Sexisme, racisme et célébration de l’inceste à l’Université de Tours : le cas Touati

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Alors que les cours en distanciel reprennent pour les milliers d’étudiant-es de l’Université de Tours, certain-es, fatigué-es d’entendre à longueur de semestre les propos sexistes et racistes de François-Olivier Touati, ont décidé de témoigner au sujet de cet enseignant. Un discours que ce dernier tient aussi bien dans une salle de classe que devant un amphithéâtre rempli ou à la radio.

Trigger warning : sexisme, pédocriminalité, viols incestueux, viols conjugaux, racisme.

En décembre 2019, le professeur d’Histoire médiévale et doyen de l’UFR Arts & Sciences Humaines de l’Université de Tours François-Olivier Touati organise une journée d’étude appelée « Rock face to face » pour, dit-il lors d’une interview promotionnelle, « décoincer quelques culs serrés ». En réalité, il nommera sa prise de parole « Posture ou imposture ? Rock’n roll face à… » et épiloguera sur certains sujets musicologiques, non sans quelques sorties de route qui pousseront plusieurs étudiant-es à quitter la salle.

Jerry Lee Lewis face à Johnny Hallyday

Le 3 décembre 2019, dans le cadre de la promotion de cette journée d’étude, François-Olivier Touati est l’invité de Radio Béton 93.6. Il participe à l’émission « Des ô et débats », animée par Pascal Robert et dans laquelle il commence par livrer son analyse du titre Whole Lotta Shakin’ Goin’ On de Jerry Lee Lewis : « Si vous écoutez cet hymne, c’est une hymne torride. Ça a l’air de rien mais, les paroles, c’est “whole lotta shakin’ goin’ on”, “tu viens, chéri, me secouer, j’vais t’secouer”, et, après, c’est “shake, baby, shake. Shake, baby, shake.”, ça veut dire, réellement, “secoue-moi, secoue-moi, secoue-moi, vas-y, continue”, quoi, “vas-y, bouge ton cul” autrement dit. Alors je m’excuse mais, aujourd’hui, c’est totalement impossible : la censure puritaine, les lobbies sexistes… » (sic).

Rieur, Pascal Robert répond alors : « Nous recevions Nous Toutes mardi dernier… Alors, Jerry Lee Lewis, non seulement avait… traîne un certain nombre de casseroles… » avant de se faire interrompre par F.-O. Touati, qui rétorque : « Il est tombé amoureux de sa cousine qui avait 13 ans. Il s’est marié avec elle (…) on voit des photographies, c’est accessible pour tout le monde, de sa femme, de son épouse, bon, elle a l’air parfaitement mature, heureuse, consentante etc., etc. Alors bon, on peut dire ce qu’on veut, voilà, moi j’dirais… pff... d’abord, je suis pas dans les plumards et chacun fait ce qu’il veut, et d’autre part, voilà, si c’était pur et si c’était de l’amour, pourquoi pas, voilà. ».

En 2014, le Collectif féministe contre le viol diffusait sa campagne de sensibilisation appellée « L’inceste est un crime ». Celle-ci rappelait qu’« un enfant n’est jamais consentant » et indiquait les conséquences des viols incestueux sur les jeunes : insomnies, cauchemars, pensées suicidaires voire tentatives de suicides ; en bref, rien qui ressemble au « bonheur » évoqué par Touati.

Portrait de François-Olivier Touati présent sur le site de la faculté des arts et sciences humaines

Le 6 décembre 2019, F.-O. Touati remet ça dans l’émission « La Méridienne » sur Radio Campus Tours. Il s’exprime cette fois-ci sur la danse, qu’il sexualise à outrance : « Twister, c’est un déhanchement. Le twist, certes, ça peut paraître anodin comme ça mais, enfin, c’est un léger déhanchement, léger jeu sur les chevilles, on dodeline du bassin, de droite et de gauche, et puis d’avant en arrière, je vous laisse interpréter.  »

Puis, à nouveau, sur Jerry Lee Lewis et son mariage avec sa cousine mineure, Myra Gale Brown : « Elle a dit oui, hein, elle était consentante, c’était pas une action forcément délinquante mais, enfin, ça pouvait évidemment choquer. Moi-même, comme père de famille, je serais pas forcément content que ma petite dernière m’annonce son mariage demain, mais enfin bref. Donc un type incroyable, et qui était dans la transgression.  ». F.-O. euphémise, et dissocie l’homme de l’artiste. Or, Jerry Lee Lewis est aujourd’hui considéré comme un pédocriminel, et la relation qu’il entretenait avec sa très jeune cousine était en réalité une relation incestueuse.

À propos de la danse, F.-O. Touati continue puis se risque à comparer une relation sexuelle à un « instant d’égarement » : « Il y a beaucoup de sexe, quand même. Evidemment, la danse, la musique, ça sert à nous mettre dans des états un petit peu de transe, et peut-être à lever nos inhibitions. C’est pas toujours évident de parler à un partenaire à qui on voudrait… avec lequel on voudrait rentrer en contact un petit peu plus affectueux, je vais dire, hein, voilà, pour rester, quoi... ou même purement… un instant… un instant d’égarement si j’ose dire. ».

Ensuite, à propos du titre Whole Lotta Shakin’ Goin’ On de Jerry Lee Lewis : « Alors on peut l’interpréter de différentes façons, hein, je vous laisse aussi deviner : on peut le faire à deux, on peut se secouer à deux, on peut se secouer tout seul, on peut secouer certaines parties en étant l’un dans l’autre ou pas forcément l’un dans l’autre, enfin voilà, y a toutes les combinaisons possibles, mais ceux qui connaissent l’anglais ne s’y méprennent pas, hein.  ».

F.-O. Touati enchaîne ensuite sur le duo entre Susan Tedeschi (qu’il ne manque pas de complimenter pour mieux l’objectiver) et B. B. King, au Carnagie Hall : « Pendant 10 minutes, ce vieux monsieur, Noir-Américain, 120 kilos, 130 kilos, assis, génie de la guitare électrique, converse, en quelques sortes, avec la sublime Susan Tedeschi, de 40 ou 50 ans de moins que lui, sublime femme, interprète musicale exceptionnelle, guitariste virtuose et chanteuse incroyable, et pendant 10 minutes, ils se chantent, tous les deux, ils se font un petit duo “rock me baby, rock me baby”. Tout le monde peut applaudir et trouver que c’est sympa, mais c’est du cul ! Voilà ! Excusez-moi de le dire sur une chaîne étudiante, il faut appeler, là aussi, un chat un chat ! ».

Et F.-O. Touati de conclure : « Aujourd’hui, il faut quand même dire les choses : ça risquerait d’être impossible. Parce qu’on est, moi je le regrette un peu, mais je sais qu’il faut trouver des équilibres, on est dans des moments de sociétés, où, bah bien sûr, il y a eu… il y a des violences et ça c’est intolérable, mais on est quand même dans un cadre de censure un peu puritaine, d’encadrement un peu… voilà, un peu… de certains lobbies. Le délit d’outrage sexiste est tout de suite arrivé, quoi, on peut plus dire… c’est certain que... on peut… voilà. Alors, évidemment, toute la question c’est est-ce que les partenaires, les gens qui sont en face de soi, acceptent de jouer le jeu, c’est tout, voilà. Il faut demander la permission et, surtout, écouter la réponse (il rit). »

Difficile de considérer que l’on « ne peut plus rien dire » lorsque l’on dit, à la radio et sans être coupé ni corrigé, justement ce qui pourrait être considéré comme un outrage sexiste. Ce dernier, que « regrette » François-Olivier Touati, permet pourtant aux victimes de harcèlement de rue par exemple de se défendre contre des hommes qui les sifflent, les insultent ou les suivent quotidiennement dans l’espace public.

Lors de la journée d’étude, le 10 décembre 2019 dans le grand auditorium du site universitaire Clouet, le doyen épilogue, gêné par l’absence de la quasi-totalité des expert-es prévu-es au programme à cause d’une grève des transports en commun. Plusieurs fois, il choque son auditoire. Une première fois, en commentant l’histoire entre Jerry Lee Lewis et sa jeune cousine de 13 ans, Myra Gale Brown. Il y voit là une belle idylle, confirmée, selon lui, par le nombre d’enfants qu’ils ont eu ensemble. Puis, une deuxième fois, en expliquant que les jeunes de l’époque se rencontraient au cinéma, que ces sorties étaient l’occasion pour les garçons de mettre leur main dans la culotte des filles avec qui ils sortaient. Enfin, et pour la troisième fois, Touati, fan de Johnny Hallyday, ne cache pas son scepticisme sur les accusations de viols conjugaux de la part d’Adeline Blondieau envers ce dernier, en faisant comprendre à son auditoire que le viol, dans un couple, n’existe pas. Certain-es spectateur-ices sortent de la salle. Plus tard, plusieurs étudiant-es demandent à ce qu’une réunion soit organisée afin que Touati puisse s’expliquer. Il tente de justifier ses propos, mais rien n’y fait, et les étudiant-es ressortent de cet entretien sans avoir obtenu la moindre excuse de la part du doyen.

Commentaire laissé sur le billet de blog de Radio Béton 93.6 diffusant l’interview de François-Olivier Touati.

« Vous allez vous en rendre compte, je suis un grand misogyne »

Plusieurs personnes ont pu assister à des scènes ressemblant à celles citées plus haut, où François-Olivier Touati livrait ses opinions ou ses expériences personnelles accompagnées de propos sexistes. En début d’année 2020, à l’occasion d’une réunion avec des étudiant-es de l’Université de Tours pour discuter, notamment, de l’installation de toilettes neutres sur les différents sites universitaires, il raconte que lui ne voit aucun problème à utiliser les toilettes publiques réservées aux femmes lorsque celles réservées aux hommes sont trop occupées, puis dit s’étonner d’être taxé de « sexiste » par moments.

Touati semble alors oublier que les toilettes neutres ont été mises en place pour répondre aux difficultés rencontrées par certaines personnes trans et que l’Université s’était déjà engagée, en 2017, à réorganiser ses locaux afin de mettre à disposition des étudiant-es des toilettes non-genrées.

Quelle que soit son audience, François-Olivier Touati semble s’exprimer sans se poser de questions, comme ce jour de septembre 2020 où il entre précipitamment dans sa salle de classe, en retard et au téléphone : « Ne vous mariez jamais ! C’est une vraie prise de tête ! ». Les étudiant-es présent-es dans la salle comprendront qu’il s’agit alors de son épouse au bout du fil, qu’il surnommera plus tard « bobonne ».

Le même jour, lors du même cours, une étudiante se lève pour aller aux toilettes : « C’est vrai qu’il faut faire des pauses pour les petites vessies féminines, remarque Touati. Non, mais allez-y, mademoiselle. ». Dix minutes plus tôt, l’un de ses camarades masculins partait également aux toilettes, sans recevoir le moindre commentaire.

Plus tard, alors que son diaporama affichait une photographie du Congrès de Tours, Touati commente, devant toute la classe, le physique des femmes présentes sur l’image et ajoute : « C’est bien de regarder les jolies femmes et de flirter, mais il faut bien finir par avoir un bout de viande dans le frigo ! ».

Preuve que F.-O. Touati semble conscient de son irrespect envers les femmes, il dira, comme pour avertir ses étudiant-es, en septembre : « Vous allez vous en rendre compte, je suis un grand misogyne » .

Ce jour-là, Touati ne s’arrête pas à ces propos sexistes. Alors qu’un étudiant Noir tout juste arrivé en France lui demande des informations sur le trajet à emprunter pour se rendre aux Rendez-vous de l’histoire, à Blois, Touati lui répond, devant la classe : « Vous faites partie d’une génération née dans l’internet, renseignez-vous sur internet. Sinon, les gens comme vous savent courir vite. ». Aux étudiant-es qui lui font remarquer le caractère raciste de ses propos (Touati faisant ici référence à l’idée selon laquelle les jeunes hommes Noirs seraient naturellement doués pour les activités sportives grâce à l’existence supposée de « différences raciales »), il rétorque : « Mais non, il ne faut pas le prendre comme ça. De toute façon, on ne peut plus rien dire en France. ».

Concernant le déplacement à Blois, malgré son caractère obligatoire, celui-ci n’était pas pris en charge pour tou-tes. La précarité étudiante ne semblant pas inquiéter Touati, celui-ci répond, à celles et ceux qui l’informent que ces dépenses n’étaient pas prévues, que le prix d’un aller équivaut au prix « d’une pinte sur la Place Plum’ ».

En plus de faire preuve d’un racisme et d’un sexisme décomplexés devant ses étudiant-es, Touati semble également vouloir profiter de son poste d’enseignant à l’Université de Tours pour augmenter les ventes de l’un de ses ouvrages.

Ce même jour de septembre, François-Olivier Touati prévient ses étudiant-es qu’en cas d’impossibilité pour elles et eux de se rendre à Blois, le compte-rendu du chapitre issu d’un ouvrage qu’il a écrit devra lui être rendu. Il finira même par proposer une réduction à ses élèves en leur soumettant de leur vendre son livre à 20 euros au lieu de 25 après l’avoir fait passer dans les rangs. Une simple transaction en liquide permettait alors aux étudiant-es de se procurer le bouquin.

Mail de François-Olivier Touati à ses étudiant-es.

Début novembre 2020, visiblement réticent à l’idée d’assurer ses six heures de cours restantes en distanciel après l’annonce du reconfinement et donc de l’annulation de tous les cours en présentiel, Touati, par mail, annonce à ses étudiant-es qu’il a décidé de les annuler pour les remplacer par une fiche obligatoire et notée que ses étudiant-es devront lui rendre et qui aura pour sujet principal... le livre qu’il a écrit, à nouveau. Les bibliothèques de Tours ne disposant que de quelques exemplaires dudit ouvrage, la soixantaine d’étudiant-es concerné-es par cette annonce se retrouve alors contrainte de dépenser au minimum 25 euros pour se le procurer. Aux dernières informations, et après les réclamations d’une de ses classes, les six heures de cours restantes ont bien eu lieu en distanciel et la fiche en question n’était donc plus à rendre.

Certaines réponses aux remarques sexistes de Touati en disent long sur le caractère habituel de ses propos. En octobre 2020, Touati entre dans une salle de classe pour saluer son collègue enseignant et s’autorise un énième commentaire, devant la classe : « Les statistiques, c’est comme les femmes en bikini : on voit tout, sauf le plus intéressant ». Ce professeur lui répond alors « Vous savez ce que j’en pense », comme pour signifier que ces réflexions sont récurrentes et que des discussions ont déjà été amorcées à ce sujet.

Heureusement, le temps est venu de briser l’omerta.

En cas de violences patriarcales à l’Université, il est notamment possible de trouver de l’aide sur le site du Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES) ou bien sur le site arretonslesviolences.gouv.fr. En cas de racisme dans l’enseignement supérieur, il est possible de signaler votre situation à la LICRA ou au Défenseur des droits.