend désormais de plus en plus à être soumise aux intérêts des entreprises, ce qui pose quelques sérieux problèmes sur l’objectivité des recherches et leur exhaustivité. On imagine mal Bourdieu travaillant sur la domination ou les Pinçons-Charlot sur la grande bourgeoisie en étant rémunérés par le MEDEF…
Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin ! Cette spécialisation en ressources humaines se fera « en lien avec les ressources humaines de l’armée ». L’ouverture de l’Université ne fait aucun doute : ouverture au kaki et au pas de l’oie !
D’après le syndicat FSU, plus de 40 emplois d’enseignants-chercheurs titulaires ne seront pas pourvus en septembre 2017, par choix délibéré de la direction de l’université. Chez les personnels BIATSS (Bibliothèque, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, Social, Santé), un tiers de tous les emplois sont occupés par des précaires. Enfin, dès cette rentrée, l’université de Tours semble ne pas avoir les moyens d’assurer la totalité des heures d’enseignement prévues dans les maquettes de formation.
Enfin, on a appris que le catalogue des formations « pourrait être largement rebattu, guidé par la désaffection pour les études de langues et civilisation [et] les lacunes régionales en commerce et management ». Traduction : l’annonce du délaissement des filières de Lettres et Langues au profit d’autres filières, plus « vendeuses », comme le management ou le commerce, et tant pis pour les nombreux-ses étudiant-es des filières concernées, l’important étant sans doute la sacro-sainte « compétitivité du territoire ».
Solidaires Etudiant-e-s a présenté une liste aux élections à l’UFR (Unité de formation et de recherche) d’Arts et Sciences Humaines. Quels sont les enjeux de cette élection ?
Pour nous, le premier enjeu est d’obtenir des informations sur ce qui se décide au conseil d’UFR, qui élabore les maquettes de cours, l’organisation des enseignements, la gestion des doctorats et postes d’enseignants-chercheurs, et la gestion des laboratoires de recherche. En l’état, les informations ne redescendent pas : les seuls représentants étudiants au conseil sont des « associatifs », qui travaillent de manière opaque et dans une logique très corporatiste.
Les représentants associatifs qui siègent au conseil d’UFR sont issus d’associations correspondant chacune à une filière au sein de l’Université. L’une des principales activités de ces associations consistant à organiser des soirées à destination des étudiant-es. Un certain nombre de ces associations sont regroupées au sein d’une corporation nommée Elus-Assos, qui représente les étudiant-es dans diverses instances de l’Université. Cette corporation prétendument apolitique est également un tremplin pour certains jeunes cadres du PS, à l’image de Wilfried Schwartz, maire de La Riche.
Au niveau national, on se dirige vers une sélection des étudiant-es à l’entrée en Master 1 (la sélection s’effectuait jusque-là en Master 2, et de manière officieuse). Dans ce nouveau contexte, les UFR devront déterminer les modalités de sélection pour chaque master. Nous espérons donc pouvoir combattre ce processus en siégeant au sein du conseil d’UFR d’Arts et Sciences Humaines.
Nous revendiquons également une hausse des moyens alloués à cet UFR, qui fait partie des UFR les moins bien dotés de l’Université. Plus globalement, Solidaires Etudiant-e-s dénonce la logique qui consiste à vouloir accueillir plus d’étudiant-e-s avec moins de moyens et de postes.
Enfin, nous dénonçons les tentatives de la présidence de museler toute voix contestataire au sein de l’Université. Lors du mouvement contre la loi Travail, elle a tenté d’interdire la tenue d’assemblées générales au sein de la faculté. Et en amont des élections du conseil d’UFR, deux vices-présidents de l’Université ont contacté les assos afin de les encourager à constituer une liste face à celle que nous présentions. La présidence préfère visiblement les associatifs aux syndicats revendicatifs, et est prête à tout pour laisser le moins de place possible à ces derniers. Cela en dit long sur leur conception de la démocratie à l’Université. Cela n’a cependant pas abusé les étudiant-es, car ceux-ci ont donné un large avantage à la liste que nous soutenons (57% des voix pour la liste « étudiant-es précaires et déters’ » et 43% pour « la Communauté de l’ASH »), ce que l’on peut considérer, malgré la (très) faible participation, comme un signe encourageant.
Globalement, on constate qu’au sein de l’université, les rapports de force et les conflits sont totalement évacués au profit d’un consensus faussement dépolitisé qui accompagne toutes les politiques menées par la présidence. Le meilleur exemple en étant sans doute le programme des associatifs pour les élections à l’UFR : pas la moindre référence à la politique universitaire, et des revendications qui concernent principalement les prises électriques dans les amphis et l’installation de panneaux pour des petites annonces, alors qu’il en existe déjà. On croirait qu’il s’agit de l’élection de délégués de classe au collège !