Les jeunes de milieu ouvrier représentent 11 % des étudiants selon le ministère de l’Éducation nationale [1], soit trois fois moins que leur part parmi les jeunes de 18 à 23 ans. À l’opposé, les enfants de cadres supérieurs représentent 30 % des étudiants et 17,5 % des 18-23 ans.
Les écarts selon les filières suivies par les étudiants sont encore plus grands. Pour comprendre ce phénomène nous avons calculé le rapport entre la part d’enfants de cadres et celle d’enfants d’ouvriers selon le type d’études. Parmi l’ensemble des jeunes de 18 à 23 ans, on compte 0,6 enfant de cadres pour un enfant d’ouvriers. Les enfants de cadres sont 40 % moins nombreux mais trois fois plus présents dans l’enseignement supérieur. En BTS, ce rapport est presque le même que dans la population des jeunes : on compte 0,7 enfant de cadres pour un d’ouvrier. Ces filières (et dans une moindre mesure les IUT) bien mieux dotées en moyens que l’université généraliste, constituent une réelle voie de promotion sociale pour une partie des enfants des milieux populaires.
C’est ailleurs que l’écart se creuse. À l’université, pour l’ensemble des filières, les enfants de cadres sont trois fois plus présents que les enfants d’ouvriers. Plus on s’élève dans la scolarité, moins les jeunes de milieux populaires sont présents. Dans les classes préparatoires et dans les écoles d’ingénieurs, l’écart devient considérable : les enfants de cadres sont huit fois plus nombreux que ceux d’ouvriers (lire notre article sur les classes prépas). À eux seuls, les enfants de cadres occupent la moitié des places de ces filières. Dans les écoles normales supérieures, ils sont vingt fois plus représentés que ceux d’ouvriers. De fait, on n’y trouve quasiment pas d’enfants de milieux populaires (2,7 % d’enfants d’ouvriers et 6,7 % d’employés).
Les enfants d’ouvriers disparaissent au fil des études supérieures
À l’université, la part des enfants des catégories modestes diminue au fur et à mesure du cursus. 14,6 % des étudiants de licence sont enfants d’employés, 12,7 % enfants d’ouvriers. En master, ces données tombent respectivement à 9,7 % et 7,8 % et en doctorat à 7 % et 5,2 %. À l’inverse, la proportion de jeunes dont les parents sont cadres, déjà la plus élevée en licence (27,9 %), augmente tout au long du cursus, de 33,5 % en master à 34,3 % en doctorat. Au fond, l’enseignement supérieur universitaire est tout autant sélectif socialement que les grandes écoles, mais le tri s’effectue plus tard dans le cursus.
L’accès des catégories populaires à l’enseignement supérieur progresse au fil de son développement. Un petit tiers des 45-49 ans est diplômé du supérieur, contre 60 % des jeunes de 20-24 ans (données Insee 2013). Près de la moitié des enfants d’ouvriers et d’employés âgés de 20 à 24 ans sont diplômés ou étudient dans l’enseignement supérieur, alors qu’un cinquième seulement de leurs aînés (45-49 ans) ont obtenu un diplôme de ce niveau.
Les choses ont bien changé en une génération si l’on raisonne sur les chiffres bruts. Pour autant, le phénomène a aussi bénéficié aux enfants de cadres. Au fil du temps, l’écart entre les deux catégories s’est réduit, mais de façon finalement assez modeste : de 37,8 à 32,3 points. Et encore raisonne-t-on sur l’ensemble de l’enseignement supérieur, faute de données plus détaillées. Au vu de la faible part des enfants d’ouvriers dans les cursus les plus sélectifs, il est peu probable que l’on observe une forme de démocratisation dans les filières les plus valorisées.
Au fond, l’enseignement supérieur français présente trois visages. Un enseignement court, technique, et doté de moyens (les BTS et les IUT), qui est pour partie accessible aux milieux populaires et peut constituer une véritable voie de promotion sociale. Un enseignement universitaire généraliste, faiblement doté, où les enfants de milieux modestes sont présents, mais au premier cycle et dans certaines filières souvent dévalorisées (ils disparaissent dans les filières sélectives comme la médecine ou au fil des cycles universitaires). Enfin, un système de classes préparatoires et de grandes écoles très richement doté mais qui n’intègre les jeunes de milieux modestes qu’au compte-gouttes. L’enseignement supérieur français, souvent caricaturé, « n’augmente » pas les inégalités. Il reste vecteur de promotion sociale grâce aux filières techniques et professionnelles. Reste que les filières élitistes très bien équipées demeurent réservées aux plus favorisées et ne font rien pour s’ouvrir.
« Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur », Observatoire des inégalités, www.inegalites.fr, 1er septembre 2017.