L’information selon laquelle la licence d’allemand fermerait circule, peux-tu expliquer ce qui se passe concrètement ?
Ca fait déjà un petit moment qu’on parle de fermer complètement le département d’allemand. Une mesure est passée à l’université signifiant que les années qui auraient moins de 15 inscrits, toutes disciplines confondues, ne seraient pas ouvertes. L’an dernier on avait moins de 15 inscrits, mais on a été sauvé un peu miraculeusement par ce qu’on a appelé le « parcours allemand », ce sont des heures que l’on a ajoutées qui s’ouvrent à d’autres étudiants. Comme on tenait à ces parcours, la direction a accepté qu’on ouvre malgré le manque d’étudiants inscrits en licence 1. C’était vraiment assez miraculeux, normalement on n’aurait pas dû ouvrir l’an dernier. Cette année, on avait 8 ou 9 inscrits, en tous cas on n’atteignait pas le seuil demandé, on nous a dit « maintenant c’est fini, c’est terminé, quel que soit le nombre d’étudiants inscrits dans le parcours allemand ». On voyait bien la chose arriver, ça fait déjà plusieurs années qu’on savait qu’il allait se passer quelque chose vu la baisse de nos effectifs. On a essayé de mettre en place un certain nombre d’actions pour aller voir les lycéens, pour les intéresser, les inviter à s’inscrire chez nous, et cetera. Cela n’a pas marché, on s’est retrouvé et le couperet est tombé : « pas de première année ! ».
Cette fermeture est définitive ?
Cela ne veut pas dire que le département ferme ou que la licence d’allemand n’existe plus du tout pour l’instant. On a fermé la première année et la direction de l’université nous demande de créer une nouvelle licence. Au début on était assez sceptique, mais il y a déjà eu un précédent avec la licence de philosophie qui avait fermé pendant une année et qui a ensuite rouvert sur une autre maquette. Donc on est en train de préparer une nouvelle maquette qui serait plus orientée vers notre master. On a un nouveau master auquel la direction de l’université tient beaucoup parce que c’est un master avec Bochum, notre université partenaire, une université allemande assez prestigieuse. Ce master s’adresse à des germanistes et il faut vraiment que notre licence perdure. On nous a demandé de formuler une nouvelle licence qui soit plus orientée vers ce master de médiation culturelle, un titre très à la mode… On nous demande de faire un exercice d’équilibre entre ce qui fait une licence d’allemand, c’est-à-dire la pratique de l’allemand et les notions de civilisation et de littérature, et la médiation culturelle entre la France et l’Allemagne. Cette licence devrait ouvrir en septembre 2014. Entre-temps, on redouble d’initiatives envers les lycéens : on va essayer de parler le plus possible de cette nouvelle licence et essayer de dire aussi qu’on ne ferme pas. Parce que c’est assez catastrophique pour nous que tout le monde pense que c’est fini. Mais ce n’est pas le cas, en tous cas pas encore, même si faire une nouvelle licence ça ne veut pas dire qu’on aura forcément 15 inscrits.
Que se passe-t-il si vous n’atteignez pas ce seuil de 15 inscrits ?
Je pense qu’on aura certainement une année d’essai. L’an prochain, même si on n’a pas 15 inscrits, on ouvrira certainement quand même. Une deuxième année ce sera plus compliqué. Mais on a l’objectif du master qui a commencé l’an dernier et qui a bien pris. C’est un master franco-allemand, les étudiants qui le passent ont deux diplômes, ils font un semestre en France et un semestre à Bochum. Nos étudiants ont trouvé de très bons stages en Allemagne et on espère que cela va continuer pour encourager des étudiants à s’inscrire dans cette perspective-là. Parce qu’il y a aussi un cliché qui a la vie dure : on ne fait pas de l’allemand seulement pour devenir prof d’allemand !
J’imagine que la désertion des formations d’allemand est une problématique nationale.
Oui mais ça remonte. Ca remonte dans les collèges, dans les lycées ça commence à se faire sentir. Et dans l’académie Orléans-Tours, on manque même de profs d’allemand. Certains collèges qui ont réussi à ouvrir des classes ne peuvent pas assurer les cours parce qu’il n’y a pas assez de profs. On se rend compte aujourd’hui que savoir parler allemand c’est bien et que connaître vraiment cette culture est important. Et que ça peut aussi apporter un boulot… puisque c’est ça que les parents demandent à chaque fois, « est-ce qu’il y a des débouchés ? ». Oui, il y en a, il y a 20000 postes en France qui ne sont pas pourvus parce qu’il n’y a pas de germanistes.
On retrouve là le fait que les formations qui recrutent sont celles qui sont identifiées comme « utiles » ou en tous cas à même d’amener rapidement à l’emploi…
Oui. Un étudiant va forcément choisir plutôt une filière LEA (Langues Etrangères Appliquées) parce que c’est lié à l’entreprise, parce qu’on a un stage… plutôt que l’allemand qui paraît plus théorique, plus déconnecté du monde du travail. C’est aussi ce qu’on nous demande de faire avec la nouvelle licence : montrer que ce n’est pas seulement faire de la théorie mais qu’il y a des choses qui peuvent être utiles dans l’optique d’un travail futur et pas seulement l’enseignement.
Est-ce le rôle de la fac d’être à la remorque de cette demande ?
Non. Maintenant on nous demande de former des étudiants pour les emmener au travail ce qui n’est pas du tout notre objectif premier. On est là pour faire de la recherche et transmettre le savoir sur lequel on est en train de chercher. C’est ça normalement. Tout ça est complètement déformé actuellement.
La règle des 15 inscrits illustre le développement d’une vision gestionnaire de l’université…
Oui. Mais on pensait au départ que c’était pour des questions financières et en fait ça ne l’est pas, ou pas seulement. Je pense qu’on essaie de se concentrer sur ce que tu nommais tout à l’heure des filières « utiles ». Evidemment sont épargnées toutes les facs de sciences, de médecine, etcetera. A la fac de Lettres et Langues c’est quand même plus problématique : on peut difficilement faire disparaître un département d’anglais ou de LEA, mais en allemand on est peu nombreux. A la fac avant, il y avait du russe, de l’arabe, du polonais… il n’y a plus tout ça et ça fait partie de cette dégradation générale. J’espère que la nouvelle licence va être acceptée et intéresser parce qu’il n’y aurait plus de licence d’allemand entre Paris, Nantes et Bordeaux. Quand le couperet est tombé, on a lancé une pétition et on a reçu des lettres de partout avec des arguments très différents. Ca nous a soutenu, ça nous a fait du bien de voir que des gens qui n’étaient pas forcément liés directement à l’allemand ou au monde universitaire trouvaient important voire nécessaire que des études d’allemand soient encore faites à Tours. C’était bien d’entendre ça, maintenant il faut que ça se concrétise aussi par des chiffres, malheureusement…
A propos de cette pétition, quelle a été la réaction de la direction ?
Quand on l’a envoyée aux membres du conseil d’administration, peu de temps avant le vote, ça n’a malheureusement pas permis de faire tourner le vent dans le sens contraire. Mais je sais que certains arguments ont porté auprès de la présidence. Je pense que c’est aussi ce qui a fait qu’on nous a proposé de construire une nouvelle licence, on aurait aussi pu nous dire « terminé ».
D’autres disciplines sont dans une position similaire ?
Oui, l’italien. Le département d’italien a très peu d’étudiants, ils sont à peu près comme nous. Cette année la licence 1 a ouvert mais la question se pose pour eux comme pour nous. Donc faudra aussi faire un article sur l’italien [rire jaune].
Quel lien peut-on faire avec l’évolution nationale de la gestion des universités sur un mode managérial ?
En fait il y a un lien avec beaucoup de choses. Il y a d’abord un lien avec l’image générale de l’allemand en France. Cela nous fait beaucoup de tort. Parce que l’allemand est comme on le sait une langue gutturale, affreuse à entendre, difficile à apprendre… et en plus tous les allemands parlent anglais, c’est bien connu, donc ça ne sert à rien de savoir parler allemand. Il y a ça. Ensuite, oui, il y a le contexte général de restriction budgétaire qui fait qu’on va essayer d’économiser de l’argent le plus possible partout dès qu’on peut. Ca fait longtemps qu’on baisse tout doucement même si bien sûr quand des lois comme la LRU passent on sait très bien qu’à moyen terme ça va faucher ceux qui auront le moins de force pour résister. On est un petit département, on essaie de faire entendre notre voix comme on peut.
Donc tu lies ça davantage au désintérêt pour les langues ?
Au-delà d’un manque d’intérêt pour les langues, c’est un manque d’intérêt pour la littérature. La littérature ça ne sert à rien, tout le monde le sait ! A quoi ça sert d’avoir lu ? A rien ! D’ailleurs personne ne lit… Même à la fac de Lettres et Langues les étudiants ne lisent pas ou peu. C’est un mouvement général qui balaye tous les cours de littérature. Quand on voit les maquettes de certaines licences, il n’y a plus rien. On est en lettres et langues : où sont les lettres ? Où sont les langues ? C’est aussi ce qui fait qu’on est menacé : il y a beaucoup de littérature dans une licence d’allemand et c’est normal. Mais on s’en désintéresse globalement, ça n’existe plus. Et si tu regardes les maquettes, tu verras très souvent des cours de littérature pour la jeunesse, c’est des trucs très à la mode, parler de littérature sans parler de littérature… J’espère qu’on reviendra de tout ça un jour.