Merci Dexia, ou le cynisme ordinaire des banques vis-à-vis des collectivités territoriales

Au dernier conseil municipal de Saint-Pierre-des-Corps a été présenté un protocole “transactionnel” autour du refinancement d’un emprunt “structuré” fait par la ville en 2011. Sous le coup de la confidentialité, et dans un cynisme le plus complet, celui-ci demande à la collectivité d’abandonner toute plainte contre les pratiques bancaires douteuses menées par Dexia, banque franco-belge pour le financement des collectivités locales [1]

Depuis 2008 et la crise financière, les collectivités locales sont soumises à des contraintes budgétaires inattendues. Dans le besoin de financer certains investissements bien légitimes, nombre d’entre elles sont tombées dans les filets des emprunts dits “structurés”, c’est à dire au montage financier complexe, basés sur des taux variables, calculés selon des formules alambiquées, liées à la variabilité du taux de change entre différentes monnaies (généralement entre le Dollar et le Franc suisse). Du capitalisme financier dans toute sa splendeur, mais pour les collectivités cela flairait le bon coup : taux très réduits par rapport aux emprunts à taux fixes, substantielles économies en perspective donc, augmentation des impôts d’autant plus limitée, et gage de bonne gestion financière de la ville (et de réélection éventuelle).

Tout aurait été dans le meilleur des mondes si la conjoncture ne s’était pas quelque peu renversée avec la crise et avec la spéculation sur les monnaies. Les formules complexes de calcul des taux de ces emprunts cachaient en effet des dégâts collatéraux : le renversement des taux de change avec la crise financière les rendant non seulement nettement moins attractifs, mais pire encore, faisant exploser les taux d’intérêts, exposant ainsi certaines collectivités à de lourds remboursements, sinon à la banqueroute. De “structurés” ces emprunts devenaient carrément “toxiques”, dénoncés par les responsables politiques de tous bords et certaines associations [2].

Ce fut à Tours un des dossiers chauds de la dernière partie du règne de Jean Germain, dossier finalement réglé par un nouvel accord avec les banques sous la mandature suivante. [3]. De la même manière la ville de Chinon a du en 2015 se débarrasser d’un emprunt similaire [4].

Le maquis des emprunts à taux variables à Saint-Pierre (comme ailleurs)

Comme sa grande sœur tourangelle, la ville de Saint-Pierre-des-Corps fut attirée avant la crise par ce genre de solutions financières, sous la tendre férule de Dexia, la banque franco-belge pour les collectivités locales [5]. Dès avril 2008 et les alertes de certains élus [6], on pouvait alors craindre le pire pour au moins trois emprunts (présentés alors comme à “taux-post fixés”, euphémisme pour ne pas dire variables). Dans son audit des finances municipales en 2011 [7] la Cour régionale des comptes détaillait même la situation qui, dans toute sa complexité, dépassait les espérances :

  • d’une part, et de façon attendue, elle montrait que le petit jeu des emprunts structurés était vraiment à gros risques, et que leurs taux étaient passés de 3,6 % à près de 7,3 % ; soulignant « le caractère incertain de l’évolution des contrats »
  • d’autre part, elle alertait sur le danger d’un certain nombre d’emprunts présentés par les banques comme à taux fixes et qui s’avéraient pour autant très variables (taux en effet fixes mais indexés sur le change qui lui est variable). Dès 2009, précisait la Cour régionale, « l’exécution du contrat [Dexia] fait subir à la collectivité des pertes de change de plus en plus importantes », et pire encore, elle notait que sur la période 2003-2010, ils n’avaient fait gagner à la ville que 2 752,66 € ! a fortiori alors que « les pertes de change subies à l’occasion du seul remboursement de l’échéance du quatrième trimestre 2010 annihil[ai]ent près de 30 % de la totalité des gains de change obtenus depuis 2003 » [8].

Et depuis les choses n’ont fait qu’empirer. Le plus conséquent de ces emprunts “structurés”/toxiques que détient la ville de Saint-Pierre en 2016, voit ses taux d’intérêts s’envoler pour atteindre les 15 %. Et les sommes engagées sont lourdes : 4,2 millions d’euros empruntés en 2011 sur 14 ans (emprunt n° 162).

Il est clair que la situation pouvait devenir potentiellement très inquiétante sur la plan financier et que les “économies” espérées par l’utilisation de taux variables, et vantées à plusieurs reprises par certains élus (Madame le Maire en tête), allaient s’évaporer... Elle le devenait encore plus sur le plan politique pour une municipalité communiste prise la main dans le sac à vouloir profiter du grand jeu de la financiarisation, poussant un peu plus les banques à développer dans une opacité totale l’optimisation de leurs activités et à investir dans les paradis fiscaux.

Quand les banques avouent leur forfaiture (et en rajoutent encore)

La municipalité communiste se refusant d’affronter juridiquement les instances financières [9], renonçant aussi à voter un budget en déficit comme à Chinon [10], la renégociation s’imposait donc. Et cela, malgré des voix de plus en plus nombreuses pointant les irrégularités des dossiers proposés par les institutions bancaires [11], leurs pratiques peu morales, et le discours techniciste qu’elles savaient entretenir vis-à-vis d’élus et de services financiers, sinon imprudents, du moins largement ignorants et bernés.

C’est dans le cadre de cette renégociation menée depuis 2013 par la municipalité que se révèle toute la mauvaise foi (s’il fallait encore le prouver) des institutions bancaires. Exit, cette fois, Dexia, mise en faillite en 2013 [12]. Voici venir la SFIL, Société de Financement Local, et sa société de crédit foncier : la CAFFIL, Caisse Française de Financement Local. La seconde est l’ex-DMA (Dexia Municipal Agency) et la première est une structure à 100 % publique créée pour gérer l’encours de dette de l’ex-Dexia (90 milliards, une paille !). C’est auprès de ces deux instances bancaires que les collectivités sont priées de s’adresser pour les renégociations.

Et les méandres de ces négociations sont parfois surprenantes... C’est ainsi que pour conclure un accord de refinancement de l’emprunt de 4,2 millions d’euros a été soumis au vote des élus un protocole transactionnel qui n’a pas fini d’étonner.

Si la commune a obtenu des taux bas (entre 1,95 % et 3 %, selon un montage complexe en trois emprunts sur différentes durées), ce protocole s’avère un modèle absolu de cynisme.

Tout d’abord, les banques, bonnes mères, font une fleur à la ville en acceptant de renégocier et même, dans un élan de philanthropie sans doute, de ne prendre aucune marge, de prêter à prix coûtant. Comme quoi, c’est possible ! Et elles ne veulent que du bien ! Extraits :

« La CAFFIL a consenti à s’exposer à un nouveau risque de crédit à l’égard de la Commune destiné notamment à refinancer le Contrat de prêt »

« CAFFIL a accepté de ne réaliser aucune marge sur la liquidité nouvelle apportée à la Commune, laquelle a donc été consentie à prix coûtant, c’est-à-dire à un niveau permettant uniquement à CAFFIL de couvrir les coût de financement et d’exploitation »

Et bien gentilles ainsi, elles ont : « Accepté de prendre en considération [la] demande de refinancement »... Quelle mansuétude ! Non non, vraiment, fallait pas !

La philanthropie s’arrête cependant bien vite. En effet si elles ne prennent pas de marge (quoi qu’un taux d’intérêt à 3 % alors qu’elles empruntent à la Banque Centrale Européenne à 0 % cela leur confère un substantiel rapport), elles demandent à la mairie un (petit) droit de renégociation : celui-ci s’élève à la modique somme de 1,3 millions d’euros. Une paille ! Somme que la ville n’a d’ailleurs pas et qu’il lui faut par conséquent... emprunter. A la CAFFIL (sur 15 ans à 2 %). Une véritable double peine, prélevée sur les impôts des corpopétrussiens.

Mais ce n’est pas tout. Non contentes de ponctionner encore un peu plus elles posent une autre condition : que la ville s’abstienne de toutes poursuites judiciaires car le contrat d’origine de l’emprunt renégocié est marqué d’irrégularités [13] et il faut sauver des banques qui ont manifestement truandé sur le dos du bien commun. Extraits :

« [la ville s’engage à] renoncer à tous droits, actions, prétentions ou procédures judiciaires, arbitrales ou administratives visant à obtenir :

. (i) par tout moyen - lié notamment, aux vices du consentement, à la capacité, au taux effectif global, à l’usure ou à l’indemnité de remboursement anticipé - la nullité, la résiliation, la résolution totale ou partielle du Contrat de Prêt ainsi que de tout contrat de prêt ayant été refinancé, en tout ou partie, par ledit Contrat de Prêt, ou de tout autre document pré-contractuel ou contractuel qui pourrait s’y rapporter, et/ou

. (ii) par tout moyen - lié notamment à la méconnaissance d’une quelconque obligation au titre de la commercialisation ou de l’exécution du Contrat de Prêt en particulier les obligations d’information, de conseil, de mise en garde, de bonne foi ou de loyauté - la mise en cause de la responsabilité de SFIL et/ou CAFFIL au titre du Contrat de Prêt ainsi que de tout contrat de prêt ayant été refinancé, en tout ou partie, par ledit Contrat de Prêt, ou de tout autre document pré-contractuel ou contractuel qui pourrait s’y rapporter.

. [La ville s’engage à] à renoncer à tous droits, actions, prétentions ou procédures judiciaires, arbitrales ou administratives à l’encontre de Dexia Crédit Local selon les mêmes termes et conditions que la renonciation consentie à CAFFIL et SFIL à l’article 1.1.3(b).  »

Cerise sur le gâteau, tout cela doit se faire dans la plus grande discrétion. Une clause de confidentialité vient achever (si l’on peut dire) le contrat. Pas question de révéler au public (et à la presse) que les emprunts en renégociation sont non seulement toxiques mais en plus juridiquement attaquables, ce que les banques reconnaissent implicitement. Pas question d’étaler non plus les substantiels frais de renégociation qui pourraient peut-être choquer... Pas question peut-être aussi de trop diffuser les conditions de ces montages, conditions voulues et fixées par l’État [14] qui préfère éviter au secteur bancaire des collectivités locales (Dexia) une véritable Bérézina et qui cède au passage à un lobbying bien orchestré [15].

Nouveau chantage sur les collectivités, leurs élus, et accessoirement — et toujours — les finances locales. Extraits :

« 4. CONFIDENTIALITÉ
4.1 Les Parties s’engagent à conserver pour une durée de 2 ans à compter de sa signature le caractère strictement confidentiel du présent Protocole, ainsi que de l’ensemble de ses termes et des négociations qui ont conduit à sa conclusion et, à ce titre, à ne pas communiquer dans les médias sur le présent Protocole.

Sans doute les banquiers ne savent-ils pas que les conseils municipaux sont publics, que les élus peuvent poser des questions et que la presse y assiste [16].

Sans ce protocole, impossible pour les collectivités locales d’avoir des prêts, d’accéder au fonds de soutien mis en place par l’État pour aider financièrement les collectivités aux prises avec des emprunts structurés.

Le cynisme est à son paroxysme. Fermez le ban ! Circulez, il n’y a rien à voir.

Cela va durer encore longtemps ?

Sans doute ! Et ce même si tout le monde s’accorde sur les fraudes manifestes des banques, et sur la malveillance entretenue par l’État lui-même. Sauf que les finances locales et les discours politiques ne vont pas pouvoir tenir très longtemps. Les 1,3 millions d’euros de frais de négociation demandés par exemple représentent pour Saint-Pierre-des-Corps, autant (si ce n’est plus) que les sommes engagées par la commune en 2016 pour ses investissements. Sans ces frais de renégociation, la commune — à la population la plus pauvre du département — aurait pu multiplier par deux ses investissements. On est loin de la politique de relance et de croissance !

Le débat aurait pu être vif au conseil municipal de Saint-Pierre-des-Corps. Il aurait pu aussi soulever les indignations dans un bastion historique du parti communiste français. On aurait pu avoir même de belles affiches au fronton de la mairie.

Le débat a suscité une seule intervention. Il a duré moins longtemps que celui sur le gaspillage alimentaire dans les cantines de la ville.

La délibération relative à cette renégociation (et au protocole) a été adoptée à l’unanimité, moins une voix contre (100% à Gauche-NPA) et deux absentions (ARIAL-EELV).

Et pendant ce temps-là, tous les tarifs de la restauration scolaire ont augmenté (+ 3,5 % en moyenne, mais jusqu’à 12 % dans certaines tranches), la colonie de vacances municipale est pour la seconde année consécutive fermée, etc. Enfin, la ville possède encore trois autres emprunts structurés (avec un encours de 1,2 millions d’euros) qu’elle cherche à renégocier.

Va-t-on comme à Seyssin [17] (Isère) accepter de payer le double pour sortir des emprunts toxiques et légitimer ainsi les méthodes de voyous ?

P.-S.

  • Une Association gérée par les collectivités permet de centraliser l’ensemble des éléments sur ce sujet. Son compte twitter (@Emprunttoxique) est particulièrement actif et fait une veille de tous les articles en relation avec le sujet.
  • Pour aller plus loin concernant Dexia, il y a cette émission d’Envoyé Spécial

Notes

[1Créée en 1996, la banque franco-belge Dexia est issue de la fusion du Crédit communal de Belgique et du Crédit local de France. Avant sa privatisation en 1993 (sous le gouvernement Balladur) le Crédit local de France – qui avait remplacé en 1987 la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL) — était une filiale de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), il assurait le crédit aux collectivités locales. (source : Banque Dexia : un parcours illustrant les dérives d’une finance dérégulée).

[4Pour dénoncer l’emprunt toxique, Chinon a voté un budget en déficit. L’affaire trouve une issue en décembre 2015 par une renégociation avec les banques. Les frais de renégociation ne sont pas indiqués dans les différents articles de la presse locale

[5Une carte des "emprunts toxiques" par ville est disponible sur le site de Libération

[6En particulier Claude Bartolone, président du Conseil général de la Seine Saint-Denis, puis de nombreuses collectivités, comme la Ville de Saint-Étienne quelques semaines plus tard suivront (voir l’historique)

[7Disponible à cette adresse, pp. 11-16 (Dette structurée)

[8Nous ne parlerons dès lors pas de l’emprunt n° MON244359CHF émis le 4 décembre 2006 dont nous savons que « depuis le début d’exécution du contrat jusqu’à fin 2010, les pertes de change enregistrées à hauteur de 6 502,69 euros représentent plus de six fois les gains de change obtenus, de 1 012,65 euros » !

[9Comme le rappelle encore Marie-France Beaufils à l’occasion du dernier conseil municipal la Nouvelle République du 9 mai

[13On pourrait presque les comprendre quand on voit l’avalanche de procédures judiciaires lancées contre Dexia ces dernières années : Chambéry, Mamers, Angoulême, Fonsorbes, Seine-Saint-Denis, Quiberon etc. etc.

[16Sur ce dernier point ils n’ont sans doute pas tort de ne pas avoir très peur : dans le compte-rendu que fait le correspondant de la Nouvelle République sur la question de l’emprunt toxique, il n’est fait aucune allusion aux frais de renégociation, au montage financier et encore moins au protocole qui va avec. NR du 9 mai 2016, p. 14