Marche des femmes, gilets jaunes et lacrymo : compte-rendu du samedi 24 novembre

Samedi 24 novembre avait lieu à Tours une manifestation contre les violences faites aux femmes. Presque un millier de personnes rassemblées pour porter haut des revendications essentielles comme « Quand c’est pas oui, c’est quand même non ». En même temps des gilets jaunes et des forces de l’ordre. Retour sur une journée de mobilisation.

Le rendez-vous était fixé à 14h30, place Jean Jaurès. La foule s’amasse doucement derrière les bannières et drapeaux des collectifs féministes. Devant cette foule, majoritairement parée de violet, couleur choisie pour cette journée de lutte contre les violences faites aux femmes, des gilets jaunes. Petit moment d’errance. On se regarde un peu, on ne se parle pas. Quand le cortège démarre, les gilets jaunes s’écartent, certains applaudissent, quelques femmes en jaune se greffent au cortège.

La manifestation se déroule paisiblement, les slogans fusent, le cortège toujours plus nombreux remonte la rue Nationale, puis la rue Marceau pour achever son parcours place des Halles. Les prises de paroles qui suivent rappellent les douloureux chiffres des violences. Puis, dans la foule, l’information se répand : « Ça gaze à Jean Jaurès ». Je décide de m’y rendre.

Les scènes auxquelles j’ai assisté durant les deux heures que je passe sur la place Jean Jaurès sont rares à Tours, ville calme, qui ne voit que sporadiquement de tels débordements. Les flics ont pris position autour de la place, fermant les accès aux piétons et véhicules. Seul l’accès au marché de Noël est conservé boulevard Heurteloup. Les badauds se promènent, le salon Biotyfoule qui se tient à la mairie a ses portes grandes ouvertes, les terrasses des cafés sont pleines. Et soudain c’est la charge. Grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes, tirs de LBD 40, avancée en rang serré des flics en tenue anti-émeute et observation des mouvements de foule par la BAC. Le résultat ne se fait pas attendre, la foule se disperse en courant, toussant, et se réfugie en divers lieux. Dans une incompréhension totale. Car si gilets jaunes il y a, il y a surtout le monde qui continue de tourner sans même percevoir ce qui se déroule. Ces charges vont se répéter de nombreuses fois, les flics avançant puis reculant le long de la voie de tram.

Contrairement à ce qu’a pu relater La Nouvelle République dans ses colonnes le lendemain, ce ne sont pas des casseurs que j’ai observé durant deux heures, mais une foule violentée par les forces de l’ordre.
Des familles courant se protéger.
Une mariée sous les gaz lacrymo.
Une femme au tibia meurtri par une grenade et évacuée de la place par deux amis.
Un groom d’hôtel cherchant à abriter les clients arrivant paniqués.
Des automobilistes faisant demi-tour devant la mairie sans qu’aucun policier ne fasse la circulation.
Une femme au visage ensanglanté réfugiée dans un salon de coiffure en attendant les secours.
Un homme au crâne ouvert par un tir de la police.
Des magasins qui baissent le rideau un samedi après-midi.
Des illuminations de Noël mises en valeur par le soir tombant et le brouillard des lacrymos.

La place Jean Jaurès transformée en féérie de Noël, entre son sapin gigantesque et les lacrymos illuminant la scène, voilà ce que j’ai pu voir en ce 24 novembre. Finalement, ce qui m’a le plus choqué, plus que les scènes de violence, de panique, ou encore l’arrestation « musclée » d’un manifestant par la BAC, c’est le traitement médiatique de cette journée. Dans les colonnes de la presse locale, le soir-même, la une porte sur les violences des « casseurs » et « autonomistes » (sic) qui auraient gâché la fête bon enfant et pacifiste des gilets jaunes. Mais pas un mot sur les blessé-es, ni même sur le millier de personnes qui avaient défilé dans la journée contre les violences faites aux femmes. D’après une personne travaillant aux urgences du CHU, 28 personnes auraient été blessées, dont certaines assez gravement.

La violence est là aussi : dans la négation d’une réalité par une autre. Par la mise en avant d’un débordement d’hommes (car des gilets jaunes, souvent, n’est mise en avant que la part d’hommes), par l’omniprésence médiatique de ce mouvement, et par l’absence totale de compte-rendu d’une manifestation bien plus importante en nombre de participant-es. Omettre de prendre le temps de rendre compte d’une journée nationale permettant de mettre en lumière les 123 femmes assassinées chaque année, pour préférer relater les faits et gestes des hommes du maintien de l’ordre.

Moi, ça me dégoute, profondément.

Déca