30 – L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. (...)Guy Debord, La société du spectacle, I. La séparation achevée, 14 novembre 1967, Buchet/Chastel
Dans une interview intitulée « La société doit reprendre le train de son histoire » parue la veille de Noël dans la Nouvelle République, l’évêque de Blois fait un curieux rapprochement. A la question de Jean-Louis Boissonneau « Serions-nous en déficit de vraies valeurs ? », Jean-Pierre Batut commence sa réponse par « Dans la période soixante-huitarde, la valeur nation, soupçonnée, à tort, d’être à l’origine des guerres, a été rejetée au profit du consumérisme libertaire, assumé par l’ensemble de la classe politique, de droite comme de gauche. (...) » opérant un aimable oxymore : consumérisme libertaire [1].
Les origines de la critique de la société de consommation
Pourtant le mouvement [communiste] libertaire comme tout courant anticapitaliste est fondé dès l’origine notamment sur l’illustration et la condamnation du caractère fétichiste de la marchandise [2]. Et mai 68 a été la période récente où ce fétichisme a été le plus mis en avant en particulier par les situationnistes, (re)lire notamment deux ouvrages parus fin 1967 : La société du spectacle [3] de Guy Debord et Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem qui se prolonge dans une de ses chansons restée emblématique La vie s’écoule au point qu’il en existe des dizaines de reprises jusqu’à ces dernières années. La grande majorité des ouvrages du mouvement situationniste et plus largement libertaire se trouvent librement à disposition sur internet et les éditions « pirates » (hors éditeurs propriétaires des droits) des ouvrages situationnistes sont légion illustrant le vieux principe proudhonien : « La propriété c’est le vol ! » .
Le don-sacrifice, le polatch, — ce jeu d’échange et de qui-perd-gagne où l’ampleur du sacrifice accroît le poids du prestige — n’avait guère de place dans une économie de troc rationalisé. Chassé des secteurs dominés par les impératifs économiques, il va se trouver réinvesti dans des valeurs telles que l’hospitalité, l’amitié et l’amour, officiellement condamnés à disparaître à mesure que la dictature de l’échange quantifié (la valeur marchande) colonise la vie quotidienne et la transforme en marché.Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, VIII Echange et don, 8 décembre 1967, Gallimard
Tel est pris qui croyait prendre ?
Surtout qu’en matière de consumérisme, l’évêque sait y faire, et la photo d’illustration de l’article de la NR traduit une partie de ses péchés au lendemain de la COP21 où l’église catholique était particulièrement investie : au fond à gauche trônent une bouteille d’eau Vittel d’1,5L et une petite cafetière à capsules. Soit précisément des éléments de consumérisme emblématiques qui en plus d’être totalement inutiles, empoisonnent la planète de par leur production et la quantité de déchets générés [4]. Une manière comme une autre de transcrire au quotidien l’Encyclique du Pape François sur l’écologie humaine [5] qui prône l’engagement avec une approche singulière sur les enjeux climatiques et une solidarité vis-à-vis des personnes impactées par les effets du changement climatique ? Jean-Pierre Batut — pourtant partisan affirmée de l’écologie intégrale — a encore du retard sur le chemin de conversion vers une sobriété heureuse avec l’adoption de modes de vie plus respectueux de l’environnement, et avec lui la crédibilité de l’Eglise catholique n’est pas près d’être renouvelée ! Il ne suffit pas d’affirmer que « (...) l’élément principal c’est de voir comment nous pouvons changer de modes de vie pour que la Terre que nous lèguerons aux générations futures soit habitable (...) » [6] alors même que l’ex évêque auxiliaire de Lyon écrivait pas plus tard que l’année dernière : « (...) L’écologie est donc sous le signe de l’ambiguïté, oscillant entre la tentation d’un panthéisme naturalisme et celle d’une vision nihiliste de l’homme. (...) » [7]. Le louvoiement jésuitique atteint là ses limites...