Le jeudi 30 mars 2017 vers 13h, par une belle journée, des membres de notre famille étaient réunis chez nos parents à Seur, près de Blois, s’apprêtant à partager de la viande grillée dans la cour. Un commando de l’antenne du GIGN de Tours a soudain débarqué en équipement d’assaut, brutalisant et invectivant les personnes présentes, fouillant sans ménagement les lieux, pour finir par abattre sans sommation notre proche Angelo Garand, dans la petite remise sans issue où il s’était juste caché.
Le 30 avril dernier, 13 mois après cette mise à mort, en tant que parties civiles nous aurions dû connaître les réquisitions du procureur, suite à l’information judiciaire dans laquelle deux gendarmes, auteurs de 5 tirs à très courte distance dans le haut du corps d’Angelo, ont été mis en examen pour « violences avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Mais une demande d’acte d’enquête complémentaire de notre part a donné lieu à l’audition d’un témoin extérieur aux mis en cause et parties civiles. Le délai maximum pour les réquisitions du procureur est repoussé de trois mois à compter de cette audition.
Le 30 mars 2018, une boucle a été bouclée
Chaque 30 du mois nous revivons l’horreur de cette journée. Puis est arrivé le 30 mars 2018 : un an déjà ! Malgré l’impossibilité de faire notre deuil, nous aurions voulu vivre ce jour différemment, dans le recueillement, avant d’aller le lendemain crier notre exigence de Justice et Vérité dans les rues de Blois. Mais c’est ce jour de cruel anniversaire que le journal local a choisi pour évoquer la mise à mort d’Angelo, en redonnant principalement la parole au procureur de Blois, qui depuis le début soutient la thèse de la « légitime défense » invoquée par les auteurs des tirs mortels. Cette parole des tireurs, que nous contestons formellement, reprenait toute la place sur la nôtre, et l’annonce de notre Marche de commémoration prévue le lendemain se retrouvait réduite à quelques mots.
L’article nous a violemment ramenés au point de départ de notre lutte, quand après l’inimaginable, la douleur, la stupeur, nous avions découvert le traitement médiatique de la mise à mort d’Angelo. Nous avons revécu la fureur ressentie un an plus tôt, en découvrant au journal télévisé qu’une « remise en situation », simulacre de reconstitution, avait eu lieu chez nous, pendant que nous avions interdiction d’y retourner. Et que ce soit dans le poste de télévision ou dans le quotidien local, c’était toujours le même récit mensonger des gendarmes « privilégié » par le procureur, la même insistance journalistique sur notre appartenance à la communauté du Voyage, le casier judiciaire du mort, les clichés méprisant la personne réelle et transformant la victime en coupable. Comme si Angelo avait mérité d’être abattu de cinq balles dans le torse parce qu’il était un condamné, que six mois plus tôt il n’était pas rentré en prison à Vivonne près de Poitiers, après une seule journée de permission pour venir nous rendre visite dans le Blésois.
C’est dans une douleur et une rage immenses, face à tant de violence et de mépris, que nous avions un an plus tôt répondu aux mensonges par une vidéo, avec la surprise d’être relayés à travers les réseaux sociaux, entendus et rejoints par des soutiens. C’est la même fureur, décuplée par le combat mené sans relâche depuis un an pour nous faire entendre qui nous a poussé à faire une nouvelle vidéo, pour à nouveau répondre aux mensonges. Nous faisons aux yeux de toutes et tous notre propre « remise en situation ». Nous rappelons les faits en filmant les lieux mêmes où ils se sont déroulés, pour montrer la vérité sur la mise à mort d’Angelo. Comme un an plus tôt, nous avons refusé de nous laisser étouffer par ce manque de respect envers notre défunt, par ce mépris envers nous, qui devons continuer à habiter ces lieux où la vie d’Angelo a été arrachée. Nous avons à nouveau éprouvé le besoin de crier à la face du monde notre vérité. Et même si sans la justice, cela ne suffira jamais à nous apporter la paix, comme un an plus tôt nous y avons trouvé le réconfort d’être relayés et encouragés dans notre combat.
Sans Justice pas de Paix, mais de la Solidarité
Que de chemin parcouru en une année, depuis que nous avons rejoint les nombreuses familles en lutte pour la mémoire d’un proche tué par des forces de l’ordre. Que de Marches accomplies pour commémorer nos défunts, dire la vérité, exiger la justice, et pour être ensemble, vivre nos solidarités. Nos premiers cris de combat ont retenti dans les rues de Blois en avril 2017, avec le précieux renfort d’Amal, soeur d’Amine Bentounsi, présente dès les premiers jours à nos côtés. Nous avons marché à nouveau six mois après la mort d’Angelo, avec l’émouvant soutien de la mère de Wissam El Yamni. Nous avons été marcher dans d’autres villes, soutenir nous aussi d’autres familles en lutte, pour Lamine Dieng à Paris, pour Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise, pour Babacar Gueye à Rennes. Et quand nous ne pouvions être physiquement présents, nous l’étions de toute la force de nos pensées solidaires. Le 17 mars, nous étions de nouveau ensemble à Paris sous la neige, pour la Marche des Solidarités, contre les violences policières et le racisme d’État, qui a réuni nos familles de victimes et nos comités aux exilés que ce pays abandonne sans papiers, préférant leur envoyer gendarmes ou policiers pour les chasser.
Le 31 mars 2018 nous sommes entrés en marchant dans notre deuxième année de lutte. Merci aux familles et comités venus à Blois de Paris, Clermont-Ferrand, Rennes, Argenteuil, rappeler toute la force, la dignité de nos solidarités, et rendre cette journée mémorable. Nous avons commémoré le 1er anniversaire de la mort d’Angelo et tous nos défunts comme une même famille, avec la même douleur, la même colère et cette même prise de conscience tragique : pourquoi sont-ils mort ? Pour rien. Ensemble nous avons marché en faisant résonner le nom d’Angelo et de tous les autres morts pour rien.
Paroles de minorités, nous sommes la majorité !
Ramata Dieng a rappelé que lorsque des forces de l’ordre tuent des victimes désarmées, parfois même menottées, sans que la justice y trouve à redire comme pour son frère Lamine et tant d’autres, « la seule réponse à cette violence d’État, c’est la société civile, c’est nous. Seule la mobilisation peut changer la donne, sinon nous compterons nos morts, comme aux États-Unis ». Zohra la maman et Marwa la soeur de Wissam El Yamni ont rappelé l’importance de continuer à se battre pour continuer à vivre, sans se laisser épuiser, même dans une procédure qui pour leur famille dure depuis plus de six ans. Nos amies du collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye (Rennes), qui nous ont apporté leur très actif renfort tout au long de cette journée, ont dit les poignantes similitudes entre Babacar et Angelo, chacun tué deux fois, l’un d’abord par l’exil, l’autre par l’emprisonnement, avant de mourir sous les balles d’agents de la BAC ou du GIGN. Comme elles l’ont dit en soutien à Awa, sœur de Babacar, et à toutes nos familles en lutte : «
Notre combat est celui de toutes les familles de victimes tuées ou blessées par la même violence d’État discriminatoire, appliquée aux plus précaires, infligée pour qui nous sommes à nos « minorités », alors qu’en réalité nous formons lorsque nous sommes unis la majorité. Oui nous avons besoin de nous retrouver. Quand nous le faisons nous ressentons la puissance du lien qui nous unit. Toujours, même à distance, nous sommes ensemble. Nous ne le crierons jamais assez : quand on marche pour un, on marche pour tous.
Notre combat est aussi solidaire de toutes celles et tous ceux qui luttent pour une société plus juste, plus égalitaire, et qui subissent alors la violence d’État répressive, parfois jusqu’à la mort comme Rémi Fraisse, souvent au prix de graves blessures, de mutilations, de peines de prisons. Nous sommes solidaires des Zadistes, qui à Notre-Dame-des-Landes cherchent à inventer d’autres façons de faire société, aspirant comme Angelo et tant de Voyageurs à vivre autrement. Nous sommes solidaires des lycéen⋅nes et des étudiant⋅es en lutte contre des projets de loi qui amèneront toujours plus de sélection sociale et donc de discrimination dans l’accès aux études. Nous subissons toutes et tous le même ordre injuste, le même traitement de la part des autorités, avec l’envoi de forces militaires ou policières totalement disproportionnées.
Que nous luttions depuis plus de 10 ans comme la famille de Lamine Dieng, 6 ans comme la famille de Wissam El Yamni, 2 ans comme la famille de Babacar Gueye, ou 1 an comme notre famille.... nous combattons pour toutes et tous, et nous continuerons tant qu’il le faudra. Nous serons le 19 mai à la Fête de l’Insurrection Gitane à Saint-Denis, avec la Voix des Rroms, puis le 16 juin à Paris pour Lamine Dieng, avec Vies Volées.
La famille Garand et ses soutiens,
Le 7 mai 2018
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Justice pour Angelo, Soutien à la famille Garand !