La confusion qui vient

Il ne sera pas tant question ici de la vague d’attentats meurtriers qui ont frappé la France en ce mois de janvier 2015 que de leurs conséquences probables en terme de confusion et d’instrumentalisation politique. Une analyse du zine Al-Qaïda au Nanterre Illuminati (AQNI), à lire sur http://rebellyon.info.

« Le rôle que nous nous sommes assigné en tant que webzine satirique est de provoquer une réflexion, via l’humour et la satire, et parfois aussi le sérieux, sur des faits sociaux dont la signification nous paraît politique, nous touche directement en ce sens qu’elle met en jeu notre position sociale, qu’elle implique des conséquences pour nos vies et nos luttes. En l’occurrence, mis à part la teneur antisémite de la prise d’otage de l’hyper- casher de Vincennes, la seule signification politique que nous voyons dans les évènements de ce début janvier, et beaucoup l’ont compris eux aussi, c’est leur potentielle instrumentalisation islamophobe, antisémite et sécuritaire, instrumentalisation qui a déjà commencé un peu partout en France à partir de ces multiples tueries. La tuerie de Charlie Hebdo elle- même, en dehors de la tragédie humaine et de son éventuel contenu moral, n’a pas une grande signification politique intrinsèque, mis à part ses conséquences.

Cependant, la façon dont on a pleuré spécifiquement la mort des journalistes et des policiers, au milieu des autres victimes, et la façon dont le journal Charlie Hebdo a été érigé en symbole, traduit bien le fait que la solidarité qui s’est exprimée à cette occasion est une solidarité de classe et nous en voulons pour preuve, outre la composition sociale des manifestations, la façon dont le flicage a aussitôt été resserré dans les quartiers populaires autour de « l’apologie du terrorisme » et notamment dans les écoles autour du non- respect des minutes de silence imposées, et qui s’est traduite par une mise en collaboration étroite des institutions scolaires et policières. Les classes populaires ont massivement boudé les manifestations « Je suis Charlie », et les réactions d’indifférence, d’agacement, voire de satisfaction vis-à-vis des attentats, si elles ont été montées en épingle dans la presse pour stigmatiser les classes populaires, n’en sont pas moins une réalité. Les rédacteurs du journal Article 11 ont beau jeu de déclarer « cracher à la gueule » de ceux qui se sont réjoui des attentats, mais encore une fois il ne s’agit pas de l’expression d’une somme de divergences de « moralité personnelle » chez des individus épars mais de l’éruption d’une ligne de fracture sociale. Si la haute bourgeoisie et les classes- populaires ont leurs formes de sociabilité et de solidarité, le sentiment de « communauté » est ce qui manque le plus aux classes- moyennes, elles sont donc extrêmement sensibles aux appels à la « communion de masse », et il est très facile d’instrumentaliser cette nostalgie diffuse de la « communauté » par un discours patriotique et moraliste. Les manifestations de masse (plus de 4 millions de personnes dans toute la France) témoignent aussi bien du pouvoir de mobilisation détenue par les classes dominantes que de la matière première qu’elles utilisent : le désir de tout en chacun de se sentir exister et de manifester une appartenance commune à « quelque chose ».

Comme nous refusons catégoriquement de porter un jugement moral sur ceux qui se sont instinctivement réjouis des attentats, pour tenter plutôt de mettre en relief ce discours avec la position sociale de ceux qui l’expriment, nous en ferons de même en refusant de cracher sur ceux qui ont éprouvé le besoin de manifester « Je suis Charlie ». Certains des manifestants exprimaient quelque chose de réel et de positif, à notre sens, au milieu cependant de toute la potentielle confusion de préjugés islamophobes et d’impensés politiques qui allaient avec.

Mais tout le pouvoir d’instrumentalisation des médias et du champ politique réside dans ce minuscule glissement entre ce que les manifestants exprimaient, et voulaient exprimer, et ce qu’on leur faisait dire.

Au-delà de cet aspect idéologique et psychologique vient, en dernière analyse, l’aspect social : les classes- moyennes intellectuelles et les travailleurs de la fonction publique tirent leur position sociale, leur légitimité et leur valorisation de l’Etat ; défendre l’Etat c’est défendre leurs propres intérêts, on ne doit donc pas s’étonner du fait que cette catégorie de population se range facilement derrière lui à son appel. Faire des victimes de Charlie Hebdo les emblèmes particulières de cette mobilisation d’Etat c’était, outre le fait de jouer sur la solidarité de classe, choisir le meilleur emblème pour en faire l’arbre destiné à cacher la forêt. Celle- là même que nous nous proposons ici de commencer à défricher. »

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