La Guinguette, petite multinationale du loisir marchand

Joie de la fêtarde ou de l’amateur de farniente en bord de Loire, la Guinguette ouvre ses portes le samedi 22 mai pour la septième saison consécutive.

Une belle longévité pour un projet porté par deux structures tourangelles gérées par les mêmes personnes (essentiellement ses fondateurs Ronan Brient et Julien Odet), l’entreprise Kwamti et l’association « Le Petit Monde ». La première est chargée du service et de l’activité commerciale du bar, quand la seconde s’occupe des animations à caractère culturel.

Un petit projet local qui tourne bien la guinguette ? Mieux que ça même ! Les pouvoirs publics (Mairie de Tours, agglomération, Région Centre) lui versent cette année la bagatelle de 200 000 € pour organiser ses animations. Si Laurent Geneix, journaliste du magazine 37° trouve que ce n’est pas cher, nous pensons au contraire qu’à l’heure où les subventions sautent pour les associations qui viennent en aide aux populations, ce budget consacré à un événement festif bien ordonné est conséquent.

Cela dit, on aurait tort de penser que l’objectif essentiel de ces activités culturelles est d’attirer Tourangeaux et touristes vers le bar. Si l’on en croit le site internet du Petit Monde, il s’agit de :

« créer des espaces de vie, des « bulles » dans la ville, du dépaysement, de l’inattendu… », via « l’interaction & la participation, le décloisonnement & la transversalité (...), la concertation & la collaboration avec les acteurs locaux », et grâce à « des espaces modulables, versatiles, multi-fonctionnels ».

Une jolie manière de décrire un bar, des tables, et des animations subventionnées dont les recettes reviennent à l’entreprise Kwamti, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 808 600 € et surtout un bénéfice net de 42 500 € en 2013 [1].

L’équipe qui gère à la fois l’association et l’entreprise qui occupent les lieux au moins jusqu’à l’été 2016 (date du renouvellement de contrat) assure que plus aucun mélange des genres n’est à craindre. Le site de l’association précise aussi que pour les nouveaux « bénévoles pétillants (...) il ne sera pas question de tenir des bars ou autres de ce type mais bien de création, d’animation, d’ateliers, d’expérimentations… ». La situation dénoncée en 2008 par le Canard du Coin — notamment l’utilisation de bénévoles pour servir derrière le bar ou de contrats aidés uniquement accessibles aux associations — a donc heureusement changé depuis.

Pour maximiser les recettes, le temps n’est plus aux petits arrangements mais plutôt à l’expansion territoriale. La Guinguette est en effet un produit qui s’exporte bien. On connaissait déjà les bonnes relations entretenues par les gérants de l’institution tourangelle avec ceux du Blue Lagoon, une sorte d’hôtel-restaurant avec bungalows situé dans un village en Thaïlande. Le Petit Monde s’est aussi spécialisé dans l’organisation de projets dits « de coopération culturelle » appuyés financièrement « par des partenaires institutionnels français publiques (sic) et privés » comme étrangers [2]. Après un festival au Laos depuis 2008, les patrons de la Guinguette organisent désormais son double en Équateur.

Mais le produit Guinguette s’exporte aussi en France. C’est ainsi pour le compte d’une boîte de production audiovisuelle que la petite multinationale tourangelle est allée investir les quais de Javel à Paris, avec « La Javelle », une clone du modèle tourangeau mais ouverte à l’année dans un quartier cossu [3]. Le projet tourne bien et s’est vu célébré par une bonne partie de la presse nationale. S’il n’est pas sûr que l’actuelle mairie de Tours, qui procède à une opération de nettoyage des vestiges culturels de l’aire Germain, reconduise le contrat qui la lie au cerbère Kwamti-Petit Monde, on ne s’inquiète pas trop pour les finances de Ronan Brient et Jonathan Odet...

Malgré tout, l’été arrive, à la bonne vôtre !

Mélanie Durand

Notes

[2Sont ainsi cités par le Petit Monde, « Alliance française de Quito, collectivités publiques régionales, SNCF… » ; « Ministère de la Culture, et du Patrimoine, Service Culturel de l’Ambassade d’Équateur en France, la Mairie de Quito… » ; « Festival de Marne, Région Centre, Cultures France, Organisation Internationale de la Francophonie, SPEDIDAM, ADAMI… ». Bref que du beau monde (et des pointillés), l’équipe dirigeante a toujours l’air aussi douée pour se mettre les pouvoirs locaux ou nationaux dans la poche.

[3Et qui propose même à ses clients de rentrer « à petits prix en chauffeur privé UBER » grâce à un code promotion.