L’évêque évoque avec nostalgie l’époque où il participait avec les autres séminaristes à « une fête typiquement française, mais qui ne peut guère avoir lieu qu’hors (sic) de France » : une messe célébrée tous les 13 décembre pour la France, datant de la conversion d’Henri IV. Las ! Les apprentis-curés ne chantaient plus (en latin, bien sûr) « Seigneur, sauve le Roi ! », mais « Seigneur, sauve la République ! ». Il rappelle toutefois qu’une lettre de l’apôtre Paul recommandait de prier « pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité ». Il ajoute que « depuis toujours (et elle le faisait déjà à l’époque des persécutions), l’Église prie pour les chefs d’État et les responsables des affaires publiques. » Mais il oublie de préciser si la prière précédait, ou suivait les persécutions religieuses. Le nouveau monseigneur demande à ses ouailles de renouer avec cette tradition en priant pour la République.
En fait, il a piqué l’idée au Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, qui suggère aux musulmans de France de prier pour la République, « avec leurs mots » (sic), tous les vendredis dans les mosquées. Il a trouvé cette idée excellente, et suggère aux chrétiens de faire de même. Il précise : « Et cela, même et surtout quand les politiques pensent n’avoir rien à faire de la prière, jusqu’à être parfois « laïcistes », c’est-à-dire, en réalité, militants d’un monde athée. Ils ont d’autant plus besoin qu’on prie pour eux, et ceux de nos amis musulmans qui sont tentés de se mettre à part de la société dans laquelle ils vivent y gagneraient aussi, car toute prière bien faite convertit d’abord celui qui prie. »
Vive le Roi !
Difficile de commenter ce texte, tant il mélange l’amalgame, la confusion, les sous-entendus. Les choses ne sont dites qu’à mi-mot. L’invitation est de prier, pas de penser. Que signifie, aujourd’hui, cette référence à Henri IV, qui pourrait sauver la République ? Quelle est cette « fête typiquement française, mais qui ne peut guère avoir lieu qu’hors de France » ? Nous voilà en plein obscurantisme, mais la dramatisation (il faut sauver la République), le grotesque de la solution (la prière, les églises au secours de l’État), quelques piques contre les athées, contre « certains » dirigeants (en France, pas dans les dictatures avec lesquelles l’Église entretient de bonnes relations diplomatiques), quelques allusions aux musulmans, distillent, sans les nommer, des représentations chères aux courants les plus réactionnaires.
« Sauver la République » ?
De quoi ? De qui ? L’évêque ne le dit pas explicitement, mais il invite les catholiques à une nouvelle croisade (il n’a pas encore osé le mot) contre le « laïcisme » des « militants d’un monde athée », et il demande à « ceux de nos amis musulmans qui sont tentés de se mettre à part de la société dans laquelle ils vivent » de se joindre aux catholiques par la prière. Presque du Finkielkraut dans le texte ! Qui sont ces « amis musulmans » invités avec condescendance à s’unir avec les autres croyants (« avec leurs mots », comme le dit son collègue rabbin, comme s’ils ne disposaient pas du même vocabulaire que les autres) ? Les jeunes sur le point de se radicaliser ? Les femmes au foulard ? Pourquoi le monseigneur ne se préoccupe-t-il pas de ses amis catholiques intégristes et de ses religieuses cagoulées et cornettées ?
Ni Dieu ni maître !
Le calotin appelle donc à prier pour la République, mais ne peut s’empêcher de se référer au roi Henri IV, premier souverain de la branche des Bourbons, qui a changé plusieurs fois de religion avant de se reconvertir, en bon stratège, au catholicisme pour accéder au trône. Les « chefs d’État et les responsables des affaires publiques », sans restriction, ne sont cependant pas en reste, il faut aussi prier pour eux. Il ajoute : « Précisons que le mot « république » ne désigne pas ici un mode de gouvernement particulier, il désigne l’État en général, et le bon ordre des affaires publiques. » Le tour de passe-passe entre royauté et république devient rassurant pour ses ouailles anti-républicaines : il ne s’agit pas de prier pour la gueuse, mais pour l’autorité étatique. L’Église au secours de l’État, on connaît la chanson, le Vatican n’est-il pas lui-même un État ? Catholiques de tous les pays, unissez-vous et priez pour vos chefs, cela sera plus efficace que de prier pour les enfants qui meurent de faim dans le monde, et ça peut rapporter gros ! La prière est d’ailleurs destinée à « tous les dépositaires de l’autorité ». La recommandation est clairement un appel à la soumission au pouvoir divin et au pouvoir étatique, validant ainsi la devise, en négatif, de Blanqui : « Ni Dieu ni maître ».
Des années de rigolade en perspective
L’évêque Jean-Pierre Batut s’est distingué ces dernières années, alors qu’il était évêque auxiliaire de Lyon, par ses prises de position radicales contre la loi sur le mariage pour tous, dans une tribune au Figaro le 5 janvier 2013. Il est bien sûr encensé (c’est le mot !) par le site traditionaliste de Riposte Catholique, « l’Observatoire de la Christianophobie » [1].
Il n’a pas fini de nous faire rire. Il n’a que 60 ans, alors que son prédécesseur, Maurice Germigny, vient de prendre sa retraite à 75 ans. Alors il risque de sévir longtemps, si Dieu lui prête vie, ce qui n’est pas garanti malgré tout. Aidons-le toutefois à lutter contre son addiction à la prière, en lui suggérant cette recommandation libertaire : « Prier nuit gravement à l’émancipation individuelle. Ne commencez jamais ».
Marcel Païen
Illustration : Melina1965