Plan grand froid : les mineurs laissés à la rue

Contrairement aux déclarations de la préfecture d’Indre-et-Loire, une trentaine de mineurs ont été laissés à la porte des dispositifs d’hébergement d’urgence ces derniers jours. Récit de la journée du 28 février par les bénévoles de l’association Utopia 56, qui œuvre pour l’accompagnement des mineurs isolés étrangers.

« Personne n’est resté à la rue ces dernières nuits à Tours », déclarait la préfecture dans les colonnes de La Nouvelle République du mardi 27 février, alors que le plan « grand froid » était activé. Une déclaration mensongère, puisque de nombreux mineurs sont laissés à l’écart de tous les dispositifs de protection.

Mercredi 28 février 2018, Tours, Indre-et-Loire

Aujourd’hui, la journée commence fort, il est 9h30, quatre mineurs arrivent au local de Chrétiens Migrants (association qui accueille, accompagne et soutien les étrangers de manière inconditionnelle). On en connaît certains, on les a accompagné à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) la veille. Ils nous racontent qu’ils ont été refusés et emmenés au 115.

14h00

On est à la toute nouvelle permanence Utopia 56, on discute.
Une bénévole a connaissance de deux jeunes, à qui l’Aide Sociale à l’Enfance a demandé de prendre leurs affaires et de venir à 14h dans leurs locaux.
On s’inquiète, on commente...
« Impossible de les remettre dehors aujourd’hui, le plan grand froid est activé. »

14h30

Appel de l’avocat de D., jeune malien de 16 ans, qui a eu son résultat d’audience. Il est reconnu mineur par le juge des enfants avec un placement à l’ASE, on a la larme à l’œil. D. était arrivé le 22 décembre 2017 dans la salle d’attente de Chrétiens Migrants, calme. Ce même jour, ils étaient sept à avoir été refusés par l’ASE.

14h30

Première tentative d’appel au 115 pour trois des quatre jeunes qui attendent toujours chez Chrétiens Migrants, après avoir mangé à La Table de Jeanne Marie, l’association qui offre des repas, tous les jours, de manière inconditionnelle. Merci à toutes ces associations, indépendantes, qui se battent au quotidien...

14h45

On apprend que les deux jeunes reçus par l’ASE sont remis dehors suite à des tests osseux effectués quelques jours avant. Les tests osseux consistent à faire des radiographies qui permettraient d’estimer une tranche d’âge pour déterminer la minorité. Cette pratique est peu fiable, elle est contestée et doit être utilisée en dernier recours [1]. La bénévole qui les suit va les chercher.

15h15

Après de nombreux essais, on a une interlocutrice au 115. Explication de la situation. Premier refus.

« Non, nous n’acceptons pas les mineurs. »

Bien qu’habituée à ce genre de discours je retente ma chance :

« Mais on vient de leur dire à l’Aide Sociale à l’Enfance qu’ils ne pourraient pas avoir de protection car ils n’étaient pas mineurs. »

Concrètement et pour bien comprendre l’incohérence de la situation : lorsqu’un mineur se présente à l’ASE, et que la structure refuse de le prendre en charge après avoir « jugé » qu’il était majeur, on le laisse à la rue en lui conseillant d’appeler le 115. Lorsque ces mêmes jeunes appellent le 115, on leur répond que seule l’ASE est habilitée à les prendre en charge, puisqu’ils sont mineurs. Les structures se renvoient la balle, et au final ces jeunes se retrouvent à la rue.

La dame m’explique, j’abrège :

— Hier, des jeunes qui s’étaient présentés à l’ASE ont pu dormir au 115.
— Oui, parce que l’ASE nous l’a demandé.
— Donc il vous est bien possible d’accueillir des mineurs. C’est le plan grand froid et ces jeunes n’ont pas de solutions.
— J’en parle à mon supérieur, rappelez nous à 17-18 h.

16h30

La bénévole met à l’abri les deux jeunes mis dehors par l’ASE, elle a une solution d’urgence.
On arrive chez Chrétiens Migrants, les quatre jeunes sont là et un autre est arrivé entre temps, remis dehors lui aussi, après deux mois de prise en charge, suite aux résultats de tests osseux (dont la marge d’erreur est de 18 mois). Il a tenté de se jeter sous une voiture tant il était désespéré...
On leur dit qu’on ne sait encore ce qui va se passer...
Il y a quelques flocons, on est saisi par le froid...
On fait un point avec les jeunes sur leur situation et les solutions. On s’entraîne à retenir les prénoms !

17h10

Nouvel appel au 115. Après plusieurs tentatives, quelqu’un me répond. Je réexplique. Le refus est catégorique, les raisons à vomir... On laisse clairement des mineurs à la rue à Tours.

17h20

Chrétiens Migrants contacte la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) pour leur demander de valider l’hébergement des mineurs et d’une autre famille de six personnes, une maman et ses cinq enfants. Seul un est majeur. Sans Chrétiens Migrants, ils auraient dormi dehors les nuits précédentes. Il faut rappeler.

18h

Réponse de la DDCS. La position est maintenue, pas de mineurs au 115, plan Grand froid ou non !

La famille trouvera finalement une place à 19h30. Rose-Marie, bénévole de Chrétiens Migrants, devra aller les y déposer. Le 115, géré par une association mandatée et subventionnée par l’Etat, attribue les places libres mais ne s’occupe ni des accompagnements sur place ni de la capacité des gens y accéder. Les gens sont remis dehors le lendemain à 9h.

18h15

On répartit les jeunes, deux familles dispos pour accueillir un jeune, et trois vont à l’hôtel (grâce à nos fonds qui proviennent de dons de particuliers).

20h

La journée est finie et on est dégoûté par les pratiques du Département vis-à-vis des plus vulnérables, et de lire dans la presse que la préfecture se pavane en prétendant ne laisser personne à la rue.

Utopia 56 Tours dénonce la politique de non accueil réservée aux mineurs isolés étrangers et les mensonges de la préfecture.

P.-S.

L’association Utopia 56 à Tours œuvre à l’accompagnement des Mineurs Isolés Étrangers dont les droits sont bafoués. Découvrir Utopia 56 Tours : https://utopia56tours.wixsite.com/utopia56tours