Mort d’Angelo Garand : la contre-enquête de Didier Fassin

Dans « Mort d’un voyageur. Une contre-enquête », le sociologue Didier Fassin, notamment connu pour son travail sur la police [1], revient sur la mort d’Angelo Garand, tué par les hommes du GIGN en mars 2017.

« Toute spécifique que soit cette histoire, elle n’en révèle pas moins des traits fondamentaux des institutions répressives de l’État et du traitement punitif des voyageurs : elle n’est pas simplement un fait divers. »

Le 30 mars 2017, une équipe de l’antenne GIGN de Tours envahit la ferme de la famille Garand pour interpeller l’un des fils, Angelo [2]. Caché dans une remise, il est abattu de cinq balles. Les gendarmes, d’abord mis en examen pour « violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner », bénéficieront finalement d’un non-lieu : « légitime défense ».

Contacté par la famille Garand dans le cadre du combat mené pour qu’un procès ait lieu, le sociologue Didier Fassin s’est penché sur l’affaire. Il a pu rencontrer un certain nombre de protagonistes, et accéder à des documents clés : rapport d’autopsie, analyse balistique, procès-verbaux d’auditions... En confrontant méthodiquement les données à sa disposition, en croisant les récits, il expose de manière éclatante les zones d’ombre qui entourent la mort d’Angelo.

Si Angelo était debout face aux gendarmes, comment se fait-il que la trajectoire des balles soit descendante, ce qui suggère que les tireurs étaient au-dessus de la victime ? Si, comme ils le prétendent, les gendarmes ont d’abord tenté de maîtriser Angelo à mains nues, pourquoi ne retrouve-t-on aucune trace attestant l’existence d’une lutte ? Angelo criait-il, comme le prétend un gendarme, ou était-il silencieux, comme l’affirme un autre ? Pourquoi les contradictions entre les récits des gendarmes n’ont-elles pas été prises en compte, alors que les témoignages des proches présents à quelques mètres de la remise où Angelo a été abattu ont été systématiquement écartés ? Pourquoi la déclaration du médecin appelé sur les lieux affirmant à son collègue que « le gars n’était pas armé » n’est-elle pas retenue ?

En procédant à une lecture rigoureuse de l’ordonnance de non-lieu qui disculpe les gendarmes, Fassin montre comment tous les faits pouvant contredire la version des gendarmes sont écartés afin de parvenir à la conclusion souhaitée : les tireurs ont bien agi en état de légitime défense.

« On ne pèse pas le pour et le contre, comme la symbolique de la balance de la justice le laisse imaginer. Le développement de la discussion est une démonstration univoque qui retient les éléments favorables à ce qu’il s’agit de démontrer et qui modifie ou bien écarte les éléments défavorables. La conclusion n’est pas le point d’aboutissement du raisonnement. Elle en est le point de départ. »

Au-delà de ce travail méticuleux d’analyse des faits et des documents à sa disposition, Fassin expose les mécanismes ayant conduit à la mort d’Angelo et au non-lieu : les préjugés qui frappent les voyageurs ; la multiplication des unités d’intervention type GIGN, qui conduit à ce qu’elles interviennent dans des situations sans lien avec leur objet initial (prises d’otages, actes de terrorisme...) ; la hiérarchie des crédibilités et la force des affinités, qui conduit la justice à privilégier les témoignages des gendarmes à ceux des voyageurs.

Alors que les tribunaux français s’apprêtent à enterrer définitivement les recours de la famille Garand [3], la contre-enquête de Fassin propose d’aller au-delà de cette vérité judiciaire. Elle rend justice à la victime et à ses proches, en leur accordant la dignité dont les ont privés le racisme qui frappe les voyageurs et la mécanique implacable de l’impunité policière.


Mort d’un voyageur. Une contre-enquête. Didier Fassin. Paris, Editions du Seuil, 2020, 176 p., 17€.

Notes

[1Didier Fassin, La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, Paris, 2011.

[3La famille Garand avait fait appel de la décision de non-lieu ; le non-lieu a été confirmé en appel ; le pourvoi formé devant la cour de cassation, examiné le 4 juin 2020, risque d’être rejeté. Voir le reportage de La Meute.