Retour sur la coupure de courant à Tours Nord : 120 personnes « prises en otage »

Retour sur la coupure d’électricité par EDF de la résidence Liberté à travers l’analyse de l’association Chrétiens-Migrants qui y loue sept studettes, notamment pour des mineurs isolés et des familles.

Les intérêts croisés semblent nombreux et les enjeux multiples (plan urbanistique de la ville pour le quartier de l’Europe, promoteurs immobiliers, propriétaire de la résidence…), mais ce sont bien les personnes logées qui sont mises en situation sanitaire précaire par EDF, avec l’appui de la préfecture d’Indre-et-Loire.

L’analyse de la situation par l’association Chrétiens-Migrants

Vendredi 29 juillet 2016 au matin :

Veille des grands départs en vacances. Au motif d’un conflit financier avec le propriétaire de l’immeuble, EDF, assistée d’un huissier et protégée par deux cars de CRS coupe l’ électricité de l’ex Hôtel Liberté de Tours Nord (joli nom…).

120 personnes, dont de nombreux enfants (au moins 20), installées dans les 54 studettes de cet immeuble de meublés ouvert en 2002 sont, sans préavis, privés de courant. Ce sont des travailleurs pauvres, des demandeurs d’asile qui vivent là dans des conditions précaires et qui sont ainsi pris en otage.
Ils sont alors condamnés à vivre dans le noir, manger froid, sans eau chaude, et se réunissent chaque soir devant un feu de camp pour partager le repas et se serrer les coudes.

Le même jour à 17h30, Chrétiens-Migrants avait interpellé le cabinet du préfet qui ne semblait pas savoir que la police avait participé à l’opération et déclarait, avec courtoisie et gentillesse, qu’il s’agissait d’un litige privé qui serait tranché par un référé-liberté déposé devant la justice dès le lundi suivant. Peu rassurée, l’association avait alors saisi la presse en rappelant les obligations de relogement qui incombent aux pouvoirs publics (presse qui couvrit alors largement l’événement).

Dès le samedi 30 juillet :

Sans attendre cette décision de justice « la direction de la solidarité entre les personnes » du conseil départemental (autre joli nom et autre belle idée) travaille « en étroite collaboration avec la préfecture, pour traiter les conséquences sociales de cette coupure d’électricité  » (dixit le DGA du conseil départemental).

Lundi 1er août :

Une première réunion a été organisée par le préfet d’Indre-et-Loire, associant les services du conseil départemental d’Indre-et-Loire, du CCAS de Tours, de la Direction départementale de la cohésion sociale (encore un beau projet), les représentants des principales associations ou acteurs, sous-traitants des pouvoirs publics, œuvrant pour l’hébergement d’urgence (Entraide ouvrière, Foyer des jeunes travailleurs et Adoma).

Notons cependant que le Droit au Logement, ATD ou Chrétiens-Migrants, défenseurs des droits des personnes, ne sont pas informés ! L’association Chrétiens-Migrants est particulièrement concernée car elle loge 7 adultes et 12 enfants dans les studettes privées d’électricité. Son exclusion des discussions est donc totalement inadmissible… Pourquoi cette exclusion ?

Mercredi 3 août :

Le tribunal a rendu sa décision. Elle est à l’évidence conforme aux désirs des représentants de l’État et d’EDF (détenue à 87% par l’État). Pas de rétablissement du courant.

« L’existence d’un dommage imminent pour les personnes précaires n’est pas démontré »...

La misère est toujours moins pénible au soleil, même sans électricité…

En revanche « l’extrême légèreté » du propriétaire est pointée du doigt pour avoir distribué des bougies aux locataires au lieu de moyens plus modernes, et présentant moins de risques. « C’est une décision politique. Il n’est pas concevable de couper l’électricité à des gens en grande nécessité alors que pèse sur l’État une obligation de relogement. Personne n’ignorait que dans cet immeuble il y avait 120 personnes. » explique l’avocat qui défend les intérêts du propriétaire.

Que faire désormais ? « La balle est dans le camp des représentants de l’État en Touraine » (La Nouvelle République, 04/08/16).

Jeudi 4 août :

Une nouvelle réunion a été menée par le préfet avec le conseil départemental et les trois bailleurs sociaux du département — Val Touraine habitat , Touraine logement et Tours Habitat — pour travailler sur le sujet. En conclusion de cette rencontre, un communiqué conjoint de la préfecture et du Département indiquait que :

  • « les conditions réglementaires de la décence des logements n’étant plus réunies en l’absence d’électricité, le préfet a demandé à la CAF d’Indre-et-Loire de suspendre les aides au logement qui sont actuellement versées au propriétaire »,
  • « les locataires de l’ex-hôtel Liberté, privés d’électricité, en situation régulière, devraient être relogés rapidement ».

Soixante personnes (une trentaine de ménages) sont concernées, et ont déjà fait des demandes de logement social. Vingt-neuf pourraient trouver rapidement une solution (trois ou quatre sont déjà relogées), trente et une personnes sont encore « en situation d’urgence ».
 Les demandeurs d’asile, eux, ont d’abord été renvoyés vers le 115 dont tout le monde connaît l’incurie (100 refus d’hébergement par jour depuis des mois).

« Caractérisés comme en situation irrégulière, la préfecture étudierait cependant pour eux des solutions d’hébergement (…), solutions rapides et opérantes ».

Décidera-t-elle de se mettre en conformité avec la loi qui lui impose de loger tout le monde ?

Après la fermeture administrative de l’Hôtel Tranchée, quand on connaît les démantèlements des campements de pauvres à Paris (26 cette année) et partout en France, quand on voit comment les Mineurs Isolés Étrangers sont traités dans notre département (quatre sont mis à l’abri dans une studette), quand on sait qui a aussi décidé de supprimer la subvention à Chrétiens-Migrants qui soutient les étrangers sans-abri, il faut craindre le pire.

Personne n’est dupe. Soutenus par cette association qui leur apporte une aide alimentaire et leur permet de venir se laver dans son local, les demandeurs d’asile, qui ont tous vocation à rester sur notre territoire, préfèrent vivre dans le noir que de retourner sous la dépendance d’un 115 « alibi », dont ils se sont affranchis et qui laisse à la rue des malades, des handicapés et des femmes avec des bébés.

L’association Chrétiens-Migrants, qui loue pour eux six studettes, a proposé à EDF (en accord avec le propriétaire qui déduirait le coût de l’électricité du montant de la location) de souscrire un contrat direct avec elle pour la fourniture de l’électricité, ce qui lui a été refusé catégoriquement.

Le contentieux qui oppose le propriétaire à EDF doit être jugé le 6 septembre. La commission d’attribution de logement, elle, se réunira le 10 août.

« L’opportunité d’une telle coupure d’électricité est bien contestable, il serait plus simple et plus humain de rétablir le courant. » (Communiqué UD CGT 37 du 05/08/16)

Quoi qu’il en soit, la rupture de l’engagement de location du propriétaire qui résultera de la décision d’EDF, soutenue par les services de l’État, causera un préjudice à Chrétiens-Migrants qui sera alors contraint d’exercer les recours en justice nécessaires.

Dans cette triste affaire, on peut entrevoir qui seront les victimes. S’il est beaucoup question de liberté, de solidarité, de cohésion sociale, que faire pour que « le droit des pauvres » ne reste pas un mot creux ? La rumeur de grandes manœuvres du lobby de la promotion immobilière apparaissant aussi en arrière-plan sur ce terrain.

Sans relogement de la totalité des occupants, les procédures en cours deviendraient proprement indignes (alors que des appartements offerts par des communes et des particuliers pour loger des réfugiés restent toujours disponibles et que la ville compte un grand nombre de logements vides).

Alors qu’en cette « Année Saint Martin », notre ville veut renforcer le sentiment de fierté et d’appartenance des Tourangeaux autour d’une valeur commune, celle du partage, il est urgent que tous se remettent sur le droit chemin...

Pourquoi ne pas espérer qu’il est possible de reloger tout le monde et, en attendant, de rétablir l’électricité nécessaire à la survie de ces dizaines de personnes déjà si démunies ? C’est le sens de notre demande de rencontre avec les autorités locales.

Ci-joint, le courrier envoyé par l’association au Préfet d’Indre et Loire.

Lettre de l’association Chrétiens Migants au Préfet d’Indre et Loire