« [Les nouvelles lois] abrogent les garanties conférées à la presse en ce qu’elles permettent la saisie et l’arrestation préventive ; elles violent une des règles de notre droit public en ce qu’elles défèrent des délits d’opinion à la justice correctionnelle ; elles violent les principes du droit pénal en ce qu’elles permettent de déclarer complices et associés d’un crime des individus qui n’y ont pas directement et matériellement participé ; elles blessent l’humanité en ce qu’elles peuvent punir des travaux forcés une amitié ou une confidence, et de la relégation un article de journal. (...)
Dans ce résumé trop bref, j’aurais voulu apporter encore plus de sécheresse. Les faits suffisent ; ils sont plus éloquents que toutes les indignations. (...) Mais je n’ai pu chasser de ma mémoire ces matins de [septembre 2017], où dans les journaux, dans l’Officiel, nous cherchions avec angoisse si la Chambre avait osé aller jusqu’au bout, si elle n’avait pas eu, tout d’un coup, l’écœurement de son ouvrage, si elle n’avait pas retrouvé devant quelque absurdité trop énorme ou quelle atrocité trop sauvage, cinq minutes de conscience et de courage. Quelle fièvre ! J’ai des haines et des amitiés silencieuses qui datent de ces jours-là.
Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui l’ont votée l’avouaient eux-mêmes. Combien de temps vont-elles rester encore dans nos Codes ?
On sait à qui nous les devons. Je ne m’inquiète pas d’un [Valls] ou d’un [Hollande] sans importance. Ils ont déjà disparu. Mais les ministres qui les ont conçues, qui ont profité d’un moment d’horreur et d’affolement pour les imposer, qui ont fait subir jusqu’au bout à une Chambre obéissante leur menace sous condition ? J’ai dit leurs noms, je les répète : [avant Macron], avec le garde des sceaux [Belloubet] [et le ministre de l’intérieur Gérard Collomb], il y eut [Cazeneuve], [Le Roux], [Fekl], (...) Dans le débat, ne trouve-t-on pas tous les noms de la République néo-opportuniste ?
Est-ce que, s’il reste des républicains dans la République, ces hommes-là ne devraient pas toujours rester marqués, flétris, honnis ? Mais nous n’avons plus la vigueur des grandes haines ; nous pardonnons, nous oublions. (...)
Quoiqu’il en soit, il y a un devoir impérieux, immédiat, pour cette Chambre : abroger [ces lois]. On verra le parti qu’ont pu en tirer les gouvernements, l’usage qu’hier on en faisait encore. Cela ne peut plus durer. (...) Que les républicains y songent, ils n’ont plus beaucoup de fautes à commettre. Pour un parti qui se vante d’avoir des principes, ce sont des grandes fautes que les petites habiletés. Personne n’y tient plus, à ces lois, personne ne les défend plus, et les juristes de l’avenir ne se plaindront pas de ne pas les avoir connues. Je sais bien que dans deux ou trois ans elles ne serviront peut-être plus. Mais elles ont déjà trop servi. Et surtout, il ne faut pas qu’une réaction de demain s’en serve. »
Les lois dont il est question dans le discours d’origine de Blum ont gardé le nom de « lois scélérates ». Elles n’ont été abrogées qu’en 1992.