Extraits de l’entretien
« L’islamophobie, c’est ce qu’on appelle une racialisation des musulmans. C’est un ensemble de discours, une pensée, qui interprètent le comportement et la pensée des supposés musulmans à l’aune de leur supposée appartenance religieuse. C’est donc une réduction des musulmans et des musulmanes à une identité religieuse permanente.
C’est à partir de cette définition [de l’islamophobie] que l’on construit ensuite la problématique de la construction du problème musulman. Selon nous, l’islamophobie est la conséquence de plusieurs années de construction du problème musulman, qui vise à interpréter une grève ouvrière, le fait que des jeunes filles portent le hijab, ou le fait que des personnes commettent des attentats terroristes, etc., autour de la même signification, la même réalité : l’islam.
(...)
Les grèves dont je parle sont celles, entre 80 et 83, essentiellement dans le secteur de l’automobile, à Citroën Aulnay-sous-Bois et à Talbot Poissy. C’est l’époque des licenciements massifs : plusieurs milliers d’emplois sont détruits dans l’industrie, et on a donc des grèves qui luttent contre ces licenciements, mais aussi pour l’amélioration des conditions de travail, pour avoir une plus grande égalité du point de vue des salaires, etc. Ces grèves étaient à la fois portées par des Français et des travailleurs immigrés.
Ce qu’on va constater, à partir notamment de l’année 83, c’est qu’il y a un processus de disqualification des grèves. On va essayer de stigmatiser les travailleurs immigrés, en disant que ces grèves ne relèvent pas de la lutte des classes, mais d’un conflit religieux. C’est ça, la racialisation dont on parle. On a des gens qui font des grèves, à partir de revendications précises, et on va l’interpréter (...) comme un conflit entre les laïcs et les intégristes. Cette vision a été portée au départ par le patronat, notamment les gens de PSA, par certains syndicats, par le ministre du Travail, par le premier ministre Pierre Mauroy, par Gaston Deferre, etc.
On a donc une convergence des élites patronales, politiques, en partie syndicales, et puis médiatiques, puisqu’on a eu toute une série de caricatures, de discours hostiles aux grèves à ce moment-là, qui ont transformé un conflit de la classe ouvrière en conflit religieux. Sachant que ce conflit-là s’appuie sur des faits. Par exemple, il y avait une revendication, mais qui était vraiment en bas de la liste des revendications, d’un lieu de culte. Il y avait des images où des travailleurs immigrés faisaient la prière. Il y avait, aussi, des militants syndicalistes qui portaient des slogans... par exemple : "Inch’Allah on va gagner, vive la CGT", etc. C’est une référence religieuse, mais qui est liée à l’entendement des travailleurs immigrés de l’époque.
C’est à partir de ces faits-là qu’on va construire l’idée d’une menace intégriste, et surtout iranienne. Là, le contexte international intervient, puisqu’en 1979 c’est la révolution islamique en Iran. Donc, on a transformé ces grèves en des grèves chiites. Ça arrive à un moment où l’argumentaire islamophobe vient disqualifier la classe ouvrière. C’est quelque chose qu’il faut souligner. »
Entretien réalisé par C., de Radio Zinzine, et M., de la revue Z.