Procès de Farida Belghoul : « cette histoire est symptomatique des attaques qui visent l’école publique »

Le 24 mars, Farida Belghoul passera en procès à Tours pour complicité de diffamation, dans le cadre de l’affaire qui avait vue une enseignante de Joué-lès-Tours faussement accusée d’organiser des attouchements entre élèves. Celle qui est à l’origine des « journées de retrait de l’école » (JRE) visant à dénoncer l’enseignement de la théorie du genre à l’école avait appuyé les fausses accusations d’une de ses militantes. Entretien avec SUD Education 37, qui a soutenu l’institutrice au moment des faits.

Pouvez-vous revenir sur les faits qui ont entraîné la mise en examen de Farida Belghoul, présidente des JRE ?

Les faits remontent à mars 2014. Cette époque préélectorale est marquée par les agissements de la Manif pour tous, ainsi que des actions menées par les JRE. Ce groupe revendique l’interdiction de l’enseignement de la théorie du genre dans les écoles. Or, cette théorie dite du genre n’existe pas réellement, ils surfent sur les notions d’égalité des sexes, de laïcité et d’éducation à la sexualité. Le procès d’intention fait au film « Tomboy » de Céline Sciamma en est un exemple éloquent. L’histoire de cette fille se grimant en garçon pour intégrer un groupe d’enfants est, selon eux, un appel à la transsexualité.

A cette époque, les JRE organisent des journées visant à convaincre les familles de retirer les enfants de l’école. Selon eux, l’école et les enseignants pervertiraient les enfants. Par ailleurs, les JRE sont soutenues par des personnalités comme Christine Boutin ou encore Dieudonné. Nous voyons autour de quels cercles ce groupe fonctionne, et par conséquent de quelles idéologies ils se réclament.

Une de ces journées se déroule en mars. A Joué-lès-Tours, le contexte est parfait pour initier une fronde anti-école. Le candidat à la mairie, du parti Les Républicains, Mr Frédéric Augis, contribue à activer les rumeurs sur la théorie du genre. Un tract anonyme est d’ailleurs distribué dans certains quartiers dénonçant des pratiques « limites » dans les écoles de la ville. Quelques jours plus tard, l’affaire de l’école Blotterie éclate.

Le samedi 29 mars 2014, sur YouTube est diffusée une vidéo, où Dalila Hassan, responsable locale des JRE, met en cause une enseignante de cette école de Joué-lès-Tours. Dans cet entretien filmé face caméra, Mme Hassan explique qu’une enseignante de l’école aurait demandé à deux enfants de sexe opposé de se mettre nu, face à leurs camarades, et leur aurait demandé de se toucher. Cette vidéo se termine par les mots « VAINCRE OU MOURIR ». La vidéo diffusée sur les réseaux sociaux a été vue des dizaines de milliers de fois, suscitant de nombreux messages haineux, ainsi que des menaces de mort à l’encontre de l’enseignante mise en cause. C’est un week-end... les commentaires sont nombreux...

Dès le lundi, l’enseignante soutenue par SudEducation 37, dépose plainte pour diffamation. Les différents protagonistes sont entendus pour les besoins de l’enquête. Aucune des deux familles concernées par l’histoire ne porte plainte contre l’enseignante, les accusations sont reconnues comme mensongères. La vidéo, elle, demeure accessible sur le net. Mme Belghoul, présidente des JRE, est présente à l’école Blotterie dès le vendredi soir et fournit des interprètes pour la famille de l’enfant qui aurait été mis en cause...

L’enseignante maintient sa plainte contre Mme Hassan, qui est filmée sur la vidéo et dépose également plainte contre Mme Belghoul pour diffamation et incitation à la haine.

Quelles ont été les réactions de la hiérarchie de l’enseignante diffamée, et des autres organisations syndicales ?

Le lundi matin 31 mars 2014, soit 48 heures après la mise en ligne de la vidéo, dès l’ouverture de l’école, le Directeur Académique ainsi que l’Inspecteur de la circonscription sont présents pour soutenir l’équipe et la collègue mise en cause. Les services de l’Éducation Nationale ont réagi donc assez rapidement, et ont apporté un soutien moral à l’enseignante. Les réactions syndicales sont plus mitigées, voire nulles.

SudEducation37 suit l’enseignante dès le samedi, dès la mise en ligne de la vidéo. Le syndicat sera présent de bout en bout, et apportera un soutien moral, logistique et juridique à l’enseignante. Le syndicat se tourne en particulier vers YouTube pour obtenir le retrait de la vidéo. Celui-ci est obtenu tout d’abord, avant que YouTube ne se rétracte. SudEducation 37 alerte également le CHS-CT qui ne semble pas vouloir être concerné par l’affaire, alors que la tension est forte et que l’école et l’enseignante sont menacées sur les réseaux sociaux. Le CHS-CT ne s’emparera d’ailleurs pas de la question, les représentants des personnels ne devant sans doute pas se sentir concernés...

Le Snuipp37, quant à lui, a témoigné de pas mal d’hésitations bien que ses responsables, en étroits liens avec le DASEN, aient été informés de l’affaire dès le départ. Ils ne vont pas soutenir (comme les autres syndicats d’ailleurs) les mobilisations qui vont suivre, mais disent tout de même apporter leur soutien à l’enseignante concernée. Quand Sud appelle à un rassemblement de soutien, dès le lundi soir, devant l’Inspection Académique, de nombreux collègues présents demandent ce que fait le syndicat majoritaire... Il y a alors près de 230 personnes sous les fenêtres de l’IA, enseignants et parents mobilisés en quelques heures seulement. L’indignation est très forte face aux événements.

Début avril, SudEducation37 organise une réunion pour évoquer les faits et expliquer aux collègues ou aux familles le désirant ce qui s’est produit et quels dangers représentent des organisations comme les JRE. Le Snuipp 37 ne s’associe pas à cette démarche... démarche pourtant nécessaire permettant, notamment, d’apaiser le climat scolaire.

Concernant le SNALC, ou FO, nous n’avons pas souvenir d’actions ou réactions particulières, ce qui aurait tendance à nous faire penser qu’ils ont été les grands absents de cette histoire...

Quel regard portez-vous sur l’activité des JRE et de la FAPEC [1]et les objectifs idéologiques qu’ils semblent poursuivre ?

Cette association, qui prétend lutter contre l’enseignement de la théorie du genre à l’école, nourrit une certaine haine de l’école publique et de ses enseignants. Elle prône notamment la déscolarisation. Sans aucun scrupule, elle mène ses actions en manipulant des personnes socialement fragiles.

Dans le cas de l’affaire de l’école Blotterie, Mme Hassan évoque deux enfants, dont un particulièrement traumatisé par les faits. Il s’agit d’un petit garçon, d’origine tchétchène. La famille ne maîtrise pas le français, et ce sont des interprètes des JRE qui s’occupent d’expliquer à la famille ce qui s’est produit. Ils utilisent des familles ayant une faible connaissance du fonctionnement des écoles françaises (arrivés depuis peu en France, leur petit garçon était, rappelons-le en petite section, sa toute première année dans le système scolaire). Dans ce cas de figure, on imagine assez aisément les stratagèmes mis en place pour inventer de toutes pièces des actes n’ayant pas eu lieu.

La réelle intention des JRE est de viser, par l’intermédiaire d’une propagande de choc, l’égalité des sexes, la liberté de conscience, la laïcité et l’État de droit. Ce type de groupuscule regroupe des extrémistes de tout bord, et surfe sur les grands thèmes à la mode, les grandes angoisses populaires. Cela rappelle les techniques du FN face aux migrants « dangereux », ou celle des catholiques de l’Opus Dei face à l’avortement, entre autres exemples... Ce type de manipulation est assez fréquent dans le modus operandi de ce genre d’activisme, car cela s’avère payant médiatiquement...

Les enseignant-es sont-ils fréquemment visés par ce type d’attaques ?

C’est une des affaires les plus médiatisées de ce genre. Parce qu’elle se déroulait au moment des élections municipales, dans un contexte assez haineux, dans une école dite de quartier sensible, avec des enfants mis en cause très jeunes, et en usant du relais de la vidéo et des réseaux sociaux.

Pour nous, cette histoire est assez symptomatique des attaques régulières dont fait l’objet l’école publique. Les enseignants sont montrés du doigt, responsables des maux de la société de consommation, laxistes et souvent gauchistes... Avouons-le, la collègue visée ne l’a peut-être pas été au hasard. Elle est syndiquée et active, elle a des idées de gauche... Doit-on ajouter que c’est une femme ?

Le procès pour diffamation nous semble être une étape importante. Il s’agit de montrer qu’on ne peut jouer avec l’humain et la vérité, on ne peut mentir honteusement sans que cela ne soit sanctionné. Dans cette histoire, les victimes sont nombreuses. Il s’agit de familles qui ont dû changer leur enfant d’école, d’une collègue qui a dû quitter son établissement d’exercice et déménager... Pour éviter que les menaces écrites sur Internet ne deviennent une réalité.

Depuis mars 2014, aucune affaire de ce type n’a été recensée dans notre département... La vigilance demeure une priorité, pour que cela ne se reproduise pas... Pour que les enseignants puissent travailler dans un climat serein, et avec la confiance des familles.

Notes

[1Fédération Autonome de Parents Engagés et Courageux, émanation des JRE.