Yanis, 16 ans, est décédé au CHRU de Tours après une course poursuite avec la BAC de Blois

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Le 16 mars 2021, en soirée, la brigade anticriminalité (BAC) de Blois engage une course poursuite avec une voiture qui refuse un contrôle pour « excès de vitesse » selon François Pesneau, préfet de Loir-et-Cher, et Frédéric Chevallier, procureur de la république de Blois. Yanis, 16 ans, en est éjécté lorsque celle-ci percute deux autres véhicules. Hospitalisé au CHRU Trousseau de Tours, il est décédé jeudi 18 mars.

Sur l’avenue de France ce mardi, à Blois, un accident est survenu après une course poursuite entre un véhicule de la BAC et une autre voiture dans laquelle se trouvaient alors Yanis ainsi qu’un jeune homme de 18 ans et le conducteur. Ce dernier aurait refusé un contrôle de police puis grillé un feu rouge pendant sa fuite, l’amenant à heurter deux autres véhicules. Deux jeunes femmes, Yanis ainsi que le conducteur de la voiture poursuivie [1] ont été pris en charge par les secours ; le deuxième passager s’est enfui à pied après l’accident. Déclaré en état de mort cérébrale le mercredi 17 mars, Yanis est décédé le lendemain au CHRU Trousseau de Tours.

Frédéric Chevallier a déclaré, lors d’une conférence de presse, que le véhicule de la BAC a cessé de suivre la voiture en fuite 100 mètres avant les lieux de l’accident, sur lesquels la brigade est arrivée « avec un temps de retard ». Mais, convaincus de la responsabilité des policiers dans l’accident, plusieurs habitants de la ZUP nord de Blois participent à des scènes de révolte dans la nuit du 16 au 17 mars.

François Pesneau annoncera le soir-même que les brigades anticriminalité de Tours, d’Orléans et du Mans ont été appelées en renfort, tout comme un escadron de la gendarmerie mobile de Paris, le GIGN et un hélicoptère de la gendarmerie nationale, mobilisant un effectif de 300 personnes ce soir-là. Une information confirmée par Gérald Darmanin sur Twitter.

Emballement médiatique et récupération politique

Pendant que la rédaction de la Nouvelle République décrit « d’inimaginables scènes de guérilla et de pillage » et « des images tressautantes saturées de bruit d’explosions et de cris », RTL affirme que le bilan s’élève, en réalité, à « trois véhicules brûlés, deux véhicules de police dégradés [et] un magasin vandalisé », sans blessé-es ni interpellation. Le 19 mars au matin, les services de la ville ont également réparé un panneau publicitaire et trois abribus dégradés.

Dans un communiqué complémentaire, la ville de Blois a été forcée de clarifier la situation en affirmant qu’aucune crèche ni station essence n’ont été vandalisées, contrairement aux rumeurs qui circulent.

De nombreuses rédactions locales et nationales (l’AFP et donc CNEWS, Valeurs actuelles, BFMTV, Le Monde, Le Figaro ou encore la République du Centre) ont relayé cette information, tout comme plusieurs membres du RN dans un communiqué de presse commun (qui affirme que « les quartiers Nord de la ville de Blois viennent de connaître une nuit d’émeutes urbaines d’une grande violence avec […] une crèche dégradée » et que « ces quartiers sont tenus par des trafiquants de drogue et des islamistes qui ont pignon sur rue »), ainsi que le quotidien d’extrême-droite Présent [2], le syndicat Alternative Police Nationale sur Facebook et le Syndicat indépendant des commissaires de Police sur Twitter. Ce dernier soutient également que la voiture, conduite par des « voyous », s’est « plantée toute seule ». C’est ce syndicat qui, selon France 3, serait à l’origine de la rumeur.

De la même manière, sur BFMTV, Thierry Pain, membre d’Unité SGP Police, affirme que des jeunes ont « [mis] le feu un petit peu partout » à proximité de l’accident. Quant à Nicolas Dupont-Aignant, il certifie, sur Twitter, que les scènes de révolte ont été déclenchées par « une simple intervention des secouristes » et que « des « magasins [ont été] pillés ».

Marc Gricourt, maire (PS) de Blois, dira ensuite, pendant une conférence de presse, que les « policiers du commissariat ont fait feu, pour l’instant et à [sa] connaissance, à douze reprises » sur une camionnette qui se dirigeait vers eux. Il niera également la rumeur selon laquelle la BAC aurait tiré dans un des pneus de la voiture en fuite, provoquant l’accident.

L’hospitalisation et les graves blessures des deuxpassagers n’ont pas dissuadé « une source proche du dossier » d’informer Le Figaro qu’ils étaient connus des services de police pour des faits de droit commun.

Parallèlement, dans ses deux communiqués de presse notamment, le Maire de Blois affiche son soutien aux forces de l’ordre et indique vouloir contacter le Ministre de l’Intérieur « pour lui réaffirmer [leurs] attentes anciennes sur les moyens de la police ».

Guillaume Peltier, député (LR) du Loir-et-Cher, clame quant à lui sur Facebook que « nos gouvernants ne sont plus capables de faire respecter nos lois et cesser cet ensauvagement » et qu’« il est urgent d’extraire de nos quartiers ces quelques dizaines de voyous qui pourrissent la vie quotidienne de nos concitoyens », puis rend « hommage à nos remarquables forces de sécurité qui donnent sans compter pour nous protéger ».

Sur CNEWS, Stéphane Baudu, député (MODEM) du Loir-et-Cher, regrette des « expressions de colère et de frustration qui, malheureusement […], ne peuvent s’exprimer, a priori, que par des destructions ».

Selon le parquet, les policiers auraient cessé de poursuivre la voiture une minute avant l’accident

Trois enquêtes, pour « refus d’obtempérer aggravé », « violences urbaines » et « tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité et vol aggravé » ont été ouvertes, tout comme une information judiciaire pour, d’une part, « refus d’obtempérer aggravés par la mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire et blessures involontaires aggravés », et, d’autre part, « non-assistance à personne en danger ».

Dans son communiqué de presse diffusé le 21 mars, le parquet de Blois affirme qu’« au moment de l’accident, le véhicule Golf n’était plus poursuivi par quelque véhicule de police que ce soit », puis que « les conditions de cette poursuite devenant trop dangereuses, il [a été] demandé aux voitures de police engagées dans le dispositif de cesser, par un message radio diffusé à 18h42, de rompre la poursuite », soit une minute avant l’accident. Le même communiqué reconnait toutefois que la course poursuite a duré 19 minutes.

Or, une note de la police nationale de 1999 encadre les poursuites motorisées : « Les faits qui motivent une poursuite motorisée doivent être d’une certaine gravité : fuite ou évasion d’un individu armé ayant l’intention d’attenter à la vie d’un tiers ; auteurs d’un crime de sang ; auteurs non-identifiés d’autres crimes ou délits aggravés entraînant un préjudice corporel. Dans les autres situations, toute poursuite systématique est exclue, notamment pour ce qui est des refus d’obtempérer. »

L’accident provoqué par une course poursuite comme cause récurrente de mortalité chez les garçons des quartiers populaires

Par le passé, plusieurs garçons de quartiers populaires sont morts, comme Yanis, à la suite d’une course poursuite avec la police. Le 2 mars 2019 déjà, à Grenoble, Adam Soli et Fatih Karakus, 17 et 19 ans, ont été pris en chasse à scooter par la BAC. Selon le Dauphiné Libéré, la police avait été avertie qu’un « scooter du même type - sans qu’il soit démontré qu’il s’agisse du même - aurait été vu […] avec un conducteur commettant diverses infractions ». Selon la police, la mort des deux jeunes trouverait son origine dans une collision entre le scooter et un autocar [3].

Deux ans plus tôt, le 15 décembre 2017, à Fives, les forces de l’ordre ont tenté d’interpeller plusieurs jeunes dans la cité Saint-Maurice. Aurélien, Matisse, Selom et Ashraf prennent la fuite. Ce dernier raconte : « On était assis dans la cité, ils sont entrés à six en uniformes avec leurs matraques. Ils ont couru vers nous, ils voulaient nous attraper. On a eu peur et on est partis en courant. […] Encore hier, ils ont frappé quelqu’un. On ne voulait pas se faire éclater encore une fois ». Les forces de l’ordre ont poursuivi les quatre jeunes hommes jusque le long des rails du train. Matisse, 18 ans, et Selom, 20 ans, ont été happés par un TER et sont décédés.

Selon le communiqué du maire de Blois diffusé le 18 mars, la mère de Yanis a exprimé « son attente et sa confiance en la police dans le travail d’enquête pour la vérité ». Une cagnotte a été initiée à son profit.

Illustration : Blasco

Notes

[1Et non pas le deuxième passager, comme cela a été annoncé dans un premier temps.

[2Qui parle de « dizaines de véhicules et une station-service incendiés, de commerces et habitations privées pillés, un supermarché en partie brûlé et même... une crèche entièrement sacagée ». Présent, « Scènes de guerre à Blois », 18/03/21.

[3Au micro du Média, le journaliste Taha Bouhafs s’interrogeait : « Pourquoi est-ce que ce bus est si rapidement parti ? Pourquoi est-ce que le chauffeur n’a pas été auditionné immédiatement ? Pourquoi est-ce qu’on a pas gelé la scène immédiatement ? »