Le préfet d’Indre-et-Loire instrumentalise-t-il l’affaire Bertrand Bilal ?

Dans un arrêté publié en vue de sécuriser l’inauguration du nouveau centre d’art contemporain de Tours, le préfet d’Indre-et-Loire laisse entendre que Bertrand Bilal Nzohabonayo appartenait au groupe État islamique. Les informations disponibles à ce jour infirment pourtant cette version. Elle est également contestée par l’avocat de la famille du jeune homme tué au commissariat de Joué-lès-Tours après avoir blessé des policiers dans des circonstances restées troubles.

Portiques, palpations, contrôles d’identité... Rien n’est laissé au hasard ce 10 mars 2017. Au cœur de Tours, une foule de policiers en tous genres s’active pour sécuriser l’inauguration du Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCCOD), à laquelle assistent le président de la République, la reine de Norvège et diverses personnalités. Le préfet Louis Le Franc a publié, la veille, un arrêté « portant création d’une zone de protection » afin de renforcer les contrôles aux abords du site [1].

Pour justifier cette mesure exceptionnelle, le préfet invoque « la permanence d’une menace terroriste à un niveau le plus élevé », cite les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray, puis revient sur l’affaire du commissariat de Joué-lès-Tours, en décembre 2014, quand un jeune de la ville avait été abattu après avoir blessé plusieurs policiers à coups de couteau. L’arrêté indique :

« CONSIDERANT que l’attaque au couteau perpétrée contre des fonctionnaires de police au commissariat de Joué-les-Tours le 20 décembre 2014, par un individu revendiquant son appartenance au groupe terroriste "État islamique" ; » (sic)

Ce lien établi par le préfet avec l’État islamique est fermement contesté par Me Jérémie Assous, l’avocat de la famille de Bertrand Bilal Nzohabonayo, qui signale qu’« au contraire », le jeune homme avait liké une page Facebook nommée « État Islamique d’Irak : pas en mon nom ». Aucun témoignage ne fait état d’une quelconque revendication le jour de l’attaque. Et la famille et les proches de Bertrand Bilal ont toujours contesté la piste terroriste suivie par les enquêteurs.

On se demande donc d’où le préfet tire cette information, et comment il peut être aussi affirmatif alors qu’au bout de deux ans d’enquête « aucun réseau islamiste n’a pu être rattaché à cette attaque de Joué-lès-Tours » , comme le notait un journaliste de Buzzfeed News dans un long article publié en mars 2016. Dans cette enquête qui revenait sur les zones d’ombre de l’affaire, le journaliste écrivait :

« Un an après, les preuves d’une attaque terroriste à Joué-lès-Tours restent pourtant difficiles à rassembler. »

Le 20 décembre 2014, Bertrand Bilal Nzohabonayo était abattu à l’entrée du commissariat de Joué-lès-Tours après avoir blessé des policiers de plusieurs coups de couteau. A l’époque, les autorités s’étaient immédiatement orientées vers la piste de l’attaque terroriste, sous prétexte qu’un témoin aurait entendu le jeune homme crier « Allahou Akbar », et que l’affaire faisait penser « au mode d’action préconisé par le groupe État islamique ».

Pour Me Assous, il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. Et il est faux de dire que Bertrand Bilal appartenait au groupe État islamique, comme le fait le préfet d’Indre-et-Loire. L’enquête ouverte juste après les faits par la section antiterroriste du parquet de Paris est toujours en cours.

Dans les jours qui ont suivi l’affaire, un collectif avait tenté de se constituer pour réclamer « Vérité et Justice pour Bilal ». Deux ans après, la manière dont Louis Le Franc utilise la mort du jeune homme éloigne encore cette perspective. A moins qu’il n’ait eu accès à de nouvelles informations qu’il aurait choisi de révéler au détour d’un arrêté, son affirmation semble avant tout être un moyen de justifier les énormes mesures de sécurité prises pour l’inauguration du centre Olivier Debré, en ajoutant une touche « locale » à la liste des menaces.

T.M.

Notes

[1Cet arrêté est disponible sur le site de la préfecture d’Indre-et-Loire à l’adresse suivante : http://indre-et-loire.gouv.fr/content/download/18035/127936/file/2017-03-09-RAA-special-creation-zone-protection-CCCOD.pdf.